Histoire des Pyrénées - La contrebande
C’est sous l'empire que la contrebande prend une ampleur assez importante dans certaines régions pyrénéennes, notamment en Cerdagne, en Andorre, dans le val d'Aran et au Pays basque. Elle entre dans les mœurs, bénéficie de la complicité de l'ensemble de la population frontalière et jouit même d'un certain prestige étant donné qu'elle devient une ressource d'appoint appréciable pour de nombreux villages.
Dans les Pyrénées-Orientales, les villages de Coustouges, Lamanère, Osséja et Saillagousse vivent de la contrebande. En haute Ariège et en Vicdessos, elle est très prospère et Quérigut, Mérens, Ax et Couflens sont des rendez-vous de contrebandiers. Malgré la menace d'expulsion émise en 1772 par le conseil général des vallées à l’encontre de toute Andorrane, fille ou veuve, qui épouserait un contrebandier, l'Andorre se taille très tôt une excellente réputation dans le domaine de la contrebande. Les habitants du Val d'Aran se spécialisent dans le commerce lucratif des piastres espagnoles. Dans les Hautes-Pyrénées, en dépit d'un relief hostile, les habitants d'Arrens, Gèdre et Gavarnie sont souvent compromis dans des échanges clandestins avec des villages frontaliers espagnols.
Mais c'est peut-être au Pays basque que la contrebande est la plus florissante et la plus intense, en particulier à Arnéguy dans le canton de Saint-Jean-Pied-de-Port et à Bidarray dans le canton de Saint-Étienne-de-Baïgorry.
Les douaniers ont beau doubler les patrouilles, les Basques ont le don de passer entre les mailles. Ils sont, dans ce domaine, des maîtres capables de toutes les audaces : « s'il entrait dans la tête d'un Basque;, d'exporter en Espagne la citadelle de Bayonne en contrebande, affirmait alors un habitant de cette ville, j'ignore s'il y parviendrait, mais à coup sûr, il l'entreprendrait. »
Ainsi, à dos d'homme ou de mulet, denrées et marchandises sillonnent les Pyrénées. Mais il faut bien faire la différence entré la petite fraude et le grand trafic.
La contrebande à petite échelle concerne des produits courants destinés à la consommation familiale ou à celle d'un petit groupe ; il s'agit le plus souvent de tabac, de chocolat, de café, de sucre, de vin, d'huile ou de sel. Elle est généralement l'œuvre de montagnards nécessiteux qui tombent souvent dans les embuscades des douaniers. La répression est sévère, cinq à six mois de prison, étant donné que le délinquant ne peut pas acquitter l'amende.
Quant à la grande contrebande, elle concerne des produits de qualité tels que cuir, étoffes, soieries, trafic d'or et d'argent, passés en grande quantité par de puissantes bandes fort bien organisées et qui réalisent à l'occasion de fructueux bénéfices. Une transaction et le paiement d'une forte amende les dédouanent devant la justice.
Un passage nocturne
A Peyranère, près du col du Somport, voilà ce que certains soirs on peut apercevoir : « Vers le haut de la vallée, un long cordon de feux, souvent cachés dans les bois, ou par les plis du terrain, descendait en serpentant. Bientôt, toute la caravane se déploya sur la route et vint défiler sous la baraque. En tête marchait un groupe d'hommes armés de carabines, et à la suite les conducteurs de mulets portant des torches et en menant chacun six à sept à la file. Un autre peloton faisait l'arrière-garde. Nous comptâmes plus de trente torches, environ deux cents mulets et une cinquantaine d'hommes d'escorte. Cette ligne de feux mobiles éclairant par places tous ces hommes et ces animaux qui se mouvaient en silence avait, au milieu de la nuit, quelque chose de mystérieux et d'imposant. Une bande ainsi organisée se fait respecter. D'ailleurs, on disait tout bas qu'il y avait connivence avec certaines autorités, et qu'un écu par mulet formait le bandeau qui les rendait aveugles. » (Chausenque)
La vengeance est un plat qui peut se manger rôti
On ne « badine » pas toujours entre douaniers et contrebandiers. Raymond Escholier raconte dans Mes Pyrénées un des drames les plus sanglants de cette lutte qui peut aller jusqu'à la mort et même au-delà. Voici le résumé de ce drame. Un certain contrebandier tombé dans une embuscade avait été tué par un grand diable de douanier d'une balle en plein front... Un peu plus tard, le douanier disparaît. On le retrouve au fond d'un précipice, la poitrine ouverte, et l'on s'aperçoit que le cœur a disparu. L'enquête piétine lorsqu'un jour, à propos d'une autre affaire, un inculpé qui en savait long sur ce drame, vend la mèche et raconte que, surpris et assailli par les compagnons de sa victime, le douanier n'avait pas tardé à succomber. Par un raffinement de sauvagerie, ses meurtriers lui avaient ouvert la poitrine et arraché le cœur qu'ils firent rôtir au feu de bruyère, se partagèrent et croquèrent à belles dents. Plusieurs individus soupçonnés d'avoir participé au meurtre et au festin furent incarcérés à la prison de Foix. Mais on ne put jamais obtenir la moindre preuve et on dut les relâcher.
Source autrefois Les Pyrénées
A suivre
Le Pèlerin