Algérie : mais où est passé l’argent du pétrole (2)
Premier besoin : acheter la paix sociale. En juin dernier, une loi de finances complémentaire a gonflé les dépenses de l’Etat de 8 milliards d’euros pour maintenir les subventions aux denrées de base (des hausses de prix avaient déclenché des émeutes en janvier) et augmenter les salaires des agents de l’Etat . «Le gouvernement se vante de ses énormes réserves, alors les fonctionnaires réclament leur part», ironise Omar Belhouchet, directeur du quotidien indépendant «El Watan». Le pouvoir utilise aussi sa cagnotte pour le logement (de grands ensembles sortent de terre autour de la capitale) mais cela ne suffit pas, selon un rapport de l’ONU : 1 million d’habitations seraient inoccupées ; on s’entasse à plusieurs familles par appartement dans les secteurs populaires, comme à Bab El Oued ; et les bidonvilles prolifèrent près du centre d’Alger, où des ictimes du séisme de 2003 vivent toujours dans des baraquements.
Une grosse partie de la manne pétrolière va enfin aux infrastructures. Mais la plupart des grands travaux prennent du retard. Un tronçon du métro d’Alger a été inauguré en octobre… trente ans après les premiers coups de pioche. Le tramway promis pour 2009 est loin d’être fini. Les nouvelles lignes de chemin de fer annoncées en 2006 restent à quai. «Sur ces chantiers, il y a des litiges à n’en plus finir, raconte un consultant européen. Pour s’en sortir, il faut graisser la patte de certains décideurs.» On a ainsi retrouvé la trace au Luxembourg des centaines de millions d’euros versés par l’entreprise chinoise en charge des 1 200 kilomètres de l’autoroute Est-Ouest. «Tant que le pouvoir tolérera ce système, rien ne changera», dénonce Hocine Malti, auteur de l’«Histoire secrète du pétrole algérien» (La Découverte) et ancien dirigeant de la Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures, qui a changé quatre fois de P-DG en trois ans sur fond de scandales à répétition. A ce décor s’ajoutent encore les réseaux mafieux qui tiennent les filières d’importation pour le marché informel. Au final, quelque 20 milliards de dollars auraient été transférés illicitement à l’étranger au cours de la dernière décennie, selon l’ONG américaine Global Financial Integrity.
Mais plus que la corruption, le vrai drame de l’Algérie est son incapacité à se moderniser. Le secteur privé représente 60% de l’activité officielle, mais il s’agit pour l’essentiel d’artisanat et de petits commerces. Une unique entreprise privée, le groupe agroalimentaire Cevital, dépasse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Seules une dizaine de sociétés, presque toutes publiques, sont cotées en Bourse. Même archaïsme au quotidien : il n’est pas évident de payer par carte bancaire, mais très facile de changer des euros en dinars dans la rue 40% au-dessus du cours officiel. Pas étonnant que les élites économiques désespèrent de voir leur pays rejoindre le peloton des pays émergents. «Le système oscille entre le dirigisme à la soviétique et un libéralisme mal assumé», regrette Reda Hamiani, le «patron des patrons» algérien, qui reçoit dans sa villa cossue de Cheraga. De fait, après la «décennie noire», l’Etat a privatisé des PME dans l’alimentaire, le textile ou le bâtiment, mais hésite toujours à céder les sociétés plus importantes. La privatisation du Crédit populaire d’Algérie a été bloquée au dernier moment alors que le Lyonnais était sur les rangs. Et depuis deux ans, le gouvernement est en conflit avec le principal opérateur mobile, Djezzy (16,5 millions d’abonnés), et ses actionnaires égyptiens et russes. Après avoir condamné la firme à une forte amende pour fraude fiscale, il veut maintenant en prendre le contrôle.
Ce genre d’affaires inquiète les entreprises étrangères. Les Français présents – Danone, BNP, Axa, Michelin… – n’évoquent pas publiquement leur business algérien. «Les autorités reprochent à Renault de construire une usine au Maroc et pas ici, mais en vérité, il est trop compliqué d’installer une usine de cette importance en Algérie», explique un importateur de pièces détachées. D’autant que la réglementation s’est durcie depuis trois ans : toute société étrangère, y compris un simple importateur, doit désormais avoir un partenaire local détenant au moins 30% du capital. «Le pays a toujours été très tatillon avec les investisseurs étrangers, constate Reda Hamiani. Si bien qu’aucun grand nom de la distribution ou du tourisme ne se risque chez nous.»
Et si le salut venait des Algériens expatriés ? C’est le credo d’Abdelouahab Rahim qui, fortune faite en Suisse et au Moyen-Orient, est revenu en Algérie où son groupe Arcofina est présent dans les assurances, l’hôtellerie et l’immobilier. «Sept millions d’Algériens vivent à l’étranger, dont beaucoup ont réussi. Si le pays faisait appel à eux, ça ferait bouger les choses sans heurter notre nationalisme très chatouilleux», soutient ce businessman de 60 ans dans son gigantesque bureau au sommet de la seule tour d’affaires de la capitale. Il vient de créer l’Association internationale de la diaspora algérienne (Aida) et rêve tout haut : «Rien que dans la Silicon Valley, une trentaine d’entre nous pourraient aider des start-up algériennes.»
Sans attendre son appel, Nassim Kerdjoudj a déjà franchi le pas. Après avoir fait ses études à Paris et occupé un beau poste chez IBM France, cet informaticien est venu créer une SSII à Alger, Net-Skills, qui travaille entre autres pour l’opérateur mobile Mobilis. «J’ai trouvé des partenaires locaux et me suis lancé. Les besoins sont énormes, donc on peut faire du business», raisonne le jeune patron, qui dit faire 6 millions d’euros de chiffre d’affaires. Tout aussi optimiste, Cerine Mefidène. Née en France, cette jeune femme diplômée d’une école de commerce a suivi ici son mari, un haut fonctionnaire, pour devenir directrice marketing de Condor, une marque locale d’électroménager et de téléviseurs qui se fait une réputation. «On fabrique sur place avec des standards internationaux, assure-t-elle. Vous verrez bientôt nos produits dans les hypermarchés français, j’en suis sûre.» L’amorce d’un «miracle algérien» ? Cela serait une excellente nouvelle.
Source Capital.fr Eric Wattez
Envoyé spécial à Alger,
Le Pèlerin