Assia Djebar est morte ce vendredi 6 février, à Paris
Première personnalité du Maghreb élue sous la Coupole, Assia Djebar avait aussi, et souvent, été la première en beaucoup de choses.
Assia Djebar est morte ce vendredi 6 février, à Paris. Elle avait 78 ans. On la cite toujours comme la première personnalité du Maghreb à avoir été élue à l’Académie française. C’est vrai. C’était en 2005. L'événement a ouvert la voie à d'autres, comme Amin Maalouf ou Dany Laferrière. Mais ce n’était pas que cela. Assia Djebar a souvent été la première.
Première Algérienne, première musulmane et somme toute première Africaine à entrer à l’Ecole normale Supérieure (en 1955); pionnière de la littérature féminine avec «la Soif» (1957) puis «les Impatients» (1958); première à être traduite un peu partout, dans une vingtaine de langues; pionnière aussi au cinéma, avec la réalisation de deux films où l’on retrouvait ses thèmes de prédilection, «la Nouba des femmes du mont Chenoua» (1979) et «la Zerda ou les chants de l’oubli» (1982).
Il n’y a d’ailleurs pas tant d’académiciens récents dont l’œuvre fait régulièrement l’objet de travaux universitaires, d’une notice détaillée dans l’indispensable «Dictionnaire des auteurs» de la collection «Bouquins», ou de publications sur un site aussi moderniste que remue.net. Assia Djebar était de ceux-là.
Née le 4 août 1936 à Cherchell, d’une mère berbère et d’un père instituteur qui décide de la scolariser à la différence de ses cousines, Assia Djebar s’est d’abord appelée Fatima Zohra Imalayen.
Bonne élève, elle fait ses études à Blida, puis intègre le lycée Fénelon à Paris et enfin l’ENS de Sèvres, qui est alors réservée aux filles. Voix royale pour les premières de leurs classes.
Bonne élève elle était, bonne élève elle aurait pu rester. Mais non, ou pas seulement: elle prend part à la grève des étudiants algériens, en 1956, et, tout en suivant sa formation d’historienne, rédige son premier roman.
C’est «la Soif». Elle y raconte l’émancipation d’une jeune fille issue de la bourgeoisie, qui se met à écouter son corps. Cela va tellement de soi à l'époque qu’on parle de son auteur comme d’une «Françoise Sagan musulmane». Il est vrai qu'elle a le même éditeur (Julliard). Toujours est-il que Fatima Zohra Imalayen, elle, a choisi de signer Assia Djebar. La légende dit que c’est pour dissuader son père de la confondre avec son héroïne. Cela semble surtout fait pour signifier quelque chose comme consolation (Assia) et intransigeance (Djebar).
Il reste à aller au bout de ce programme-là. Car tout ça n'est qu'un début. Assia Djebar collabore bientôt à Tunis à «El Moudjahid», le journal du FLN; se lance dans une grande fresque de la Guerre d’Algérie, mais racontée du point de vue des femmes, avec «les Enfants du nouveau monde» (1962); s’inspire de son expérience à «El Moudjahid» pour raconter la vie des maquis dans «les Alouettes naïves» (1967); enseigne l’histoire et la littérature francophone un peu partout, de la faculté d’Alger à la New York University en passant par la Louisiana State University de Baton Rouge.
Dans l’intervalle ont suivi bien d’autres titres, comme «l’Amour, la fantasia» (1985), «Ombre sultane» (1987), «Loin de Médine» (1991), ou encore «le Blanc de l'Algérie» (1996), qui honore la mémoire de grands écrivains algériens, arabes et français, morts depuis une trentaine d'années (Albert Camus, Jean Amrouche, Frantz Fanon, Mouloud Feraoun, Jean Sénac, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Tahar Djaout...).
L'ensemble co mpose une œuvre protéiforme où l’on trouve à la fois des romans, du théâtre, des essais, de la poésie, et même une thèse de doctorat, soutenue en 1999 à l’université Paul Valéry-Montpellier 3, sur sa propre trajectoire («Le roman maghrébin francophone. Entre les langues et les cultures. Quarante ans d'un parcours: Assia Djebar, 1957-1997»).
Source Le Nouvel Observateur Grégoire Leménager
Le Pèlerin