Algérie - Délinquance juvénile - Un fléau aux multiples facettes
La délinquance juvénile se manifeste par des attitudes peu tolérées par la famille et la société. Généralement entre 13 et 16 ans, ces jeunes adolescents, sous l’emprise de certains facteurs, adoptent des comportements contraires aux valeurs communément admises et pratiquées. Ils se distinguent par des caractéristiques sociales différentes. Qu’ils soient issus d’un milieu pauvre ou nanti, le fonctionnement de leurs familles, leur cursus scolaire, leurs activités extrascolaires, ainsi que leurs rapports avec leurs pairs sont tous remis en cause.
Ces spécificités sociales et comportementales font du délinquant mineur une personne vulnérable qui a besoin d’aide et d’une prise en charge sérieuse.
La démission de la société
Outre les 4 800 délinquants mineurs arrêtés, ils ne sont pas moins de 1 615 enfants en danger moral à avoir été interpellés au premier trimestre 2010. Parmi eux, 585 filles présentes dans des endroits malsains.
La délinquance juvénile enregistre des chiffres de plus en plus alarmants. En effet, les experts en la matière appellent toute la société civile : Etat, mouvement associatif, cellule familiale, voisinage, à bannir la passivité et la démission citoyenne face à ce fléau en pleine expansion qui touche nos enfants. L’esprit d’aventure, la démission des parents, l’oisiveté, la pauvreté, les mauvaises fréquentations sont des facteurs déterminants dans le choix de l’enfant de quitter le domicile familial ou de commettre une infraction. Autant de facteurs auxquels viennent se greffer d’autres éléments qui émaillent la trajectoire de vie de ces délinquants mineurs. Outre le manque de communication au sein des familles et l’absence de repères, la décennie noire et la conjoncture économique difficile qui s’en sont suivies n’ont fait qu’aggraver les choses. «La violence est omniprésente... Et il est primordial d’impliquer toute la société pour affronter ce phénomène destructeur», affirme Kheira Messaoudène, commissaire divisionnaire et chef du bureau de la protection de la délinquance juvénile et de la violence. «Nous sommes tous responsables de la sauvegarde de nos enfants, qui ont besoin d’une culture de la paix et de la tolérance, pour arriver à effacer les affres de la décennie noire qu’a connues notre pays», poursuit Mme Messaoudène, qui préconise une «stratégie globale avec les différents secteurs pour endiguer ce fléau». Contrairement à ce qu’on peut imaginer, le délinquant mineur n’«est pas forcément issu d’un milieu défavorisé. Le phénomène s’est élargi à toutes les couches sociales. La pauvreté n’est plus un facteur déterminant», assure-t-elle. Les proportions alarmantes que prend ce fléau poussent indubitablement à se poser la question de savoir quel traitement judiciaire est réservé aux mineurs impliqués dans de multiples infractions. On relève, d’une part, une déficience en matière de prévention et, d’autre part, un vide juridique en la matière. Cette carence contraint les juges à faire comparaître des enfants en justice.
Pour les services de police, «la justice favorise dans ces cas la réinsertion sociale, qui consiste à solliciter la mobilisation des ressources de la famille et de la communauté, principalement à travers des services de proximité». Ainsi, 90% des mineurs arrêtés pour délit sont remis à leurs parents, apprend-on auprès de notre interlocutrice, Mme Messaoudène. Un service d’orientation et d’éducation en milieu ouvert est chargé à cet effet du suivi de l’enfant. Un rapport périodique sur la situation de ce dernier sera rendu au juge des mineurs. La nouvelle législation proposée dans ce cadre «vise à rediriger l'enfance du système judiciaire pénal vers un système de réforme orienté sur l’éducation», a, par ailleurs, indiqué le directeur général du département prisons, Mokhtar Felioune. La nouveauté de ce projet de loi vise à «améliorer la justice pour les mineurs, de préférer la protection à la poursuite, en instaurant l'irresponsabilité pénale du mineur de moins de 10 ans», a-t-il affirmé.
Les conflits conjugaux détruisent les enfants
80% de la délinquance juvénile est générée par les conflits conjugaux, ainsi que l’utilisation de la violence en l’absence de dialogue entre les conjoints.
C’est ce qui ressort de l’enquête du réseau Nada, un collectif d’associations qui se propose d’œuvrer au respect et à la défense des droits de l’enfant, effectuée auprès de 500 enfants en situation de détresse. Les conflits de couples suivis généralement d’un divorce, contribuent à perturber les enfants qui finissent par adopter un comportement d’autodestruction. Cette attitude se caractérise par la négligence des études dans un premier temps ; une fugue s’ensuit dans la plupart des cas déséquilibrant l’enfant déjà déstabilisé.
Les appels de détresse que le réseau Nada reçoit quotidiennement à travers son numéro vert «Je t’écoute» témoignent de «la souffrance et du traumatisme que cette frange vulnérable de la population, dont l’âge varie entre 13 et 19 ans, subit».
Une situation dramatique qui, selon ce réseau, appelle à la mise en place de nouveaux mécanismes à même de gérer les conflits familiaux, par le biais de «médiateurs sociaux qui auront pour mission d’apaiser la tension au sein du couple et d’éviter d’en arriver à la justice», explique le président du réseau Nada, Abderrahmane Arar. Une proposition dictée par une préservation de «l’intérêt de l’enfant, qui n’est plus au centre des préoccupations de ses parents dès lors que ces derniers divorcent», remarque-t-il.
La cellule familiale porte protection et sécurité à l’enfant, d’où l’importance, dit-il, de «l’accompagner et de le soutenir en cas de détresse». «Certains parents en difficulté socioéconomique vont même jusqu’à abandonner volontairement leurs enfants. D’autres les poussent à travailler, à mendier ou à se prostituer. La responsabilité des parents face à cet état de fait est grande», relève-t-il. Le réseau Nada lance, à ce titre, un appel pour une application plus rigoureuse de la loi visant à sauvegarder les intérêts de l’enfant.
En effet, ce réseau algérien, qui intervient pour l’accompagnement, la protection, la promotion et le plaidoyer pour les droits de l’enfant, ambitionne d’instaurer un environnement sain qui protégerait l’enfant en priorité quelle que soit sa situation sociale.
Triste palmarès pour Alger
Le premier trimestre de l’année en cours a été marqué par l’arrestation de plus de 4 800 mineurs dont 167 filles, impliqués dans 3 393 affaires.
Deux mille soixante-quinze mineurs ont été interpellés pour des affaires de vol, alors que 230 pour viol ou incitation à la débauche. Outre les 217 arrêtés pour dégradation de biens, 39 sont coupables de violences sur ascendants et trois sont accusés de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort. Le vol et la violence physique s’avèrent ainsi les délits de prédilection pour cette frange de la société. Les grandes villes demeurent, dans ce contexte, très prisées pour l’anonymat qu’elles procurent. Sans rivalité aucune, Alger vient en première position avec 589 cas recensés en ce premier trimestre de l’année 2010. Sétif lui emboîte le pas avec 227 cas suivie d’Annaba avec 221 affaires et d’Oran 207.
Les services de police font état pour cette même période de 121 tentatives de suicide, dont 107 sont des filles. Dans les deux cas de suicide évoqués par les mêmes services figure aussi une fille.
1 149 des mineurs interpellés ont été remis à leurs parents dont 372 filles, alors que 313 autres ont été placés dans des centres spécialisés.
Selon le dernier bilan des services de sécurité, il ressort que 615 enfants ont été interpellés pour errance. Ce fléau concerne aussi bien les garçons que les filles qui représentent plus de la moitié, soit 585. Le juge des mineurs a privilégié le retour au foyer familial de 1 049 enfants en danger moral. 313 ne pouvant plus rejoindre leur famille ont été placés dans des centres de protection de l’enfance. 153 qui avaient fui ces mêmes structures, ont été réintégrés.
La délinquance juvénile commence souvent par une fugue qui peut durer quelques heures ou quelques jours. Parfois, ces enfants ne donnent plus signe de vie à leurs proches. La plupart des disparitions signalées au cours de ce premier semestre relèvent de fugues et non d’enlèvements, attestent les services concernés.
L’échec scolaire est souvent à l’origine du départ des enfants du domicile familial, de l’avis du commissaire divisionnaire et chef du bureau de la protection de la délinquance juvénile et la violence. C’est vers la fin du trimestre - qui correspond à la remise des bulletins scolaires - que ce phénomène augmente. Le nombre de disparitions enregistré à ce moment de l’année est beaucoup plus important, nous apprend Mme Messaoudène.
Et ce sont les adolescents qui sont les plus disposés à ce genre d’aventure. Ils ont été pas moins de 601, dont la tranche d’âge se situe entre 13 et 16 ans à avoir fugué en 2010. Les chiffres annoncés par la commissaire divisionnaire font état également de 518 fugues pour les 16 et 18 ans et 240 pour les enfants âgés entre 10 et 13 ans contre 256 pour les moins de 10 ans.
Mme Nacéra Meraha* à InfoSoir - «Le rôle de l’école est à valoriser»
InfoSoir : Quels sont à votre avis les facteurs sociaux ayant contribué à la prolifération de ce fléau ?
Mme Nacéra Meraha : Il n’y a pas d’indicateurs fiables qui nous permettent d’affirmer que la délinquance juvénile a pris de l’ampleur. Sur le plan sociologique notamment. Le nombre a augmenté, certes, mais quelle signification pourrions-nous donner aux chiffres ? Et quels sont les paramètres, associés à ces chiffres ? Et puis que doit-on entendre par délinquance ?
La définition et la perception de la délinquance, surtout juvénile, sont relatives. Ce qui est considéré comme délinquance, comportement inacceptable pour et par certains, sera perçue par d’autres, comme étant une force de caractère et une construction de la personnalité. Les problèmes liés aux troubles de l’adolescence provoquent un comportement refusé par les adultes qui se voient remis en cause dans leur autorité contestée par ces jeunes. Cela est souvent considéré comme de la délinquance. Dans des sociétés et milieux plus «cléments», les petits actes de remise en cause de l’autorité, qu’elle soit parentale ou institutionnelle, sont moins dramatisés. Les jeunes ne sont pas sanctionnés, mais suivis, orientés par des psychologues et autres spécialistes du comportement.
Peut-on dans ce cas parler quand même de prolifération ?
Toutes les générations sont nostalgiques d’une époque précédente, idéalisée. Pourtant, les adolescents d’hier, vus comme des délinquants ; deviennent des adultes, qui oublient leur comportement d’il y a, à peine, vingt ans. Si le nombre augmente, cela est lié à la démographie et au manque d’exutoire. Dans le passé, ceux qui se sont engagés dans la guerre, ou bien les bandits d’honneur, n’étaient-ils pas considérés comme des délinquants ? Ils sont bien devenus, des héros. Et les exemples sont nombreux….
La démission des parents serait, selon beaucoup d’observateurs, à l’origine de ce phénomène.
Qui peut prétendre, en tant que parent, ne pas être désarmé face à son enfant en pleine crise d’adolescence ? Comment ose-t-on prétendre que les parents sont démissionnaires, alors qu’ils continuent de gérer, seuls, tant bien que mal, des enfants sans soutien psychologique, ni spécialiste ? Il faut éviter de reproduire ces clichés, portant un jugement sur les conditions et la manière de gérer une famille dans des conditions de vie très difficiles et un climat de violence multiforme.
Le rôle de l’école, qui est l’institution de base de la société est, en revanche, à revoir, à valoriser. L’école reproduit, en son sein, le modèle de la société, tel que véhiculé par des enseignants qui n’ont pas bénéficié de formation, ni de perfectionnement performant et volontariste, portant un projet de société moderne et universel.
Les valeurs qui régissaient la société algérienne ont-elles changé au fil du temps ? Pourquoi ?
Les valeurs n’ont jamais été définies, tout le monde en parle. Elles semblent évidentes mais chacun leur donne, le contenu qui lui convient. On prétend qu’elles ont religieuses, musulmanes, laïques ou universelles. On entend, souvent, nous sommes musulmans, nos traditions, les valeurs arabo-musulmanes, etc. Honnêtement, y a-t-il une société, une religion, un pays, où les parents et l’Etat appellent à la délinquance, au vol, au viol, à l’assassinat. En revanche, les valeurs qui ont changé, sont liées à une idéologie, prétendument, islamiste qui a remis en cause les convictions ancestrales et la perception de la pratique et des préceptes religieux. Au-delà de toute remise en cause de l’autorité, quand un enfant est ébranlé, vis-à-vis des croyances religieuses et des pratiques de ses ancêtres, il perd tout repère et la conséquence a été la décennie du terrorisme, pendant laquelle, on tuait, aveuglément, parents, voisins, imams, etc. Selon l’angle où l’on se place, la notion de la délinquance est vue différemment.
Source Infosoir Assia Boucetta
Universitaire, sociologue et chercheur
Le Pèlerin