La nuit du doute de la tradition contre les calculs de la modernité
Une vue de la mosquée de Paris
«Quand s'érigera le minaret que vous allez construire, il montera vers le beau ciel de l'Ile de France qu'une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses.» Déclaration du maréchal Lyautey lors de la pose de la 1ère pierre de la mosquée de Paris
Voilà, en quelques phrases, la dimension religieuse de la République laïque à ses débuts que Jean Bauberot nous conte: « (...) Comme nous commencions à être assez nombreux, et provenant, outre la France, de différents pays, la République laïque a eu une très bonne idée: construire une mosquée, avec un beau minaret bien sûr. Elle avait décidé, en 1905, de «garantir le libre exercice du culte» (Article I de la loi de séparation). «Garantir», c'est plus que respecter. C'est prendre les dispositions nécessaires pour assurer son bon fonctionnement. (...) Et pourtant, ils étaient très laïques (..) Les Edouard Herriot, ou Léon Bourgeois (un des «pères» de la morale laïque) qui ont pris la décision de consacrer des fonds publics à la construction de cette mosquée, de ce minaret».
Qu'est devenue justement la Mosquée de Paris?
Elle qui a joué un rôle majeur sous la direction de cheikh Benguebrit puis de cheikh Hamza Boubekeur. La mise en place du Cfcm sous Chevènement puis créé de toutes pièces sous Sarkozy se prétend être représentatif des musulmans de France et partant, le partenaire des autorités françaises n'a pas permis l'émergence d'un Islam oecuménique capable de rassembler et non de diviser les musulmans qui éprouvent des difficultés objectives à vivre sereinement leur foi.
L'objet initial de cette contribution était de rapporter en honnête courtier les difficultés éprouvées par les musulmans ballotés entre deux tendances.Celle consistant à définir le premier jour du Ramadhan en se basant sur l'observation visuelle du premier croissant de lune, ou celle se fiant exclusivement à la science et au calcul astronomique comme a voulu l'imposer l'institution censée être un guide en la matière. La cacophonie tragique entre les différentes chapelles ou minarets, pourrait -on dire, pour les musulmans de France est une démonstration éclatante de la désunion, notamment comme celle induite par la «tentative moderniste» prônée par le Conseil français du culte musulman sûr de sa science de la «légitimité» pour annoncer urbi et orbi dès le 9 mai que le Ramadhan serait le 9 juillet faisant fi du vent de fronde des différentes mosquées dont celle de Lyon, dans une dépêche de l'AFP le 8 juillet à 22h02 que le Ramadhan débuterait officiellement en France mardi 9 juillet.
Les explications du Cfcm et la science infuse
Ce qui peut choquer dans la décision du Cfcm d'annoncer qu'il décide comme un grand, de l'espérance de millions de musulmans de France attachés à l'Islam et au mystère de la nuit du doute, c'est cette arrogance intellectuelle tapissée d'un vernis de science qui tourne le dos à l'humilité et met au rebut les milliers de réflexions depuis quatorze siècles concernant la décision du premier jour de jeûne Mohamed Moussaoui, président du Cfcm initiateur du colloque qui a décidé de fixer à l'avance la date de début du Ramadhan s'explique dans une contribution quelques jours après. Il explique que nous faisons tous appel pour la détermination des moments de prière à la science, semblant indiquer qu'il ne fait qu'aller plus loin. Ecoutons-le: «(...) Les musulmans débutent le jeûne de chaque jour de Ramadhan au lever de l'aube et le terminent au coucher du soleil en se référant simplement aux tables (Imsakiyates), basées sur le calcul. Aujourd'hui, personne ne demande aux musulmans d'observer à l'oeil nu la venue de ces deux moments. Pourtant, on aurait pu invoquer le verset coranique «..., mangez et buvez jusqu'à ce que l'aube vous permette de distinguer le fil blanc (du jour) du fil noir (de la nuit) puis accomplissez le jeûne jusqu'à la nuit» [Coran 2.187]. De même poursuit-il, on aurait pu s'attendre au même débat autour du verset coranique: «La prière a été prescrite pour les croyants dans des temps déterminés.» [Coran 4.103] Force est de constater que l'adoption des tables des heures des cinq prières rituelles, qui (rappelons-le) sont basées sur le calcul, n'a jamais suscité de débat ou d'opposition. Aujourd'hui, il ne viendrait à personne l'idée d'appeler les musulmans à vérifier à l'oeil nu le lever de l'aube pour accomplir la prière du matin (Al Fadjr),(...)»
M.Moussaoui s'appuie dans sa démonstration sur le calendrier grégorien qu'il appelle comme le «sauveur», il poursuit: «Qu'auraient fait les musulmans pour la gestion de leurs activités quotidiennes si le calendrier grégorien n'avait pas existé? Sur quelle base, poursuit-il, les musulmans acceptent aujourd'hui de reléguer le rôle du calendrier musulman à la détermination du début et de la fin de Ramadhan et d'autres célébrations religieuses et utiliser le calendrier grégorien pour la gestion des autres aspects de leur vie. (...) Qui pourrait programmer, avec des dates du calendrier lunaire, une conférence ou une rencontre qui aurait lieu en juillet 2013» (nous sommes en mai 2013)?
La cacophonie qui a perturbé les musulmans de France
Le Ramadan débutera mercredi 10 juillet en France a tranché, ce mardi, la commission théologique de la Mosquée de Paris, désavouant le Conseil français du culte musulman (Cfcm) Le premier jour du jeûne est fixé à mercredi, Lundi soir, l'ambiance était à la confusion à la Grande Mosquée de Paris. «Les mosquées nous ont appelé hier jusqu'à 01h00 du matin, les imams étaient dans le désarroi», a expliqué Djelloul Seddiki, responsable de la commission théologique de la Mosquée de Paris.
Comble de l'errance, Dalil Boubakeur déclare à l'AFP: «Que les fidèles commencent le Ramadhan mardi ou mercredi, «les deux positions sont légales». Si les deux positions sont également valables, pourquoi avoir voté pour l'adoption du calendrier basé sur le calcul astronomique, il y a 2 mois, si c'est pour ne pas l'appliquer aujourd'hui? La quasi totalité du monde musulman jeûnera à partir du mercredi 10 juillet y compris tous les pays européens, à l'exception notable de la Turquie et des États-Unis. Quand le Cfcm annonce que le Ramadhan débute le 9 juillet, conformément à la décision prise le 9 mai 2013, cette annonce s'applique également à la Mosquée de Paris. En prenant une position différente du Cfcm M.Boubakeur a réussi à ridiculiser le Cfcm. Qui l'aurait empêché d'annoncer sa position avant et de coordonner avec le Cfcm de la date retenue pour le premier jour du Ramadhan?
Détermination du mois de Ramadhan. Enseignements du Coran
Le docteur Al' Ajamï tente une explication qui permet une lecture des versets du Coran, relatifs au début du Ramadhan. Il écrit: «Comme chaque année, litanie de notre décadence, le même problème surgit, bémol non souhaité en la symphonie de nos espérances: quand débutera ce mois béni? Qui décide? «En vérité, votre Communauté est une et Je suis votre Seigneur; Adorez-Moi! Or, ils se disputent les uns les autres le commandement. Cependant que tous, vers Nous, retournent´´.» S21.V92-93. Avant toute chose nous rappellerons que les quatre grandes Ecoles juridiques s'accordent sur un point primordial: «La détermination du mois de Ramadhan repose sur l'observation visuelle du premier croissant dès lors que le mois de shabân a atteint 29 jours.» Il est possible d'un point de vue astronomique de déterminer la non-possibilité pour telle ou telle zone d'observer le croissant. Conséquemment, prétendre avoir vu le croissant avant même que cela ne soit théoriquement possible relève de la supercherie et de la manipulation, au minimum d'une incompétence certaine.
Le docteur Al Ajami donne les arguments suivants: «Du point de vue conceptuel; que tous les musulmans du monde jeûnent en même temps. L'argument est prôné en tête par l'Arabie Saoudite et son clergé dévoué à la cause de la domination du wahhabisme sur le monde. Dépositaires de notre Kaâba, ils se voudraient maîtres de Ramadhan; et que toute la Oumma, comme un seul homme, se range sous leur bannière; légitimation d'une usurpation. D'un point de vue rationnel; à moins de penser que la terre est plate, l'idée d'un jeune commun est parfaitement saugrenue. Si la terre est ronde chacun sait qu'il fait jour ici, et nuit là-bas. En d'autres termes, certains font l'iftâr pendant que d'autres le sahûr! A l'heure du réseau, la détermination de Ramadhan est un enjeu politico-religieux et non point la recherche, visage tourné au ciel, de l'annonce du Mois de Miséricorde. (...) Du point de vue politique; sommes-nous naïfs au point de croire que la Oumma pulvérisée par l'Histoire doive commencer sa reconstruction par l'unification de Ramadân. (...) Ce qui reste du monde musulman est dépecé, pillé, épuisé, ensanglanté, déshonoré par des Pharaons qui ne doivent leurs places qu'aux puissances occidentales.
Revenant au verset du Coran, il écrit:«La formulation de ce verset comporte une indication supplémentaire répondant au fond du problème: peut-on commencer son jeûne en même temps que tel ou tel pays situé à distance? On relit: ´´...Donc, qui d'entre vous a «témoigné» du mois, alors qu'il le jeûne...´´; nous l'avons dit, en dehors de ´´ Ô croyants, Il vous a été prescrit le Jeûne...´´ le Coran ne s'adresse plus à un collectif mais à l'individu, c'est-à-dire au croyant responsable vis-à-vis de Dieu par rapport à son Ramadân: «quiconque [toi]d'entre vous [les musulmans] a «témoigné» du mois», et il ajoute: «alors qu'il le jeûne», «fal-yasumhu» l'ordre est au singulier et demeure adressé à l'individu concerné. En d'autres termes, si l'observation d'un seul témoin avait été applicable à l'ensemble de la communauté, et en supposant que Dieu ait voulu nous indiquer cette possibilité technique à venir, il aurait alors été dit: ´´...Donc, qui d'entre vous a témoigné du mois «Alors jeûnez-le» [ fal-yasûmûhu ]...´´Nous touchons là à la philosophie de cette mesure coranique: l'Islam est une religion sans intermédiaires, sans hiérarchie institutionnelle, sans caste sacerdotale ou scientifique, sans sophistication inutile. Le lien entre la créature et son Créateur est dénué de toute forme de médiation».
«Au final, l'ensemble des indications fournies par cet unique passage consacré à Ramadhan est cohérent et explicite: le début tout comme la fin de Ramadhan sont marqués par l'observation à l'oeil nu du premier croissant de lune du mois. L'observation locale ne peut être étendue ou généralisée. Il n'existe aucun espace «interprétatif» permettant de supposer que l'on puisse procéder autrement, c'est-à-dire par calcul astronomique. Le mois devra être jeûné en son intégralité. Toute dérogation devra être compensée. Il y a donc une sagesse évidente dans l'empirisme supposé de la détermination du Ramadhan par l'observation de la lune. Pas de clergé, pas d'intermédiaires, pas de hiérarchie religieuse absolue; le croyant est seul avec Dieu, il l'implore et Il lui pardonne. Il n'est soumis à aucune dépendance, son rite est simple: tout un chacun peut par conséquent observer le soleil et connaître l'heure de prière, tout un chacun peut observer le croissant de lune, déterminer Ramadhan, l'Aïd, le Pèlerinage, etc. Ce n'est point là la manifestation d'une société rudimentaire, mais au contraire la manifestation de la Sagesse divine; l'homme n'est soumis qu'à Dieu qui, en contrepartie, lui donne les moyens d'échapper à l'asservissement de l'homme par l'homme.»
Quel progrès nous propose-t-on à vouloir imposer un diktat universel pour Ramadhan. Qui est autorisé à décider? Chaque année qui passe nous montre et nous démontre que l'Arabie, l'Egypte, l'Iran, la Libye et d'autres Républiques autocratiques se disputent un illusoire et ridicule leadership islamique autour de notre bol de harira. (...) Le Cfcm ne prouve-t-il pas à chaque fois son incompétence; changeant de critères de décision aussi vite que l'on retourne sa veste, et ne nous a-t-on pas déjà proposé un Ramadhan de 28 jours, du jamais-vu, mais peut être est-ce là l'exception française!»
Que faut-il retenir de cette fitna?
En fait, le Cfcm qui se veut un Vatican au rabais et faisant tout pour paraître le seul partenaire crédible en face de la République, veut régenter l'imaginaire des musulmans en France. Résultat des courses, nous tendons inexorablement vers un Islam mondain sans épaisseur, un Islam où le Coran est une grande surface où on prend que ce qui nous intéresse ou qui plait aux princes, un Islam qui se refroidit en rites.
Cela ne veut certainement pas dire qu'il faut s'installer dans les temps morts - ceux qui prêchent cela sont tout de même bien contents de profiter des bienfaits de la science profane. Il est vrai que le cérémonial rodé mis en place depuis des décennies est quelque peu discutable vu d'Algérie où l'on voit un aréopage de vénérables - toujours les mêmes - être en représentation dans l'attente de «Tboubihate rou'eyate el hillal» donnant le top de ce qui est censé être un mois de piété mais qui dans les faits est un mois de malbouffe, de ripaille où la dimension religieuse de l'effort de la pensée envers les plus démunis est absente. C'est au contraire la guerre de tous contre tous, le m'as-tu vu dans des prières de taraouih où il faut bien le regretter, on essaie plus de paraître que d'être Pourquoi, ne pas faire appel aussi, avec les uléma de la fetwa à des astrophysiciens censés apporter la caution de la science. Il y a tout un champ d'ijtihad pour revivifier le Coran en toute humilité.
Cependant, à vouloir à tout prix standardiser, normaliser, codifier on tombe dans le travers d'une déliquescence de l'Islam. A tout prendre, je préfère La symbolique de la nuit du doute que les apprentis sorciers qui, à cette allure, vont nous amener avec un Islam aseptisé sur la pente dangereuse du «money-théisme» et de la banalisation du divin. On raconte l'histoire d'un musulman du temps de l'Union soviétique qui, lors d'une cérémonie a vu son collègue rouler sous la table pour avoir beaucoup bu alors que lui avait tout ses esprits. Un dialogue ésotérique s'ensuivit, le communiste ne comprenait pas qu'au plus fort du communisme que l'Islam puisse lui résister. Pourtant, les idéologies ont vocation à disparaître à l'instar du nazisme, du communisme et de tous les ismes. L'Islam tient bon, en résistant il y a plus de mille ans aux croisades, après septembre 2001 il est toujours là malgré toutes les tentatives de l'anéantir, de le «dociliser» en le folklorisant pour le faire apparaître comme un produit marchand. L'Islam est, au contraire, une dignité, une relation personnelle à Dieu.
Ce qui compte avant tout pour le musulman c'est la relation avec Dieu. Ce qui compte c'est la foi et il n'est pas nécessaire à la limite de jeuner tous en même temps, du fait qu'il y ait autant de décalage de l'Océan au Golfe. Un musulman australien fera forcément le Ramadhan avec vingt-quatre heures de décalage par rapport à celui calé sur le méridien de Greenwich. On ne peut qu'être scandalisé par la certitude d'un autre âge du Cfcm qui, contre vents et marées a tenu jusqu'au 9 juillet pour finalement aller vers une reddition en rase campagne, déroutant du même coup des millions de musulmans qui s'étaient organisés et attendaient ce moment pour goûter cette halte exceptionnelle de raffermissement de leur foi à l'ombre des lois de la République. Bon Ramadhan aux musulmans du monde! Que ce mois nous apporte la paix et la sérénité, qu'il puisse être pour nous l'occasion d'une introspection sur Les choses essentielles de la vie et nous fasse apercevoir que nos querelles sont vaines, que notre addiction à l'éphémère est éphémère et qu'en définitive, il faille revenir aux fondamentaux de la vie.
Source L’Expression
Le Pèlerin