Les grottes du Mas-d'Azil et de Bédeilhac
Creusées par l'inlassable travail des glaciers et de l'eau, marquées par les rites chamaniques de nos plus lointains ancêtres, les grottes ne paraissaient pas concernées par la folie des guerres. Elles ne purent y échapper pourtant...
En mai 1940, les affaires commençaient à devenir sérieuses et même désastreuses pour l'armée française, qui voyait sa fameuse ligne Maginot contournée par les troupes allemandes. Un peu partout sur le territoire, les industriels, impliqués dans les efforts de guerre, cherchèrent à se protéger des bombardements qui risquaient de se multiplier si le ciel continuait à être presque exclusivement contrôlé par la Luftwaffe. À Toulouse, les usines d'avions Dewoitine jetèrent leur dévolu sur deux gigantesques cavités ariégeoises : le Mas-d'Azil et Bédeilhac. Il s'agissait de pouvoir monter les appareils à l'abri des bombes, ce qui paraissait acquis en de tels lieux. C'est finalement le maire de Bédeilhac qui, en proposant de louer ce que l'on appelait parfois «l'antre de Tarascon», fit pencher la balance sur la Haute-Ariège.
Un tracé de route fut étudié et, surtout, on prévit d'araser et de bétonner totalement le sol de l'immense porche de la grotte. Les monuments historiques s'en émurent bien un peu, mais ils ne pouvaient, en une telle période, qu'«émettre des réserves» et recommander de fermer les galeries et les salles présentant un intérêt préhistorique. Ce que ne purent faire les services de protection du patrimoine fut paradoxalement assuré par l'effondrement des armées et l'armistice de juin 1940: le combat cessant, on abandonna le projet.
Pas pour très longtemps, d'ailleurs, car trois ans plus tard, ce fut au tour des Allemands de faire grise mine et de chercher à se protéger d'éventuels bombardements. Leurs déconvenues sur le front de l'Est et en Afrique du Nord, leur incapacité à anéantir l'Angleterre et l'entrée en guerre des Américains dans le Pacifique avaient considérablement changé les choses depuis 1940. Par conséquent, ils réclamèrent à leur tour au préfet de l'Ariège un inventaire complet des grottes du département pour protéger des ateliers militaires. Il est très probable qu'une main collaboratrice fit alors sortir des cartons le projet Dewoitine à Bédeilhac. Il fut immédiatement ajusté aux besoins du moment et reprit son cours au profit des forces d'occupation.
Le colossal porche de la grotte du Mas-d'Azil:
Plus de quatre-vingts mètres de haut.
Alors débuta la grande blessure de ce lieu magnifique, temple de la préhistoire. Bulldozers et camions se succédèrent, pour aplanir le vaste porche d'entrée sur plus de trois cents mètres. Combien de silex taillés, d'os sculptés et de témoignages du passage des chasseurs magdaléniens furent perdus dans ce désastre ? Cette grotte aux dimensions hors normes aurait pu être un paradis pour archéologues sans ces travaux, car les fouilles antérieures n'avaient été que partielles. Pourtant, on coula du béton sur ce trésor.
«L'usine de Bédeilhac», réalisation allemande sur un projet français, servit à réparer les chasseurs bombardiers de la Luftwaffe. Ces oiseaux de fer blessés étaient emmenés sous ce porche protecteur où on leur refaisait une santé, pour qu'ils puissent reprendre leur œuvre de mort et de destruction. Mais en août 1944, les occupants quittèrent précipitamment la base sous la pression des maquis locaux, laissant là quelques squelettes de Junker 88 et un peu de matériel.
Le terrain était laissé libre à l'imagination. La présence d'avions dans la grotte, le grondement des moteurs et l'interdiction formelle d'approcher imposée aux habitants du village avaient fait naître une belle légende : la vaste esplanade bétonnée aurait servi, en réalité, de piste de décollage et d'atterrissage ! C'était techniquement impossible pour de lourds avions comme les Junkers, mais l'idée était belle et fit recette. Pour réussir la prouesse d'une telle base aérienne souterraine, il aurait fallu percer la montagne de part en part, et certains pensent encore que les Allemands avaient ce projet fou. Pour les gamins de Bédeilhac, après-guerre, ce fut surtout un fabuleux terrain de jeu, plein de rêves et d'ombres, au milieu des cadavres des machines volantes et aux portes des mystères de la préhistoire.
Le mythe de la «piste aérienne» fut si fort que le journaliste et homme de lettres Christian Bernadac, natif du village voisin d'Ornolac, demanda à Georges Bonnet, pilote d'essai chevronné, s'il était envisageable de tenter l'expérience. Homme méthodique et méticuleux, ce dernier prépara longuement son affaire et, en 1972, il réussit, aux commandes de son petit Rallye Morane, à se poser et à décoller à deux reprises. Ce fut indiscutablement une prouesse exceptionnelle, mais certains braves habitants de Bédeilhac qui y assistèrent sentirent des ailes pousser à leurs souvenirs et affirmèrent sans hésitation qu'ils l'avaient «déjà vu faire pendant la guerre, parfois même de nuit ! » Pas une seule seconde Bonnet ne put cautionner ce discours, tant l'approche et le posé lui avaient donné de sueurs froides, mais l'imagination est toujours plus forte que la raison.
La tentative de 1972
Comble de tout, deux années plus tard, le pilote réalisa cette même performance, sur le même avion, vaguement grimé aux couleurs allemandes cette fois, pour le tournage du feuilleton télévisé Le passe-montagne, réalisé par son ami Christian Bernadac. Et toute une génération, devant son poste de télévision, fut persuadée que la grotte de Bédeilhac était une piste de décollage pour avions de guerre ! Il faut parfois se soumettre au diktat des certitudes fantasmées : d'ici peu, un avion identique à celui de Bonnet viendra décorer l'entrée du porche monumental. Du silex à l'avion, Bédeilhac aura tout connu.
Si la grotte des environs de Tarascon fut bétonnée au profit de l'effort militaire allemand, il s'en fallut de peu que le Mas-d'Azil ne subisse le même sort. Le projet était de fermer les deux accès de la cavité par de gigantesques murs de béton, de faire sauter les galeries intérieures et d'y aménager une usine d'armement. Cette sale manie de vouloir faire jouer la poudre dans la grotte du Mas, inaugurée en d'autres temps par Richelieu pour éviter que les protestants ne l'occupent1, aurait alors pris des proportions absolument dramatiques et définitives. Fort heureusement, le projet fut abandonné, faute de temps tout simplement. En effet, durant l'été 1944, les Allemands présents dans le département avaient bien d'autres soucis en tête que de s'occuper de l'aménagement des grottes : ils avaient à affronter les maquis locaux, ceux-là mêmes qui allaient les obliger à déposer les armes.
La salle du temple fut divisée en deux par les artificiers du roi envoyés là par Richelieu. Il s'agissait essentiellement d'éviter que la grotte puisse servir de retranchement, comme ce fut le cas pendant le siège du Mas, en 1625.
Si la grotte des environs de Tarascon fut bétonnée au profit de l'effort militaire allemand, il s'en fallut de peu que le Mas-d'Azil ne subisse le même sort. Le projet était de fermer les deux accès de la cavité par de gigantesques murs de béton, de faire sauter les galeries intérieures et d'y aménager une usine d'armement. Cette sale manie de vouloir faire jouer la poudre dans la grotte du Mas, inaugurée en d'autres temps par Richelieu pour éviter que les protestants ne l'occupent1, aurait alors pris des proportions absolument dramatiques et définitives. Fort heureusement, le projet fut abandonné, faute de temps tout simplement. En effet, durant l'été 1944, les Allemands présents dans le département avaient bien d'autres soucis en tête que de s'occuper de l'aménagement des grottes : ils avaient à affronter les maquis locaux, ceux-là mêmes qui allaient les obliger à déposer les armes.
Nota:La salle du temple fut divisée en deux par les artificiers du roi envoyés là par Richelieu. Il s'agissait essentiellement d'éviter que la grotte puisse servir de retranchement, comme ce fut le cas pendant le siège du Mas, en 1625.
Source Les Mystères de l’Ariège
Le Pèlerin