Algérie - Oran. Institut Cervantès - Wassila Tamzali présente La burqa comme excuse
Face au débat sur la burqa, ou voile intégral, qui préoccupe la société française, et, par extension, toute l’Europe, l’avis d’une femme qui se revendique d’«une éducation algérienne» est là pour nous éclairer.
Cependant, ce qui rend Wassila Tamzali «une femme en colère», ce n’est pas tant les avis de la classe politique hésitant entre le pour et le contre, mais l’attitude envers ce problème de l’intelligentsia en général et de certains intellectuels de gauche en particulier, avec lesquels elle partage les valeurs universelles de progrès (toujours en construction) héritées du siècle des lumières, des idéaux de la Révolution française, de l’utopie marxiste, des luttes anticoloniales, mais aussi des bouleversements de mai 68 et les mouvements singuliers qu’ils ont engendré, tel le féminisme. C’est de cette confrontation qu’elle a eue avec ses pairs «occidentaux», particulièrement tolérants envers «ce déni de la femme», qu’elle est venue, samedi dernier, débattre à Oran, à l’initiative de l’Institut Cervantès.
La rencontre a été organisée à l’occasion de la sortie de son livre en langue espagnole, intitulé El Burka Como Excusa (La burqa comme excuse) chez Saga Editorial, un ouvrage plus détaillé que sa version française commandée auparavant par les éditions Chèvrefeuille étoilé et ayant pour titre Burqa ? Son intervention renvoie à ses livres où le développement et l’analyse de cette problématique sont plus nuancés, mais son idée est que «le glissement vers le culturel et le religieux masque les vrais problèmes, qui, eux, sont de nature politique, tels le racisme, l’intégration, etc.» Au nom du «relativisme culturel», les intellectuels adoptent, selon elle, des attitudes tolérantes et finissent par accepter ce qu’eux-mêmes admettent comme étant un déni de liberté pour les femmes. Derrière la burqa, ou voile intégral, se cache en réalité tout un projet de société et des ramifications politiques et idéologiques en totale contradiction avec le progrès.
Condition inhumaine
«Quand les premières images de la burqa sont apparues en Afghanistan, tout le monde s’en est ému, mais quand le phénomène a débarqué en France et en Europe, l’attitude a changé tout d’un coup, mais c’est peut-être pour des considérations électoralistes», s’étonne Wassila Tamzali, qui propose le retour à l’analyse politique face à ce glissement opéré vers le culturel et le cultuel. Argument à l’appui, elle remet en cause l’idée selon laquelle le port ou pas du voile dépend du choix de la personne et s’inscrit donc dans le registre des libertés individuelles. Il y a des cas où ni la notion de choix ni celle de liberté ne sont pertinentes et elle met en avant la notion de consentement en donnant l’exemple de la polygamie. «Une femme peut consentir, même librement, à devenir la deuxième épouse d’un homme déjà marié, mais là, ce ne sont ni les critères de choix ni ceux de la liberté qui entrent en jeu», indique-t-elle, en rappelant que la polygamie est interdite en France, et que, se référant à Claude Levi Strauss, l’interdit est l’un des éléments qui fondent les sociétés humaines.
Ayant travaillé pendant de longues années avec l’Unesco sur la condition féminine, Wassila Tamzali avance qu’actuellement en Algérie, environ 65% des femmes portent le voile et que le taux de polygamie est passé de moins de 0,3% en 1962 à plus de 5% aujourd’hui. «Nos rêves ne se sont pas accomplis», déplore-t-elle, en référence aux idéaux pour lesquels ceux et celles de sa génération ont milité à l’aube de l’indépendance. «Nous avons, poursuit-elle, négligé les luttes singulières au détriment du développement, de l’alphabétisation, etc.» Elle constate aujourd’hui que «le vocabulaire marxiste, le concept de lutte des classes et les aspirations vers la liberté, au sens politique du terme, ont disparu et on ne parle plus que de culture, de religion et, pour ce dernier cas, ce sont plutôt les aspects comportementalistes qui sont mis en avant au lieu de la spiritualité.»
La condition féminine a, selon elle, une place centrale dans le politique et ceux qui visent l’enfermement de la femme projettent en réalité d’avoir une mainmise et un contrôle sur la société pour la pérennisation de leur pouvoir. C’est notamment le cas cité des régimes qui se sont éternisés après la décolonisation opérée à la deuxième moitié du siècle dernier, mais l’espoir viendra peut-être de Tunisie avec l’élection d’une constituante qui accorde la parité aux femmes, une avancée spectaculaire. Mais le combat n’est pas uniquement juridique en décrétant l’égalité, car pour Wassila Tamzali, pour qui «l’histoire est en train de se remettre en marche», il ne peut y avoir de liberté sans liberté de conscience.
Source El Watan Djamel Benachour
Le Pèlerin