Bonne année 2012 !
De partout, les vœux vont fuser, tels ces impressionnants feux d’artifice qui vont colorer les cieux des grandes villes du monde. Du plus petit hameau au château enguirlandé, ce sont les mêmes mots qui vont dessiner des sourires d’espoir sur les visages abattus par les instabilités de ce terrible an 2011 ! Et d’abord, puisqu’on en parle, que retenir de l’année qui s’achève ?
Un printemps arabe qui s’est terminé par cette terrible image d’un sexagénaire massacré par des barbus en folie qui exposent sans retenue son corps charcuté, ainsi que celui de son fils ! Le printemps évoque les champs fleuris, la nature en fête, le renouveau et l’espoir, mais ce printemps-là, on le connaît bien : son ciel est d’un gris maussade et sa nature est rougie par le sang. Oui, les révoltes des peuples arabes peuvent figurer au fronton de cette année pas comme les autres, des révoltes qui ont permis de faire tomber des tyrans d’un autre âge, fabriqués, soutenus et aidés par ce même Occident qui, contre toute attente, mobilisa diplomatie, Nations unies et Otan pour les détrôner ! Nous parlons bien de révoltes, car la révolution est tout à fait autre chose. En Tunisie, elle aurait été possible si les comités de quartiers, créés spontanément par les citoyens pour protéger leurs cités, avaient pu jouer un rôle dans la construction des nouvelles institutions, si les travailleurs, les paysans et les larges couches démunies vivant sous le seuil de la pauvreté avaient pu porter plus longtemps et plus rentablement le message de Bouazizi. Car, enfin, comment parler de révolution lorsque le pauvre a l’impression de s’appauvrir davantage dans une société où le riche ne cesse de s’enrichir ? C’est de pain et de dignité qu’il faut d’abord parler et la réponse à ces besoins n’est pas encore visible en Tunisie. D’autre part, ces mouvements se sont traduits, sur le plan politique, par l’émergence de nouveaux pouvoirs dominés par les islamistes et ces derniers sont les meilleurs agents de l’ultralibéralisme. Paradoxe : si, dans les Etats nationaux dirigés par les dictatures, il y avait un minimum de résistance contre la «bazardisation» des économies, aucun frein ne sera désormais mis par les islamistes à l’ouverture des frontières et aux bradages des richesses nationales ! 2011 fut aussi l’année où beaucoup d’Algériens pensaient que la contagion allait s’étendre à leur pays. Certains, dans un mimétisme confinant au ridicule, se sont mis à faire la révolution sur Facebook, ignorant que chaque pays a ses réalités et chaque société ses propres réflexes. Les révoltes des jeunes du début 2011 ont été totalement travesties par la presse occidentale qui n’y a vu que des «émeutes du pain» et un début de «printemps arabe» en Algérie. Relayé par les grandes chaînes d’information françaises et Médi1, ce discours butera sur la réalité d’un peuple qui a connu tant de révolutions sanglantes par le passé qu’il n’a aucune envie de revivre ces drames aujourd’hui. N’importe quel citoyen vous dira «barakat !», non pas à la cinquantaine d’années d’indépendance qui lui a donné tout ce que ses parents n’avaient pas, mais halte à la manipulation et au mimétisme. La Révolution du 1er Novembre était porteuse d’un projet social basé sur le partage des richesses et c’est à ce titre qu’elle reste une grande révolution. S’il ne s’agissait que de changement d’hommes et de couleurs au-dessus de nos mairies, elle n’aurait pas mérité tant de sacrifices ! La Révolution devait améliorer les conditions de vie de ce peuple, lui donner du travail, des habitations, des écoles, des hôpitaux, une infrastructure de base, etc. Elle devait lui assurer une couverture sociale digne des pays les plus avancés en matière de droits sociaux et culturels. Au fil des 50 années d’indépendance, ces acquis se sont renforcés grâce à la lutte des travailleurs algériens qui continuent, en cette fin d’année 2011, de demander plus dans un cadre moderne et civilisé ! L’Algérien ne se révolte pas pour rien. Aux acquis sociaux uniques dans le monde arabe et certainement à travers le Bassin méditerranéen, sont venus s’ajouter des droits politiques après la révolution de 1988 qui a mis fin au système du parti unique. Et même si ses résultats furent mis entre parenthèses par la suite, elle reste un phare pour toutes les générations rebelles du monde ! C’est la première révolution à mettre bas un tel système, une année avant la chute du mur de Berlin ! Les révoltes de Budapest (1956) et de Prague (1968) ne sont pas allées jusqu’au bout et c’est d’Alger, de Bab El Oued, qu’est venu le signal de la fin des dictatures de la pensée unique. Quelques années plus tard, c’est tout l’empire soviétique qui tombera lourdement. Le monde arabe sera atteint 23 années plus tard ! Pourquoi ne serions-nous pas fiers de notre histoire récente ? Et pourquoi nos cinéastes, nos romanciers, nos hommes de théâtre ne témoignent-ils pas ? Sur le 5 Octobre, mais aussi sur la grande révolution des patriotes de la décennie 90 qui a mis en échec les plans machiavéliques de l’impérialisme, qui a créé de toutes pièces le terrorisme islamiste en Afghanistan ! Mais aussi sur le Printemps berbère de 1980, véritable départ d’un épisodique mouvement de révolte qui sera général en 1988 ! Mais aussi sur le printemps noir et ses nouveaux mots d’ordre citoyens ! Notre histoire ancienne et récente regorge de révolutions et de mouvements de rébellion contre les pouvoirs despotiques, pour la liberté et la justice. Ce n’est pas en 2011 que nous nous sommes réveillés ! Alors, bonne année 2012 ! Trêve de politique et de révolutions. Revenons à vous : pas de grands vœux hypocrites pour cette nouvelle année. Laissez-les aux autres. Pas vous ! Essayez plutôt de commencer cette année par un geste simple qui va vous réconcilier avec vous-même ! Allez rendre visite à vos parents. Vous le faites chaque semaine ? Tant mieux. Pensez alors à cette vieille tante qui n’entend plus, ne voit plus. Allez la serrez contre votre poitrine. Vous ne verrez pas les larmes de joie et d’espoir lui redonner le goût de la vie, mais vous verrez ce large sourire et ça suffira à votre bonheur. Allez à la rencontre du voisin ou de l’ami qui est devenu votre ennemi : pour une futilité ou pour de l’argent. Sachez pardonner, rien n’est plus mortel que la haine. Allez leur dire que votre cœur est bon et que 2012 vous donnera, à tous, de belles occasions pour vous rencontrer, dans l’amitié et la confiance. Secouez vos poches lorsque vous tombez sur le regard de désarroi de cette dame et de son bébé, jetés dans la rue par l’indifférence et l’égoïsme. Vous habitez l’immeuble au-dessus ? Faites-la monter, elle et son bébé ; donnez- leur une boisson chaude et un peu de pain… Vous verrez alors un grand arc-en-ciel surgir dans votre domicile et ses couleurs égayeront tous les jours de l’année à venir. Allez chez les malades, chez les handicapés, chez les pauvres, chez tous ceux qui ont besoin d’un geste ou d’un regard ! Allez là où votre main sera attendue, là où votre cœur vous guidera, là où votre place est inoccupée dans la grande chaîne de la solidarité et de l’amour. Prenez votre place et tenez les mains de vos voisins. Je ne sais pas si je serai près de vous ou très loin, là-bas peutêtre à des milliers de kilomètres, mais, quand nos cœurs se mettront à battre au même rythme, vous verrez… Vous verrez que 2012 sera la meilleure année et que les mauvais prophètes qui ont inventé le mythe de la fin du monde parlent, en fait, de leur monde à eux, celui de l’injustice et de la haine. Que 2012 soit le début de notre monde à nous, peuples du Sud tant de fois humiliés. A nous, Algériens, qui ne devons plus douter de ce que nous sommes, de ce que nous avons réalisé sous le soleil de l’indépendance, de toutes les victoires remportées contre des ennemis de toutes sortes ! L’Algérien avait une espérance de vie de 48 ans en 1962 ! Elle était de 78 ans à la fin des années 2010 ! Voilà ce qu’a fait l’Algérie indépendante pour ses enfants. Alors, oui, maintenant, je peux dire «Amies lectrices, amis lecteurs, très bonne année 2010 !».
Source Le Soir d’Algérie Maâmar Farah
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