Les Ressources de la Montagne - La forêt généreuse
Ci-dessous - Photos de l'exploitation de la forêt autrefois
Transport de bois dans la forêt de fanges ( Aude)
chargement de bois dans la for^t de Callong (Aude)
Castilla, dit "l'homme des bois"
Scieurs de bois dans les Pyrénées-Orientales
Transport de bois dans les Pyrénées-Orientales
« Des hêtres monstrueux qui soutiennent les pentes ; aucune description ne peut donner l'idée de ces colosses, hauts de huit pieds, et que trois hommes n'embrasseraient pas. »
Pour les pyrénéens, la forêt constitue une réserve inépuisable par sa densité et du fait du son renouvellement naturel permanent. Aussi ne se gênent-ils pas pour l'utiliser largement afin de compenser l'insuffisance des pâturages pendant les saisons intermédiaires.
La forêt représente pour eux le prolongement des herbages et la réserve des terres sur lesquelles ils peuvent se rabattre en cas de besoin. La conquête des bois au profit des pâturages et des terres, accélérée par un défrichement intense et quelques incendies de landes « fort opportuns » , devient pour les montagnards un réflexe naturel lorsque de mauvaises récoltes ou une augmentation démographique viennent ébranler le faible équilibre économique de la communauté.
Ainsi la forêt est-elle pour eux d'un grand secours : les droits d'affouage leur permettent de satisfaire leurs besoins en bois de chauffage et les droits de marronnage les autorisent à couper le bois nécessaire à la construction et à la réparation de leur maison ainsi qu'à la fabrication des ustensiles et des outils indispensables pour le ménage et la culture.
L’artisanat familial ; le travail du bois
Pour faire les sabots de toute la famille, les paysans utilisent de préférence du hêtre ou du châtaignier. Les plus habiles fabriquent des petits meubles, des chaises, des cerceaux, des tamis, des boisseaux, des jantes de roues et des timons de charrettes. En pays audois, à Puivert et Rivel, dans le canton de Chalabre, ils fabriquent des comportes et des « tines » pour la vendange. A Baulou, dans le canton de Foix, un artisan s'est spécialisé dans la fabrication de jougs tandis qu'à Montardit, dans l'arrondissement de Saint-Girons, on fait des sabots, des tuteurs, des échalas et des tonneaux. En haute vallée d'Ossau, les bois de Laruns fournissent le buis nécessaire pour faire des grains de chapelets qui seront montés à Bétharram. à Nay et à Montaut, en Béarn, les femmes fabriquent également des chapelets tandis que les hommes cousent des sandales.
Défendre sa forêt
Protéger et conserver les richesses forestières furent des impératifs auxquels certaines communautés répondirent. Ainsi, dans les vallées de Baïgorry et de Campan, dès le XVIIème siècle, les habitants ont clôturé les bois et ont « fait défense à toutes personnes d'y couper sans l'expresse permission des consuls, afin que cessant d'y faire des coupes, on leur donnât le temps de se rétabltt » , signale Louis de Froidour. De même, en 1806, des mesures autoritaires sont envisagées par le sous-préfet de Pamiers, dans l'Ariège, pour que « chaque commune qui possède des va- * cants fût forcée d'en planter ou d'en ensemencer une certaine étendue en bois .
Chargement de bois dans la forêt de Callong (Aude)
Mais de tout temps, les Pyrénéens éiït mal accepté le contrôle et les restrictions de leurs droits ancestraux, et toute nouvelle réglementation remettant en cause leurs droits d'usage sur les forêts. Il n'est donc pas étonnant que l'instauration du Code forestier, par la loi du 21 mai 1827 donnant à l'administration forestière un « pouvoir quasi absolu », déclenche une révolte appelée « guerre des Demoiselles », qui a agité l'Ariège ainsi qu'une partie de la Haute-Garonne, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Les paysans, qui portent par-dessus leurs habits des chemises et des bonnets de femmes pour ne pas être reconnus, se soulèvent en 1829 parce que le Code forestier leur enlève la propriété exclusive et la libre disposition des forêts, une de leurs principales ressources.
Dès le printemps 1829, des bataillons de « Demoiselles » S'en vont pourchasser ceux qui les privent de leurs forêts : les gardes forestiers, surnommés « salamandres » à cause de leur uniforme noir bordé de jaune, les charbonniers, les bûcherons, les maîtres dE forges, les grands propriétaires, les gardes communaux et nationaux, les gendarmes ef la troupe mobilisée par l'administration.
De 1829 à 1831, les « Demoiselles » mènent une véritable guérilla qui, d'escarmouches en actes de violence plus sérieux, leur donne l'avantage sur le terrain. L'administration, dont les mesures de répression ont été sans effet, est amenée à prendre des mesures de conciliation. Une commission départementale des Forêts est instituée et Louis-Philippe amnistie les victimes des procès que l'on avait voulus exemplaires. De cette insurrection carnavalesque, seule la définition de « demoiselle » subsistera. On appelle « demoiselle » « tout individu masqué, le visage barbouillé, une arme quelconque à la main, une chemise par-dessus ses vêtements ou revêtu d'un déguisement quel qu'il soit ». Et ce déguisement est, d'après François Baby, « le fait majeur de l'insurrection ». En fait, l'originalité de cette « guerre » ne tient ni à ses objectifs, ni à son organisation, ni à la participation massive de la population. « Elle n'apparaît, estime Jean-François Soulet, qu'un maillon d'une longue chaîne de révoltes, commencées bien avant 1829, qui se poursuivent bien au-delà de 1831, et qui intéressent, à un moment ou à un autre, presque toutes les vallées pyrénéennes, de la Soûle au Capcir.
La forêt exploitée- La « délinquance » des montagnards
A la fin du XIXEME siècle, l'étendue des terrains boisés dans la montagne pyrénéenne estimée à 410 000 hectares se réduit à 310 000 hectares lorsqu'on en déduit les espaces laissés vides par la coupe des arbres. On comprend le désarroi de tous ceux qui alertent l'opinion publique sur les conséquences désastreuses de la dévastation massive des forêts pyrénéennes. Déjà en 1787, Arthur Young est choqué par les coupes des bûcherons luchonnais accomplies « avec un gaspillage dont ils n'auraient pas été plus prodigues au milieu de la forêt américaine. De grands, de superbes hêtres sont coupés à la hauteur de 3, 4, 5 pieds, et on laisse pourrir ces nobles troncs ; des arbres tout entiers qui, à l'expérience, n'ont pas été fendus, sont laissés pendant des années à pourrir, sans qu'on y touche. » Véritable gaspillage que condamne Ramond en 1801 ou Dralet quelques années plus tard. La Révolution française n'a pas épargné la forêt puisque Michelet n'hésite pas à écrire que « Ton coupait un arbre pour faire un sabot » . Mais le « pillage » des forêts pyrénéennes ne fut pas le seul fait de montagnards négligents. L'intervention des agents de la marine française et espagnole fut sans doute plus funeste pour les belles espèces de chênes et de sapins qui servirent à fabriquer des mâts de navires. Il en fut de même des maîtres de forges, chaque forge consommant annuellement, selon Dralet, l'équivalent d'une forêt de 94 hectares. Les marchands de bois prélevèrent des quantités considérables de pièces de bois destinées à la tonnellerie, à la menuiserie et à la construction d'édifices, bois acheminés par flottage jusqu'aux villes du piémont.
En guerre contre le déboisement
Les Pyrénées souffrent cruellement du déboisement car les arbres ne servent pas seule-i ment à maintenir le terrain mais ils forment aussi un obstacle majeur aux avalanches de neige et de rochers. Ainsi, dans les Pyrénées ariégeoises, particulièrement déboisées, le village d'Orlu, situé au pied d'un cercle de montagnes aux versants nus, était protégé par un petit bois de frênes et de noyers que les habitants décidèrent d'abattre. Lors de l'hiver de 1895 qui suivit, une avalanche déferla sur le village et Orlu fut détruit de fond en comble.
Les risques majeurs encourus par la déforestation ont incité l'administration dès le milieu du XIXème siècle à prendre des mesures de conservation du patrimoine-forestier. Dans les Pyrénées-Orientales, à la suite des ravages causés par les troupeaux, « sous l'œil indulgent des municipalités » , d'importants reboisements ont été effectués dès 1840 par les particuliers ou l'administration. L'arrondissement de Prades devient ainsi le plus boisé et c'est du Canigou à Mont-Louis que les forêts sont les plus belles.
Dans les Pyrénées-Atlantiques, on procède à des reboisements méthodiques. La haute vallée d'Ossau est une des plus boisées des Pyrénées tandis qu'au Pays basque les forêts d'Irati, d'Isseaux et d'Orion sont remarquables.
Dans les Hautes-Pyrénées, où des déboisements inconsidérés ont provoqué la ruine des hautes vallées de Luz, de Barèges et de Gavarnie, on s'active à replanter et des surfaces considérables se reconstituent où le hêtre, le bouleau et le châtaignier voisinent avec le pin.à crochet, le pin noir d'Autriche, le sapin et l'épicéa.
Quant à la forêt ariégeoise, si cruellement dévase, l'administration prend des mesures « contre le paysan qui consomme inconsciemment sa ruine
Source autrefois les Pyrénées
A suivre
Le Pèlerin