Les visas, abcès de fixation entre Alger et Paris
Alors que l'Algérie et la France se préparent à conclure un nouvel avenant à l'accord bilatéral de 1968, la négociation est polluée par une enquête de la Cimade sur les conditions de délivrance des visas.
L’ONG a noté un taux de refus record avec 35% de refus que les autorités consulaires françaises ont attribué à un “risque migratoire” élevé des Algériens. Une précision sur la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) : c’est une association née en 1939, dans le feu de la Seconde Guerre mondiale, pour porter assistance aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine, puis aux personnes enfermées dans les camps d’internement. Sa mission a évolué et, aujourd’hui, elle est vouée exclusivement à l’assistance aux immigrés clandestins. Depuis 1984 et jusqu’au 31 décembre dernier, elle était la seule à intervenir dans les centres de rétention administrative où sont enfermés les sans-papiers en voie d’expulsion.
Désormais, elle partage cette mission de vigile avec quatre associations (France Terre d’Asile, Forum Réfugiés, Ordre de Malte, ASSFAM). C’est une mission financée par le gouvernement sur le budget du ministère de l’Immigration qui va y consacrer 11,5 millions d’euros en 2010.
En se rendant en Algérie au même titre que dans cinq autres pays, la Cimade est revenue avec le constat que les Algériens, première communauté étrangère en France et premiers demandeurs de l’autorisation d’entrée dans l’Hexagone, sont discriminés en matière de délivrance des visas. Plus généralement, l’ONG s’émeut du coût des visas et du fait que les demandeurs ne sont pas remboursés en cas de refus. C’est une règle qui n’est pas exclusive à la France mais de tous les pays de l’espace Schengen, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Dans les années 90, les Algériens souhaitant se rendre à Londres devaient déposer leur demande à Tunis avec tout ce que cela impliquait comme frais... C’est dire que les choses ont bien changé. En laissant entendre que les Algériens sont discriminés, la Cimade a laissé jaillir un flot de critiques contre la France, renvoyée à son histoire coloniale. En matière de visas, l’Algérie applique depuis peu la règle de la réciprocité même si la plus forte demande émane des binationaux qui préfèrent voyager avec un passeport français. La Tunisie et le Maroc n’imposent pas de visa aux Français qui constituent une grande clientèle touristique. Avec la Tunisie, la France a signé l’année dernière un accord de gestion des flux migratoires. Elle souhaite conclure le même avec le Maroc avant la fin de l’année. C’est le délai qu’elle se donne pour la révision de l’accord de 1968 avec l’Algérie. L’enquête de la Cimade va-t-elle contrarier ce projet ? Peu sûr car les données livrées par l’ONG étaient publiques et donc connues des autorités algériennes. Le message du président Bouteflika à Nicolas Sarkozy à l’occasion de la fête nationale française est, par ailleurs, empreint d’une volonté d’apaisement.
La négociation prévoit d’ailleurs un volet sur les visas. Pour l’Algérie, il n’est pas question d’évoquer la lutte contre l’immigration clandestine mais de faciliter la circulation pour une meilleure cohésion de la communauté. “Une bonne négociation doit renforcer le droit des Algériens en matière d’établissement et de circulation”, assurait-on il y a quelque temps auprès de la délégation algérienne. L’Algérie souhaite ainsi des visas de un à cinq ans au bénéfice des hommes d’affaires, universitaires, artistes et journalistes.
Elle veut un renforcement du regroupement familial, notamment pour les enfants adoptés sous le régime de la kafala. Actuellement, l’examen de leur demande met entre un et deux ans. cela reste quand même un privilège puisque pour les autres pays, il n’est même pas reconnu, l’adoption étant régie par une réglementation sévère en France. L’Algérie demande aussi une “diligence” dans l’examen des demandes de visas dans le cadre de visites familiales, soins et démarches administratives dans le cas des successions. Pour ses étudiants, elle veut une suppression du permis de travail et une augmentation du volume horaire actuellement de 16 heures par semaine. Pour les étudiants des autres nationalités, il est de 20 heures. En contrepartie, la France demande la réciprocité pour la circulation, l’établissement et les droits patrimoniaux. Les Français voudraient se voir reconnu le droit d’acheter des biens immobiliers, de les vendre et d’en transférer les bénéfices. Une demande inaccessible. “Nous avons expliqué gentiment aux Français que de tels droits vont à l’encontre des principes de notre Révolution. Ils ont compris”. Les Français jouissent déjà en Algérie de privilèges qui ne sont pas reconnus aux ressortissants d’autres pays. Ces privilèges ont été consacrés par deux décrets publiés en 1976 et en 1988. Un Français installé en Algérie se voit délivrer un titre de séjour de deux ans, renouvelable une fois avant de passer à 10 ans. Après trois rencontres exploratoires, la négociation de fond va avoir lieu à Paris. Les chefs des deux délégations tentent de faire converger leur agenda en vue de fixer une date. La première rencontre a eu lieu en juillet 2009 à Alger et a servi à poser le cadre et les principes de la négociation. Deux autres, à Paris en septembre 2009 et à Alger en novembre 2009, ont permis à chaque partie de remettre ses propositions à l’autre. La France souhaite boucler le dossier avant la fin de l’année. L’Algérie n’est pas aussi pressée. Mais l’Algérie tient à l’accord bilatéral qui lui accorde un régime dérogatoire favorable et veut le renforcer avec les éléments positifs contenus dans le droit commun.
Source Liberté Ameur Ouali
Le Pèlerin