Algérie - Discours et réalité
“L’enjeu national majeur était, au début de la décennie écoulée, d'éteindre le feu de la fitna, d’œuvrer au rétablissement de la paix et de la concorde et de consacrer la réconciliation nationale.” Ainsi débutait le discours à la nation du président de la République. Cette fois encore, l’argument de “la paix revenue”, celui par lequel se légitime le régime Bouteflika et se justifient les retards de mise en œuvre, lui a fait défaut.
Pendant que des militaires se faisaient massacrer à Azazga, on entendait ce discours magique : “Après le recouvrement de la paix et de la sécurité, le lancement de programmes de développement ambitieux et la levée de l'état d'urgence, j'ai décidé de parachever cette démarche par un programme de réformes politiques, visant à approfondir le processus démocratique.”
En douze ans, l’ordre de priorité du programme présidentiel n’a pas changé : la paix, le développement, la démocratie. Tour à tour concomitants ou successifs, les volets sécuritaire, socioéconomique et politique ont constitué l’ossature immuable du discours officiel, tantôt comme autant de fictives réalisations, tantôt comme autant de vaines promesses. Dans la première version, ils servent à légitimer le temps passé au pouvoir ; dans la seconde, ils justifient le temps qui reste à y passer. Dans les deux cas, le programme, réalisé ou à réaliser, n’est que prétexte à s’éterniser.
Le dernier discours à la nation n’échappe pas à cette fonction instrumentale de la parole officielle. Malheureuses coïncidences : les faits se sont acharnés à désavouer le propos du Président, qu’il s’agisse de la paix démentie par les attentats d’Azazga et d’Ammal, de la liberté d’expression contredite par les observations du rapporteur spécial de l’ONU qui passait par-là ou des progrès sociaux déniés par les actions revendicatives qui se prolongent.
On peut dire, au vu de la distance qui sépare le discours de la réalité, que l’acharnement verbal n’a d’égal que l’obstination des faits. L’abstention électorale rééditée aurait pourtant dû convaincre notre pouvoir de la vanité de cette forme de résistance à la demande d’évolution politique.
Alors que le Président a dû remanier la Constitution pour se libérer de la contrainte d’alternance au pouvoir, il trouve tout de même motif à louer le système : “Le pluralisme politique”, bien que contrarié par l’usage de la fraude d’État, la pratique des “quotas”, le contrôle clientéliste du personnel politique et le monopole du verrouillage, est présenté comme une attestation de démocratie. Alors que l’État s’apprête à organiser “le pluralisme audiovisuel” dans le monopole, il trouve dans “la diversité” des médias — de papier — un signe dont nous devrions tirer fierté.
Cette conception restrictive de la démocratie laisse augurer de la qualité des réformes annoncées.
Le discours officiel frappe par sa déconnexion des réalités nationales et des exigences, non seulement du peuple, mais de l’époque, tout simplement. Après cette intervention, on ne pourra plus dire que “l’Algérie n’est pas la Tunisie, ni l’Égypte ni….” La première allocution de crise du Président inaugure le même cycle de discours des chefs d’État de ces pays : ils ont tous commencé par contester la nature politique de la crise et par annoncer quand même des “réformes”.
Nous faudra-t-il aussi passer par les étapes suivantes ?
Source Liberté Mustapha Hammouche
musthammouche@yahoo.fr
Le Pèlerin