La question de la séparation de la religion et de l’Etat en Egypte est capitale pour le monde arabo-musulman
Le président égyptien Mohamed Morsi a été déposé par l'armée, mercredi 3 juillet, à la suite d'un mouvement de contestation massif lui reprochant notamment de concentrer le pouvoir aux mains des islamistes. La question de la séparation de la religion et de l'Etat se pose donc aujourd'hui, selon Kader Abderrahim, chercheur spécialiste du Maghreb et de l'islamisme.
Les islamistes s’étaient engagés à composer un gouvernement relativement ouvert à d’autres sensibilités. Mais Mohamed Morsi n’a pas tenu cette promesse. Il s’est refermé sur la Confrérie et ce qu’elle incarnait, en pensant que cela suffirait largement pour gouverner. C’est là son erreur initiale, et c’est ce qu’il paie aujourd’hui.
On découvre aujourd’hui la réalité économique de l’Egypte
Qui plus est, la crise économique, qui a frappé l’Egypte de manière très virulente, a accéléré le désenchantement et la déception d’une partie de la population. Des erreurs importantes ont été commises par ce gouvernement. Mais leur reprocher la situation économique actuelle relève de la mauvaise foi: le pays s’enfonce dans cette crise depuis maintenant plus de dix ans. L’Egypte est en effet un des pays les plus pauvres de la région, qui ne survit que grâce à l’aide américaine. La crise existait déjà du temps de Moubarak, mais la dictature en masquait les effets. Aujourd’hui, la situation politique a changé et on découvre la réalité économique de la mondialisation, avec la dose de concurrence et de chômage qu’elle implique. Le FMI a imposé ses propres règles d’austérité, ce à quoi l’Egypte n’était pas prête.
La contestation de ces dernières semaines, due à la convergence des mécontentements, a permis à l’armée de récupérer cette mobilisation comme les islamistes l’avaient fait avec la révolution populaire, il y a deux ans et demi. La déception à suivre risque donc d’être très importante.
L’Etat ne doit pas intégrer la religion dans son fonctionnement
Aujourd’hui se pose la question de la séparation de l’Etat et de la religion -mais il faut faire attention à l’emploi du terme laïcité. Mercredi 3 juillet, lors de l’intervention télévisée du ministre de la Défense égyptien, les représentants de tous les cultes -musulman, chrétien et juif- étaient présents et ont pris la parole. Les militaires n’ont donc pas envoyé de signal indiquant que leur projet de société est différent de celui des islamistes, car la religion demeure un élément structurant dans les sociétés du monde arabe.
L’Etat ne doit pas pour autant l’intégrer dans son fonctionnement. Les islamistes n’étaient pas dans cette perspective historique de séparation l’Etat de la religion, la Confrérie ayant toujours dit, en 70 ans d’existence, qu’elle souhaitait gouverner à travers la charia. Nous saurons bientôt si le gouvernement de transition et ceux qui en sont issus -si les élections ont vraiment lieu- sont dans un autre état d’esprit. Mais cela semble peu probable, car l’Egypte est une société extrêmement conservatrice et la frontière entre le conservatisme et l’islamisme est très ténue. Quoi qu’il en soit, il s’agit là de la question la plus importante pour le monde arabe et le monde musulman plus largement.
Source Newsring.fr Kader Abderrahim
Directeur éditorial du HuffPost Maghreb et chercheur associé à l'IRIS
Le Pèlerin