Par les chemins de la gouvernance locale
La dernière session de l'Assemblée populaire de la wilaya de Constantine tenue ce mois de décembre nous en apprend assurément un peu plus sur les efforts qui restent encore à faire dans le domaine de la gestion locale et dans l'harmonisation des relations et des différentes articulations entre le pouvoir exécutif représenté par le wali et les élus locaux. " Je dégage ma responsabilité quant à l'esprit régionaliste qui règne dans les travaux de cette Assemblée. Je tiens à ce que cela soit consigné dans le procès-verbal ", observe le wali, selon ce qui a été rapporté, la semaine passée, par le quotidien régional public ''Ennasr''.Par Saâd Taferka
Il y a quatre ans, le wali de Béchar avait pris une initiative consistant à former un comité des sages -en fait des notables- pour "contribuer à la résolution des problèmes des citoyens". Toute l'administration de la wilaya et des daïras, l'ensemble des assemblées élues locales (APW et APC) n'avaient visiblement pas suffi à asseoir une gestion de proximité pouvant résoudre les problèmes des habitants de la wilaya. Le recours à de tels procédés informels dénote incontestablement l'existence d'un fossé béant entre les populations et ceux qui sont censés les administrer. En tout cas, ce genre d'artifice, qui peut réussir temporairement sur le court terme, a été expérimenté et mis en œuvre en d'autres circonstances même par des instances supérieures, comme ce fut le cas à Beriane lorsque le ministre de l'Intérieur a sollicité les notables locaux pour apaiser la tension entre les deux communautés (Mozabite et Chaâmba) et leur faire signer une charte pour la paix.
Au cours des soulèvements de jeunes et au cours des émeutes, le recours par l'Administration à des réseaux parallèles (notables, sages, imams) pour négocier le retour au calme est devenu monnaie courante à tel point que les instances élues sont quelque part discréditées. D'ailleurs, n'est-ce pas à cause de leur gestion contestée que les jeunes coupent les routes et versent dans la rébellion ?
Ce qui s'est passé en matière de protestation sociale au cours de ces dernières années n'a pas seulement révélé l'inanité de certaines structures ou institutions censées travailler pour le bien de la communauté, mais, plus grave, il a aussi mis en relief l'inexistence d'une société civile consciente et organisée.
A différentes occasions (journées d'études, séminaires, réunions wali-président de la République, auditions des ministres pendant les mois de Ramadhan,…), la problématique de la gestion des collectivités locales et des programmes de développement qui lui sont inhérents a été passée en revue, exposée et diagnostiquée dans ses faces les plus apparentes, sans pour autant que les choses aient évolué favorablement. Au contraire, au cours de ces dernières années, les frictions et l'animosité régnant entre des élus et les démembrements de l'Administration ont atteint des seuils intolérables qui ont conduit à la paralysie de certains services (mairies, daïras, subdivisions techniques, wilaya,…). Tous les sujets peuvent être à l'origine de la ''pomme de discorde'', à commencer par la liste des bénéficiaires du logement social ou de l'habitat rural, jusqu'aux projets PCD managés par les mairies (aménagement urbain, assainissement, désenclavement, choix des localités pour les projets de proximité,…).
Plus on soumet à un examen critique cette situation de ''mésalliance'' qui, en vérité, s'étend jusqu'à prendre en otage le monde associatif et des populations entières, plus on se rend compte que les solutions sont loin de pouvoir se limiter à de simples artifices destinés à mieux huiler la ''mécanique'' institutionnelle et à y faire régner harmonie et équilibre des pouvoirs.
Les distorsions sont trop profondes pour qu'elles se contentent par exemple du simple réaménagement du code communal, comme cela a été fait il y a quelques mois, sachant que l'environnement institutionnel en général est plongé dans une dommageable centralisation qui est loin de pouvoir répondre aux exigences de la société moderne.
"Administration locale défaillante"
Les Assises nationales sur le développement local qui se sont tenues jeudi à Alger comptent synthétiser et capitaliser les constats et les recommandations issus des regroupements régionaux que le Conseil national économique et social a organisés depuis septembre 2011 avec les élus locaux, les responsables déconcentrés de l'administration et le monde associatif. Le message du président Bouteflika, lu par son représentant, a tenté de faire le diagnostic de la gestion locale telle se décline dans ses aspects les moins flatteurs. Il relève que " les efforts considérables de l'Etat en matière de couverture de la demande sociale et d'amélioration des conditions de vie des citoyens ne sont malheureusement pas soutenus par une administration locale défaillante ".
Le verdict du président a été maintes fois réitéré lors des regroupements régionaux organisés par le CNES. Pire, n'étant pas tout à fait convaincues de la démarche de cette institution consultative, certaines parties invitées, à l'image du président de l'APW de Béjaïa, avaient préféré boycotter tout bonnement les regroupements.
Lors d'une audition réservée au département de l'Intérieur et des Collectivités locales, le président Bouteflika a eu déjà à réitérer la volonté du pouvoir politique que l'Algérie soit dotée d'une administration forte, efficace et décentralisée, pouvant se mettre au diapason des nouveaux enjeux induits par la démographie du pays, la mise en œuvre du Schéma national de l'aménagement du territoire et l'insertion de l'économie algérienne dans le marché mondial avec les coûts les moins préjudiciables pour la société et l'Etat.
Le citoyen, happé par les mille et une difficultés de la vie quotidienne, ne peut légitimement ajouter foi à des déclarations de principe ou à des projections lorsque le premier magistrat du pays lui-même reconnaît que " l'administration locale est défaillante ".
Pendant l'année 2011, la situation l'a même poussé à un peu moins d'optimisme. Peu de véritables solutions ont été apportées aux revendications des populations malgré douze mois de sit in, barricades, émeutes, grèves de la faim, immolations,…etc.
Il faut rappeler que, dans certaines communes, les Assemblées populaires communales sont pratiquement bloquées depuis le début de leur mandat en novembre 2007. Ailleurs, ce sont des blocages sporadiques dus à des dissensions persistantes entre élus de différentes obédiences politiques, ou bien des fermetures décidées par des citoyens en colère face à aux différentes impasses sociales auxquelles ils ont affaires. Les sièges de daïras ne sont pas épargnés par l'ire citoyenne. Au cours du seul mois de décembre, plus d'une dizaine de sièges ont été scellés par des protestataires en furie.
Si les structures locales (administratives ou élues) sont la cible privilégiée de citoyens désemparés, c'est qu'ils y voient et identifient la source de la " mal-gouvernance ", bien que la chaîne des responsabilités dans un pays aussi centralisé que l'Algérie invite à nuancer un tel verdict.
Dépasser les approches caduques
Lorsqu'il était au poste de ministre délégué aux Collectivité locales, Daho Ould Kablia, actuel ministre de l'Intérieur, avait dressé dresse un diagnostic sévère des maux dont souffrent les communes, entités de gestion minimale du territoire du pays. Manque de formation, dilution des responsabilités, corruption, mauvaise prise en charge du foncier, inadéquation du code communal de 1990,…etc. Toutes ces déficiences et tous ces handicaps ont fini par prendre en otage la collectivité tout entière. Cela revient à remettre sur la table des débats la notion de la démocratie telle qu'elle est perçue par les élus de base, loin des États-majors des partis. Cependant, ces derniers ne manquent pas, lorsque des intérêts sont en jeu-et c'est souvent le cas- de peser de tout leur poids pour orienter les décisions des assemblées communales dans le sens qui leur sied. D'où des frictions inévitables avec l'administration réputée, en principe, développer la notion de neutralité politique.
Des ébauches de modernisation de l'administration et des instances élues ont été initiées par les pouvoirs publics ; mais, elles restent visiblement insuffisantes. N'est-ce pas que les maires issus des élections de 2007 ont été invités à des classes de formation portant sur les techniques de gestion municipale, la gestion du territoire et les attributions administratives du président.
Non seulement la formation était insuffisante sur le plan didactique et pédagogique, mais aussi elle ne pouvait logiquement pas déboucher sur une pratique immédiate sur le terrain du fait d'une chaîne solidaire de problèmes inhérents à un code communal décrié, y compris après son amendement en 2011, à un système administratif hyper-centralisé et à un découpage du territoire désuet.
Dans son message aux Assises sur le développement local, le président de la République a fait allusion à de tels handicaps.
Il soutient que "l'effort national de développement est vain sans la contribution active des entités territoriales".
Et d'ajouter : "les approches traditionnelles renvoyant à la seule centralité des pouvoirs et des mécanismes et dispositifs qui en découlent, deviennent cadu-ques face à la demande sociale".
Source Les Débats S.T.
Le Pèlerin