2011, l’année où tout semblait permis
L’hiver islamiste a succédé au printemps démocratique. C’est du moins le fait marquant de cette année 2011. En Tunisie, au Maroc et en Égypte, ce ne sont pas ceux qui ont été à l’origine des changements mettant fin aux régimes autoritaires qui ont raflé la mise, mais ceux qui sont restés tapis dans l’ombre des mosquées, à savoir les islamistes. Comme la révolution de 1848 en France, la révolution égyptienne a avorté pour laisser place à une contrerévolution conservatrice, tandis qu’en Tunisie, la percée inattendue d’Ennahda a jeté un froid sur un mouvement populaire porteur d’une réelle espérance.
Et si en Égypte, le taux de participation a dépassé les 60%, en Tunisie, à peine un électeur sur deux s’était rendu aux urnes. Quoi qu’il en soit, en Égypte, la percée des salafistes dont d’anciens djihadistes, ex-compagnons de route d’Ayman Al Zawahiri, actuel leader d’Al-Qaïda, n’a surpris que les naïfs dans un pays fortement islamisé depuis que le président Anouar Al Sadate a passé un deal avec les islamistes afin de briser la gauche marxiste et les nassériens. Il a été même jusqu’à confier aux islamistes les rênes de la justice, de l’éducation et des médias. Du coup, les Frères musulmans, sur lesquels pariaient les États- Unis, mais aussi la France, avec l’aval de leurs alliés régionaux, Qatar et Arabie saoudite en tête, se sont crus obligés de rassurer les laïcs et les Coptes, en fait l’Occident capitaliste, affirmant par la voix de leur porteparole, Mahmoud Ghozlane, que le Parti de la liberté et du développement (PLD), la vitrine politique des «frères», représente «un islam centriste et modéré». Et mieux, qu’il n’imposera «rien par la force». Quoique victime de ses hésitations, la gauche égyptienne, qui a qualifié ces résultats de «catastrophiques», a certainement fait les frais du «deal» conclu entre le CSFA (Conseil supérieur des forces armées), qui détient pour l’heure la réalité du pouvoir, et les Frères musulmans. Un deal portant sur un partage du pouvoir — l’armée gardant ses privilèges — et la préservation des accords internationaux avec l’aval du maître américain. Pour l’heure, s’assurant près de 60% des voix, les Frères musulmans du PLD et les salafistes du parti Nour, rendent de fait difficile le scénario d’un gouvernement de coalition nationale intégrant des forces démocrates, laïques et libérales souhaité par les Etats-Unis. La percée inattendue des salafistes a quelque peu troublé le jeu. Même la mouvance des Frères musulmans s’en est inquiétée. Au point où elle a annoncé publiquement qu’elle ne présenterait pas de candidat à l’élection présidentielle égyptienne afin de laisser la voie libre à une candidature «démocrate», en l’occurrence celle de Mohamed Al- Baradei. Il importe en effet pour Washington et ses alliés que le projet islamiste dit modéré réussisse en Égypte. Ils considèrent ces islamistes dits «modérés», avec lesquels les liens tissés depuis la guerre d’Afghanistan contre l’ex- URSS n’ont jamais été rompus, comme un facteur essentiel à la stabilité régionale et à la préservation à moyen terme de leurs intérêts. Aussi font-ils tout pour éviter une situation à la libyenne ou à la yéménite devenue le mauvais exemple du «printemps arabe». Car à leurs yeux, un scénario à la tunisienne ou sa copie marocaine, est ce qui convient le mieux à des pays tels que l’Égypte, la Syrie, le Yémen, voire l’Algérie dans les mois à venir. Concernant l’Algérie, tout indique que les réformes récemment adoptées à l’APN collent à ce que souhaitent les chancelleries occidentales, à savoir la mise en place d’un régime réservant une large place – entre 35 et 40% de sièges selon M. Belkhadem— aux islamistes, toutes tendances confondues. Dans ce scénario sur lequel planchent les cercles du pouvoir, la participation du FFS et d’autres démocrates aux prochaines élections devrait apporter cette dose de «crédibilité démocratique» qui a manqué lors des scrutins précédents. Pour conclure, l’année 2011 a vu des révolutions confisquées par des «frères» qui n’y ont joué aucun rôle. Et si tout marche comme prévu, 2012 devrait voir le parachèvement de la reconfiguration de la carte politique telle que souhaitée par Washington, avec l’intégration de nouveaux acteurs : l’Algérie et, peut-être, le Yémen et la Syrie. Bonne année à toutes et tous.
Source Le Soir d’Algérie Hassane Zerrouky
Le Pèlerin