Berriane (Ghardaïa)
Les dessous d’un conflit
Le calme est revenu dans la ville de Berriane, après deux vagues de violences (du 19 au 21 mars et du 2 au 4 avril) intercommunautaires qui se sont soldées par un mort, une dizaine de blessés et une trentaine de magasins et de maisons pillés, saccagés et brûlés. Les renforts de services de sécurité sont cependant toujours en place.
la Wilaya de Ghardaia

Ces affrontements ont été provoqués par un échange incommode entre un groupe d’adolescents et une famille. Mais ils ont pris une dimension telle qu’ils suscitent moult interrogations. A l’origine : des pétards jetés par un groupe d’adolescents sur une famille de passage à pied sur la RN1 qui « coupe » en deux cette coquette ville de Berriane. Des scènes comme celles-ci sont, ailleurs, anodines, des plus habituelles à l’approche de la fête annuelle du Mouloud (l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed - QSSSL). A Berriane aussi, comme en témoignent de nombreux habitants. Elles soulèvent, certes, engueulades et bagarres qui font parfois des blessés. Mais jamais une « agression » de ce genre ne s’est transformée en un conflit ethnique, encore moins en un conflit entre rites. Comment toute la ville de Berriane s’est vite enflammée ? Que s’est-il réellement passé ? Quelles sont les causes réelles de ces événements tragiques qui ont défrayé la chronique de ces deux dernières semaines ?
Retour sur les faits
Ressentiment et animosité
Mais au-delà des faits, tout le monde à Berriane, que ce soit du côté des Arabes ou des Mozabites, s’accorde à dire que les derniers événements ne sont que la conséquence logique d’un cumul de ressentiments et d’animosités. Les Beni M’zab rappellent les événements de 1990 provoqués par les résultats des élections locales où la liste du parti dissous FIS (Arabes) se retrouvait en ballottage avec celle des indépendants (Mozabites) avant que cette dernière ne prenne le dessus. Les affrontements ont fait deux morts. « Les deux morts étaient des Mozabites. Le meurtrier a été arrêté, jugé et condamné à 5 ans de prison ferme, mais au bout de sa deuxième année d’incarcération, il a été gracié. Je trouve cela injuste. Il fallait qu’il purge sa peine », dénonce un Mozabite qui a requis l’anonymat. La plaie ne s’est donc pas encore refermée et il a suffi de peu pour qu’éclate l’abcès. Aussi, ils n’apprécient pas qu’ils soient considérés comme des kharidjites, comme cela est mentionné dans le manuel scolaire de l’éducation islamique destiné aux classes de la 5e année primaire. « Les élèves de la 5e année étudient depuis deux ans que les ibadites (Mozabites) sont des kharidjites. Cela est une contrevérité historique », fulmine un groupe de Mozabites rencontré au centre-ville. Du côté de la communauté arabe, on parle de la goutte qui a fait déborder le vase. Plusieurs agressions qui se sont produites au cours de ces trois dernières années et de nombreuses voitures brûlées depuis le début de l’année 2007, indique-t-on. « Toutes les personnes agressées appartiennent à la communauté arabe ainsi que les voitures brûlées », fait remarquer un membre de la famille Nadja qui évoque également un « faux barrage dressé par un groupe de délinquants mozabites connus de tous ». Ahmed Grine atteste, quant à lui, que les Mozabites rejettent les autres. « C’est la nature de la communauté mozabite ibadite qui est recroquevillée sur elle-même qui a conduit à cette situation conflictuelle. Les ibadites ont leurs propres cimetières, leurs mosquées, leurs écoles et refusent de mélanger leur sang avec les autres », indique-t-il, convaincu qu’il ne s’agissait pas d’une « affaire de voyous ». Les Mozabites se montrent placides face à ce qu’ils qualifient d’« attaques infondées ». « Il est primordial de respecter les différences des uns et des autres et de les accepter. Nous sommes une communauté qui a sa culture, son mode de vie, sa langue, qui tient toujours à son ancienne forme organisationnelle et perpétue sa civilisation », réplique un Mozabite qui met en exergue la nature conservatrice de sa communauté. « Cela ne nous empêche pas d’être en contact avec d’autres communautés, d’établir de bons rapports avec elles dans le respect mutuel… », souligne-t-il. Selon Bekkaïr Abdelkader, chercheur en histoire, vivant à Berriane, les derniers événements de Berriane sont dus à plusieurs facteurs dont l’explosion démographique qu’a connue la ville au cours de ces trente dernières années. Cette expansion démographique a provoqué, explique-t-il, des problèmes multiples : chômage, crise de logement… La ville a aussi connu une extension anarchique. Ces « gourbis » de misère sont devenus, avec le temps, un foyer pour les délinquants qui s’adonnent au trafic de drogue, soutient-il. M. Bekkaïr met en avant également le changement de mentalité qui fait que la jeunesse, notamment mozabite, intègre des formations politiques et écoute de moins en moins les notables. Pour preuve, souligne-t-il, malgré de multiples appels lancés par les « sages » de la ville, le calme n’est revenu qu’après l’arrivée des renforts des services de sécurité. Il estime que le « conseil des aâzaba », structure spirituelle mozabite régie par les imams et les chouyoukh, est en train de perdre de son influence auprès des jeunes. Certains partis politiques, quant à eux, voient « des forces occultes » derrière ces événements qui cherchent à déstabiliser la région. C’est l’avis du RCD et du FFS. La raison : le changement de la carte politique dans la région. « Il y a ceux qui n’ont pas apprécié le fait que le RCD remporte l’APC de Berriane », souligne Tebakh Balehadj, élu du FFS à l’APW de Ghardaïa. Les avis sont ainsi parfois contradictoires et les explications des uns et des autres se contredisent. Mais il est clair que les stigmates des événements qui se sont produits par le passé sont toujours là et continuent à réveiller le vieux démon. A cela s’ajoute la différence sur le plan culturel, traditionnel et rituel qui attise les tensions entre les deux communautés. L’absence de dialogue permanent aggrave la situation.
Source El Watan
Le Pèlerin