Algérie - La direction sous contrôle judiciaire - Sonatrach dans la tourmente
Il sera très difficile à la compagnie nationale des hydrocarbures de se relever après le coup qu’elle a subi mercredi dernier à travers l’inculpation de 4 de ses 5 principaux dirigeants, dont le PDG et 3 vice-présidents, et non des moindres, puisqu’il s’agit des responsables de l’activité amont, exploration et production, du responsable de l’activité commercialisation et du responsable de l’activité transport par canalisations.
Si le PDG a été placé sous contrôle judiciaire ainsi que le vice-président responsable de l’activité commercialisation, les deux autres vice-présidents ont été placés sous mandat de dépôt. Cinq autres cadres dirigeants et non des moindres, puisqu’ils se classent dans la hiérarchie juste sous la fonction de vice-président, ont aussi été placés sous contrôle judiciaire. Le 5e vice-président non concerné par l’affaire a été nommé PDG par intérim. Bien que la présomption d’innocence bénéficie aux principaux inculpés, il n’en demeure pas moins que cette affaire a pris une tournure extraordinaire avec la neutralisation de la direction générale, et ce, même si les principaux inculpés seront innocentés. L’augmentation du chiffre d’affaires et la multiplication des projets parallèlement à l’augmentation des prix du pétrole ont fait que beaucoup d’argent se retrouve sur la table. Si la procédure de l’avis d’appel d’offres a donné de très bons résultats en matière de concurrence, le système du gré à gré a continué à fonctionner même s’il obéit à des critères précis.
En 2006, déjà, une enquête de l’IGF avait révélé l’importance des contrats conclus de gré à gré entre Sonatrach et BRC. L’affaire serait toujours en instruction auprès du tribunal de Bir Mourad Raïs, près la cour d’Alger.Pour ne pas avoir été protégée suffisamment, la compagnie nationale des hydrocarbures se retrouve ainsi dans la tourmente avec une direction générale décapitée en 24 heures avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur sa gestion future et sur son image de marque. L’abcès aurait pu être crevé en 2006 avec l’apparition de l’affaire des contrats de gré à gré entre Sonatrach et BRC. Il faut rappeler que Sonatrach a été créée en 1963. Elle emploie environ 120 000 personnes, y compris les filiales. Elle est classée comme la première entreprise en Afrique sur 500 entreprises industrielles et la 12e plus grande compagnie pétrolière au monde. Sa capacité de production en matière de pétrole brut est de 1 450 000 barils par jour. La production commerciale de gaz naturel est de 85 milliards de mètres cubes dont les trois quarts sont exportés.
Sonatrach est présente dans plusieurs pays à travers le monde : Espagne, Royaume-Uni, Pérou, Mali, Niger, Mauritanie, Egypte, Libye... Sonatrach a réalisé en 2008 un bénéfice net de 594,27 milliards de dinars.Elle a réalisé en 2008 une augmentation des investissements de 598 milliards de dinars contre 451 milliards de dinars en 2007, soit une augmentation de 32%. En 2008, Sonatrach a réalisé des exportations de 76,9 milliards de dollars contre 59,5 milliards de dollars en 2007 soit une hausse de près de 29,4%. La taxe sur les profits exceptionnels (TPE), prélevée sur les droits des associés et reversée au Trésor public, s’est élevée à 2,6 milliards de dollars. Sur le chapitre de la fiscalité pétrolière, Sonatrach a versé au Trésor public 6489 milliards de dinars, dont 3296 milliards au titre de la régularisation comptable des exercices 2006 et 2007. Pour 2009 et suite à la chute des prix du pétrole, les exportations se situeraient aux environs de 43 milliards de dollars. Les recettes des hydrocarbures représentent 98% des revenus extérieurs de l’Algérie. C’est grâce à ces recettes que l’Algérie a pu payer une dette extérieure qui avoisinait les 30 milliards de dollars et qui avait mis à genoux le pays durant deux décennies.
Une diversion ?
La première entreprise africaine gangrenée par la quasi-totalité de ses dirigeants ! Ce que l’on raconte de l’Algérie en matière de corruption est bien en deçà de la réalité si l’on se réfère au scandale qui vient d’éclater à Sonatrach. Le président et quatre vice-présidents sur les cinq que compte la société sont impliqués dans des affaires liées au banditisme en col blanc. Heureusement qu’il en reste un cinquième, qui a été désigné pour assurer l’intérim. Ainsi, cette société, qui est notre fierté nationale, est devenue un repaire de corrompus. Des personnes impliquées ont même initié leurs enfants à la corruption, soulignant ainsi le degré d’immoralité dans lequel est tombé le pays. La crédibilité de Sonatrach sur la scène internationale en pâtira, elle qui a été considérée, jusqu’à une époque récente, comme un modèle pour le Tiers-Monde et un exemple à suivre pour les capacités managériales des Algériens. Depuis une dizaine d’années, elle est entrée dans une zone de turbulences, suite hasardeuse décidée par le ministre de l’Energie, Chakib Khelil. N’a-t-il pas ramené son cousin Réda Kemch, un trafiquant de voitures qui a fait de la prison en France, pour l’imposer comme directeur de cabinet du PDG ?
Mais cette décapitation de la direction de Sonatrach de façon aussi brutale ne cache-t-elle pas autre chose ? N’est-elle pas un pare-feu qui s’attaque à des niveaux intermédiaires pour empêcher d’aller à un niveau élevé ? L’on se rappelle l’affaire Khalifa. Ce n’est que le menu fretin qui a payé. Un très haut responsable a témoigné avoir falsifié des documents ; la présidente du tribunal ne l’a pas inquiété sous prétexte que c’est un témoin. Cela ne l’a pas empêché d’ordonner l’arrestation, en pleine audience, d’un autre témoin quelques jours plus tard. Le scandale de l’autoroute Est-Ouest est aussi significatif. Le secrétaire général du ministère des Travaux publics est inculpé. Est-ce que ses supérieurs ne savaient pas alors que des milliards de dollars étaient en jeu ? Aucun citoyen n’est en mesure d’accepter la version officielle. En liaison avec cette affaire, El Watan a révélé récemment que le trafiquant d’armes français Falcone, qui a maille à partir avec la justice de son pays, a séjourné en Algérie et eu affaire avec Chakib Khelil et Mohamed Béjaoui, l’ancien ministre des Affaires étrangères notamment. Aucune réaction officielle. Les chambres de béni-oui-oui qu’on appelle Assemblée nationale et Sénat n’ont rien trouvé à redire. « Les chiens aboient, la caravane passe » semble être la devise des maîtres du pays. Des seconds couteaux payeront pour l’ensemble, dans l’espoir de calmer l’opinion publique. Il est à craindre que le scandale de Sonatrach entre dans cette catégorie.
Source El Watan Liès Sahar / Tayeb Belghiche
Le Pèlerin