Au 8e jour de la grève des travailleurs du complexe SNVI-Rouiba
L’UGTA, les partis et les députés aux abonnés absents

En arrivant à Rouïba, en ce matin glacial d’hier, on a remarqué un dispositif sécuritaire impressionnant déployé dans les principales artères de la ville. Des forces de gendarmerie et de police étaient mobilisées. Même à l’entrée de l’hôpital, une brigade de police était aux aguets. Dans la ville, les Rouibéens semblaient retarder leur réveil, visiblement sonnés par la correction infligée par l’équipe nationale du Malawi à nos vénérés Fennecs.
Sur la route menant vers la zone industrielle, la présence des forces de sécurité commence à devenir de plus en plus visible. Les gendarmes antiémeutes prennent le relais.
Le bus qui nous transportait –qui avait l’habitude d’emprunter la RN5 dans la direction de Réghaïa– a dû changer d’itinéraire en raison de la fermeture d’une partie de ce tronçon à la circulation automobile, pour s’arrêter dans un arrêt dénommé «H’rissa».
Même le passage des personnes était partiellement filtré. Des cris commençaient à se faire entendre derrière les gendarmes qui avaient formé un double rideau sécuritaire. C’était finalement pour bloquer les travailleurs de la SNVI sortis pour manifester.
La grève de ces ouvriers de l’un des fleurons de l’industrie publique nationale dure depuis maintenant 8 jours. Même une division d’Anabib, la PAF, a rejoint le mouvement de grève, selon son secrétaire général, M. Lamri Abdelkrim.
Mais nous étions loin d’imaginer que tout ce dispositif, déployé en mobilisant les forces de gendarmerie et de police, était pour contrer des ouvriers sans défense qui voulaient uniquement transmettre leurs revendications à la population et se faire entendre par les autorités qui font la sourde oreille pour l’instant. «Zidoulna fessouma !»
En arrivant sur le lieu de la contestation, un étanche rideau vert ne laisse rien passer. Des ouvriers, de l’autre côté, scandaient «augmentez-nous !», en référence sans doute à une augmentation de leur salaire. 500 travailleurs environ étaient coincés entre deux rangées des forces antiémeutes qui ont bloqué les deux accès de la RN5, au niveau de la zone industrielle de la ville de Rouiba. Les gendarmes antiémeutes avaient même déplacé un chasse-neige et un camion équipé d’un canon à eau. «Ceux-là mêmes que nous produisons dans nos ateliers, ces camions que l’ANP nous achète sont utilisés pour nous réprimer», dit un travailleur en direction des forces antiémeutes, dans un humour prolétaire.
Cependant, aucun débordement n’a eu lieu. Les travailleurs s’étaient mobilisés dans le calme et les forces antiémeutes n’ont à aucun moment usé de procédés provocateurs. La cohabitation était de mise.
«Eh, vous, la presse, pourquoi ne racontez-vous pas ce que nous endurons non seulement nous mais tous les travailleurs et sur tout le territoire national ? Ce que nous revendiquons a un caractère national car des millions de gens vivent dans la même situation de désespoir», nous interpelle un autre ouvrier. Un avis partagé par toutes les personnes présentes à la marche de protestation.
Tous les ouvriers voulaient transmettre un message à publier dans le journal car, disent-ils, «nous voulons que tout le monde nous entende. Nous n’arrivons pas à faire entendre notre cri de détresse. Même l’ENTV, venue filmer l’autre jour, n’a rien montré au JT de 20h !»
La critique s’étend à toute la presse qui, selon eux, s’intéresse peu à ce qui se passe actuellement sur le front social, notamment dans la zone industrielle de Rouiba.
«Au lieu de parler de l’équipe nationale, qui a d’ailleurs pris une correction, laquelle en appellera d’autres, mieux vaut regarder de notre côté. Nous souffrons le martyre pour gagner ce salaire de la peur», dénonce un groupe de travailleurs remonté contre l’overdose que fait la presse au sujet de l’équipe nationale au détriment des vrais problèmes que vivent les citoyens.
«Nous revendiquons une augmentation de salaire, l’abrogation de l’article 87-bis du code du travail (lire encadré) et la révision à la baisse de l’âge de départ à la retraite», nous a déclaré Amoura Nacéra, syndicaliste à la division fonderie de la SNVI et figure de proue de ce mouvement (lire entretien).
«Comment voulez-vous que je travaille 30 années de ma vie quand je suis dans une division comme la fonderie, où, dans le meilleur des cas, un travailleur pourra tenir 10 ans !» s’écrie l’un d’eux. «Nous sommes sujets à une multitude de maladies dues à la nature de notre travail, et qui ne sont même pas reconnues par la sécurité sociale.»
Les travailleurs de la SNVI ne sont pas concernés non plus par l’augmentation du SNMG, leur salaire dépassant le seuil des 15 000 DA, d’où leur revendication d’augmentation de celui-ci.
«Où sont les députés, les partis politiques et l’UGTA ?»
Lorsque nous avons tenté d’entrer en contact avec les représentants syndicaux des travailleurs de la SNVI, ceux-ci avaient violemment critiqué l’absence de l’UGTA depuis le début du mouvement de contestation. «Nous en sommes à notre huitième jour de grève, et l’UGTA est aux abonnés absents. Sidi Saïd n’a pas daigné se montrer ou apporter un quelconque soutien. Il s’est contenté d’envoyer des émissaires pour constater», ajoute-t-elle.
Il est vrai que la centrale syndicale a adopté une position gouvernementale à l’égard de cette grève en ne rendant publique une déclaration à ce sujet qu’au troisième jour du début de la contestation, soit jeudi dernier. «Nous considérons Sidi Saïd comme un ministre du gouvernement, tellement ses positions à l’égard des travailleurs, qu’il est censé du reste représenter, sont identiques à celles des autorités.» L’avis est partagé par plus d’un ouvrier dans cette zone industrielle en ébullition.
En outre, la centrale syndicale et Sidi Saïd sont mis en cause dans les dernières négociations menées durant la tripartite avec le gouvernement et le patronat. Et pour cause, Sidi Saïd et ses cadres ont négocié au nom des travailleurs mais sans consulter la base.
«Nous révoquons tout ce qui a été décidé à la tripartite !» déclare un autre syndicaliste, pour dire que les résultats de la tripartite ne sont pas en faveur des travailleurs. «Ils n’ont négocié que leurs salaires et avantages.»
Les partis politiques et les représentants élus du peuple ne sont pas en reste. «Où sont ces députés et ces partis politiques. Pourquoi ne sont-ils pas venus nous soutenir dans notre combat ?» dénonce un travailleur suivi par certains de ses collègues.
Nous avons quitté les travailleurs et les gendarmes antiémeutes comme nous les avons trouvés, face à face, en attendant une autre journée de résistance, «jusqu’à l’aboutissement de nos revendications», a scandé un groupe de travailleurs à l’unisson.
Source Le Jeune indépendant Youcef Kaced
Le Pèlerin