Hubert Védrine : «il faut maintenir la politique arabe de la France»
Lors de la constitution de son gouvernement, Nicolas Sarkozy avait voulu gommer son image très pro-américaine (qui s'est encore renforcée cet été avec la «burger party» chez les Bush) en nommant un ministre des Affaires étrangères qui venait des rangs de la Gauche. On évoqua alors deux noms: ceux de Bernard Kouchner et d'Hubert Védrine. Le premier fit sourire car Bernard Kouchner est certainement la personnalité la plus pro-américaine du camp socialiste en ayant quasiment été le seul responsable politique français à approuver l'intervention américaine en Irak. Hubert Védrine est d'un tout autre acabit. Excellent connaisseur des approches géopolitiques, commentateur ironique et pince-sans-rire des foucades fréquentes de la classe politique, des médias et des intellectuels en matière de politique étrangère, l'ancien ministre de Lionel Jospin n'apprécie ni le libéralisme financier, ni l'européanisme bêtifiant, ni l'atlantisme militant. On connaît la suite de l'affaire. Ce fut Bernard Kouchner qui fut choisi et en guise de consolation, Nicolas Sarkozy demanda à Hubert Védrine un rapport sur «la France et la mondialisation» *.
Excellente lecture dont on se demande bien quelles leçons en tirera le Président Sarkozy pour sa politique extérieure?
Le rapport d'une soixantaine de pages se présente en deux parties: la première: «La France doit-elle repenser sa position face à la mondialisation?», la seconde intitulée: «Faut-il changer de posture dans notre politique étrangère et de défense?».
Sur la mondialisation ou la globalisation de l'économie, Hubert Védrine commence par rappeler qu'elle suscite, depuis des années, des réactions de méfiance dans la population française: «seuls 18% des Français ont une opinion positive de la mondialisation» mais les différents baromètres internationaux, montrent également que «seuls 35% des Allemands, 23% des Italiens, 17% des Espagnols et, plus étonnant encore, 17% des Américains et 15% des Britanniques, la jugent positivement». Le rapporteur est persuadé que, s'ils étaient interrogés, la plupart des peuples d'Amérique latine, d'Afrique et même d'Eurasie, exprimeraient la même défiance.
L'ancien ministre socialiste ne critique d'ailleurs pas les raisons du scepticisme des Français devant une économie du grand large («attachement au rôle structurant, protecteur et redistributeur de l'État et à celui de la volonté politique»; «répugnance morale persistante envers l'économie de marché et son moteur, le profit», «volonté de conserver une large protection sociale contre la mise en concurrence directe des salariés français et chinois», etc.). Il se moque même, de façon un peu acerbe, du petit milieu parisien, chefs d'entreprise, économistes, journalistes qui se plaignent à longueur de colonnes de l'archaïsme économique indécrottable des Français, pour défendre, en réalité, les intérêts financiers d'une toute petite frange, les vainqueurs du loto mondialiste. Hubert Védrine, enfin, insiste sur les dangers de l'économie-Casino: «des échanges sur les marchés de change, cent cinquante fois plus importants que les échanges commerciaux, des actifs financiers qui représentent trois fois le PIB de la planète. Si les mots de cavalerie et de spéculation ont jamais eu un sens, c'est aujourd'hui. La crise financière de l'été 2007 aux Etats-Unis a mis en évidence le caractère illusoire de l'auto-surveillance par les intermédiaires financiers».
Toutefois, fait remarquer le rapporteur, la mondialisation tire, depuis plusieurs années, une croissance mondiale de plus de 5% et a sorti de la misère des centaines de millions d'Indiens ou de Chinois. Au-delà des anti ou des pro-mondialisation, il préconise un «consensus», une sorte de pacte national sur la globalisation permettant «de rassembler les Français sur une stratégie d'ensemble de longue haleine dans un domaine d'intérêt national». Dans les mesures proposées, il est une qui fera hurler les économistes libéraux: la correction des excès doit passer, estime-t-il, par une sorte de «protectionnisme financier et industriel», sans tomber dans l'illusion du «tout-protectionnisme»: «remède ou poison, tout est dans la dose».
Les capacités d'investissement et de rachat des nouveaux capitalistes de la globalisation, notamment, inquiètent Hubert Védrine surtout quand ils sont étroitement correlés à des stratégies d'État. On sait que la société pétrolière russe Gazprom pourrait racheter, sans trop de difficultés, plusieurs des plus grandes sociétés européennes «opéables». Un mouvement se dessine aussi contre les «fonds souverains» d'origine publique, russes, chinois, du Golfe, ou autres, au motif qu'étant de nature étatique, les règles de transparence déjà très insuffisantes que doivent respecter les quelque 8.000 fonds spéculatifs -hedgefunds- qui gèrent environ 1.500 milliards de dollars. Or ces fonds souverains pourraient représenter 15% du PIB mondial dans 5 ans. Sans craindre les accusations de protectionnisme, l'Allemagne a décidé de s'en protéger», note-t-il.
Dans la seconde partie de son rapport, plus polémique, Hubert Védrine s'en prend avec vigueur à deux courants qui, en France, remettent en cause avec constance l'intérêt d'une politique étrangère autonome pour ce pays. Ces deux courants s'accordent à constater que la France est devenue dans la globalisation «un trop petit pays pour peser sur les affaires du monde». Les «fédéralistes» européens ont ainsi porté, pendant plusieurs décennies, tous leurs espoirs sur la construction d'une grande Europe, gérée harmonieusement par une Commission de Bruxelles apaisée et omnisciente. Deux obstacles se sont dressés à cette construction: l'Union européenne n'a jamais su bâtir de politique extérieure commune tant les divergences entre les Etats-nations subsistaient et pour Hubert Védrine, les «non» français et hollandais au référendum sur la Constitution européenne ont clairement indiqué que les peuples européens n'étaient pas demandeurs d'un tel fédéralisme.
L'autre courant qui inquiète bien plus Hubert Védrine est celui des «Atlantistes-occidentalistes», dont il constate l'influence subsister dans les médias et les partis de droite et de gauche, malgré l'échec patent des États-Unis en Irak. Ce courant, directement issu du «Choc des civilisations» de Huntington constate que la globalisation pourrait profiter à d'autres capitalismes qu'européens ou américains, et qu'un milliard d'Occidentaux pourraient, demain, s'affronter avec quatre à cinq milliards d'humains non-occidentaux.
Dans une telle logique, le rattachement aveugle à la politique américaine est la seule solution, quoi qu'il en coûte.
En attendant cette heureuse concertation, un très bon mois de Ramadhan à tous!