La transition énergétique dans l'impasse: L'Algérie s'enfonce dans le péril (2/5)
1) Les stations solaires et les centrales électriques à cycle combiné gaz
Ces centrales utilisent le gaz comme combustible et se différencient des anciennes centrales à cycle simple. A cela on fait appel à des turbines à gaz qui ont cette particularité de rejeter des gaz de combustion très chauds (environ 600°C). Avec les anciennes centrales à cycle simple, ces gaz chauds étaient tout simplement rejetés dans l'atmosphère, ce qui constituait une perte énorme d'énergie thermique. Aujourd'hui avec les innovations technologiques, cette perte d'énergie est récupérée pour augmenter l'efficacité énergétique de la turbine. Ces gaz d'échappement sont récupérés et dirigés vers un échangeur de chaleur qui permettra de chauffer une chaudière, d'où une plus-value d'énergie utile. La vapeur ainsi produite va servir à faire tourner une seconde turbine (à vapeur cette fois-ci, la première à gaz) couplée à un alternateur qui générera une quantité supplémentaire d'électricité venant s'ajouter à celle produite par la turbine à gaz. Il en résulte de tout cela un cycle combiné gaz/vapeur améliorant considérablement le rendement de la centrale électrique. C'est grâce à la présence de cette turbine à vapeur qu'on attribue le nom de centrale hybride à cette combinaison de deux turbines une à gaz et l'autre à vapeur.
2) Les centrales hybrides solaire/gaz
L'énergie solaire n'est permanente, cela dépend de la lumière du jour, ce qui nous amène à pallier ce problème par des solutions très simples et à notre portée, la nature est clémente : les gisements d'hydrocarbures se trouvent dans des régions très ensoleillées, les plus au monde. Nos centrales doivent produire de l'électricité en permanence, afin assurer à nos clients sans interruption leur besoin en énergie. En effet, outre les coûts élevés qui réduisent considérablement la rentabilité des centrales solaires par rapport aux centrales à gaz, elles présentent l'inconvénient majeur de fonctionner par intermittence, c'est-à-dire le jour seulement lorsque le soleil brille, avec arrêt complet la nuit et production limitée par temps nuageux et lors de vents de sable. D'où la nécessité de mettre en place des capacités de stockage pour y remédier, sauf que celles-ci se trouvent encore au stade expérimental et sont encore loin de connaître une application commerciale fiable, sans parler de leurs coûts élevés. C'est là une des raisons principales ayant conduit à concevoir des centrales hybrides solaire/gaz afin de contourner le problème de stockage. Un tel projet n'aurait pu voir le jour sans l'existence d'un dénominateur commun à savoir : le gaz et le soleil sur le même lieu.
C'est cela une centrale hybride solaire/gaz : la simple juxtaposition d'une station solaire et d'une centrale électrique à cycle combiné, raccordées par une turbine à vapeur commune. Rien de plus. Il en résulte, entre autres, un surdimensionnement excessif des turbines à gaz par rapport à la partie solaire entraînant ainsi une surconsommation excessive de gaz contrairement à l'objectif d'un projet solaire. Un tel déséquilibre est pratiquement impossible à réduire de manière significative à cause du concept même sur lequel repose l'hybridation.
L'exemple des stations hybrides de Hassi-R'mel (Algérie) et d'Aïn Béni Mathar (Maroc)
La centrale hybride de Hassi-R'mel (Tilghemt) illustre parfaitement ce qui vient d'être dit. Il s'agit en fait d'une grosse centrale à cycle combiné gaz de 120 MW à laquelle est intégrée une petite station thermo-solaire de 30 MW, soit 20% du total. Dans ces conditions, chaque fois que la station solaire nous économise un certain volume de gaz, la centrale à gaz en consomme 4 fois plus le jour et 4 fois plus la nuit, soit 8 fois plus au total. En réalité, le déséquilibre est bien plus grand car la station ne fonctionne jamais au maximum de ses 30 MW et cela pour plusieurs raisons. D'abord, la luminosité n'atteint son maximum qu'à midi et décroît progressivement lorsqu'on s'en éloigne pour disparaître complètement en début et en fin de journée. Ensuite, cette luminosité varie en durée et en intensité en fonction des saisons, par temps nuageux et lors de vents de sable. Enfin, en cas de défaillance technique en tout cas.
Par exemple, si la station ne fonctionne qu'à 50% de sa capacité, les turbines à gaz consommeront environ 16 fois ce qu'elle économise. On dit même, sauf démenti, que seulement 3% de l'électricité produite par la centrale hybride est d'origine solaire, le reste, soit 97%, étant généré par les turbines à gaz. Drôle de façon d'économiser le gaz et de promouvoir le solaire !
Dans le cas de la centrale hybride marocaine d'Aïn Béni Mathar où la partie solaire de 20 MW ne représente qu'environ 4% du total des 472 MW, la situation est encore pire qu'à Hassi-R'mel. Ainsi, pour chaque mètre cube d'économisé par la partie solaire c'est environ 47 m3 de gaz qui sont consommés par la partie cycle combiné. Chiffre qui peut s'élever à 94 m3 si l'unité solaire ne fonctionne qu'à 50% de sa capacité. On dit même que 5% seulement de l'électricité produite serait d'origine solaire. De ce fait, les centrales hybrides ne peuvent se comprendre ni se justifier car en totale contradiction avec le rôle solaire qu'elles sont supposées jouer pour préserver des ressources gazières en déclin.
Le solaire et les centrales hybrides sont-ils rentables ?
Pour cela, il n'y a pas que la consommation démesurée de gaz qui pose le problème, mais aussi le coût excessif des stations thermo-solaires, coût qui les rend non rentables par rapport aux centrales à cycle combiné. Cette non-rentabilité se répercute automatiquement sur les centrales hybrides qui, de ce fait, deviennent de moins en moins rentables avec l'accroissement relatif de la partie solaire par rapport à l'ensemble. Les résultats, basés sur les prix de revient de ce genre de stations à travers le monde, sur la quantité de gaz qu'elles permettent d'économiser et sur une durée de vie moyenne de 30 ans, nous montre que le break-even point, c'est-à-dire le seuil de rentabilité, ne peut être atteint que si les prix du gaz s'élèvent à environ le MM btu. Sachant que les prix du gaz pour les contrats de longue durée tournent autour de le MM btu, il devient évident que le thermo-solaire est loin d'être rentable. Il le sera bien moins avec les prix spots de ou le MM btu et même énormément moins avec les prix locaux subventionnés.
Par conséquent, les centrales hybrides seront toujours, à puissance égale, bien plus coûteuse qu'une centrale à 100% cycle combiné. Cet argument économique vient donc s'ajouter à celui de la consommation excessive de gaz pour montrer qu'elles n'ont aucune raison d'exister.
En conclusion de la première partie :
Les centrales hybrides, présentées comme étant une avancée innovatrice, sont en réalité, pour un pays comme l'Algérie, une véritable aberration technologique. Au lieu de promouvoir l'énergie solaire, celle-ci se trouve réduite à sa plus simple expression et c'est le gaz qui se taille la part du lion dans la production d'électricité alors que le but recherché est sa conservation dans le contexte d'un épuisement proche des réserves. De plus, ces centrales sont d'autant plus injustifiées que les coûts de l'hybridation compromettent leur rentabilité.
Illusion et réalité sur les chiffres des réserves du gaz schiste
Il y a à peine quelques années, rares étaient ceux qui, à part les spécialistes, avaient entendu parler des schistes et des hydrocarbures de schiste. Je me rappelle c'était lors de GNL16 de 2010 qui s'est très mal déroulé à Oran que j'avais soumis à monsieur le ministre de l'Energie et des Mines un écrit sur le gaz de schiste (dit à cet époque : gaz américain), le qualifiant d'hydrocarbure de mauvais goût, s'il serait commercialisé sur le marché mondial au vu de son développement spectaculaire aux Etats-Unis. C'était à la 10e session du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG) qui devait avoir lieu à Oran le 10 avril 2010, en marge de la 16e Conférence mondiale du gaz (GNL 16), que le sujet du gaz de schiste devait être abordé pour la première fois par les majors producteurs de GNL à savoir : la Russie, l'Iran, l'Algérie et le Qatar et enfin d'essayer de faire barrage à l'entrée sur le marché au gaz de schiste, nouvellement connu dans les médias pétroliers, ceci dans l'unique but de protéger nos prix du gaz conventionnel . Une réunion d'experts devait précéder la rencontre ministérielle. 11 pays membres du Forum et 3 pays observateurs et des ministres «spécialement invités» participeront à la rencontre. L'Algérie devrait présenter une étude sur le bilan offre-demande de gaz naturel à moyen terme sur les principaux marchés de consommation. Tout paraissait bien se passer. Mais voilà la surprise, un nuage de poussière provoqué par le volcan islandais aurait entraîné l'annulation des deux premiers vols qui devaient arriver, de Londres et de Paris. Quelque 4.000 délégués et 200 groupes énergétiques internationaux devraient participer au GNL16, étaient attendu… la poussière islandaise a empêché dit-on, une bonne partie des délégations européennes n'ont pas pu rejoindre Oran… la conférence échoue !
Le miracle pour Oran s'est subitement transformé en mirage. Une OPEP du gaz devait avoir le jour et pour siège Oran, un Hub (marché) de GNL ainsi qu'un grand pôle pétrochimique à Arzew, c'est tombé à l'eau. Oran vient de perdre ! De toute façon, le limogeage de Chakib Khelil a créé plus de mal que de bien pour le pays, son remplaçant a paralysé les activités pétro-gazières pendant 5 ans. Cette précieuse de perte de temps a fait avancer la date de fin des hydrocarbures conventionnels de 5 précieuses années sur l'échéancier, ça se serait plus tôt en 2025 au lieu de 2030. Cette source d'énergie fossile non conventionnelle qu'est le gaz de schiste et l'intérêt grandissant que lui portent de nombreux pays, ils sont aujourd'hui devenus l'exemple inouï cité dans le monde énergivore, et suscitent toutes sortes de spéculations sur l'importance énorme des réserves et sur leur potentiel de production.
Cet intérêt a été rehaussé par les récentes évaluations et réévaluations des réserves entreprises à l'échelle mondiale par des organismes spécialisés tels que l'EIA (Energy Information Agency dépendant du Département US de l'Energie) qui ont mis en relief de vastes ressources réparties à travers les cinq continents, où chacun a reçu sa part fictive sur papier. Les chiffres (hors US) avancés donnent le vertige avec des volumes de gaz en place estimés globalement à 882 000 milliards de m3 dont 188 000 milliards de réserves techniquement récupérables. À cela, s'ajoutent 5 799 milliards de barils de pétrole en place dont 287 milliards techniquement récupérables. De nombreux pays découvrent subitement, à travers ces évaluations, que leurs sous-sols contiennent de vastes réserves qu'ils souhaitent mettre en valeur au plus tôt pour satisfaire leurs besoins actuels ou futurs, dont l'Algérie où cette polémique a failli se dégénérer par une révolte populaire à In Salah.
L'un de ces pays, l'Algérie, se découvre brusquement un volume de gaz en place de 97 000 milliards de m3 dont 20 000 milliards de réserves techniquement récupérables ce qui la place au troisième rang dans le monde après la Chine et l'Argentine, juste devant les USA. A cela s'ajoutent 121 milliards de barils de pétrole + liquides dont 5,7 milliards de réserves techniquement récupérables. Le ministère de l'Energie et des Mines (MEM) et le président générale de Sonatrach poussent leur plaisanterie mensongère plus loin. D'abord en estimant à la hausse les volumes de gaz en place et les réserves techniquement récupérables qui sont portés respectivement à 180 000 milliards et 27 000 milliards de m3. Ensuite, en prévoyant une production annuelle de 60 milliards de m3/an grâce au forage de 240 puits/an. D'où la tendance, pour beaucoup, à croire qu'il s'agit là d'une panacée providentielle qui permettra de remplacer assurément les hydrocarbures conventionnels en voie d'épuisement et de prolonger indéfiniment une rente en voie de disparition. Sauf que la réalité est tout autre comme ils l'ont imaginé, car les réserves en question sont des réserves dites techniquement récupérables dont le sens ambigu peut prêter à confusion, alors que les prévisions de production annoncées se basent sur des débits de puits très surestimés, près de 10 fois plus élevée que la production moyenne par puits aux USA. Il est donc grand temps de faire la part des choses entre ce qui appartient à la réalité et ce qui relève de l'illusion.
Des réserves techniquement récupérables
Les chiffres de réserves présentés dans les différents rapports ne portent, en fait, que sur des réserves dites techniquement récupérables, sans tenir compte de l'aspect économique. Aussi il est important, avant d'aller plus loin, de définir le sens de cette catégorie de réserves afin de clarifier sa signification. Il suffit, pour cela, de dire que les réserves techniquement récupérables sont des réserves pouvant être produites en utilisant les technologies actuellement disponibles mais sans savoir si elles seront économiquement récupérables ou pas. La question qui vient alors immédiatement à l'esprit du lecteur est de se demander pourquoi les estimations se limitent-elles à cette catégorie de réserves et ne portent jamais sur les réserves économiquement récupérables ? Pour y répondre, il faut savoir que les Etats-Unis sont, pratiquement, le seul pays où une telle évaluation est actuellement possible. En effet, des centaines de milliers de puits à schistes y ont été forés, ce qui a permis non seulement de constituer une abondantes base de données lithologiques, pétro-physiques, géochimiques et économiques mais aussi de procéder à des tests de formation et d'obtenir un historique de production pour chacun des puits exploités. Il devient alors possible, en calant l'historique de production sur des courbes de déclin, notamment celles de type exponentiel, hyperbolique et harmonique, de connaître, par extrapolation, la récupération économique de chaque puits. Les résultats ainsi obtenus sont ensuite transposés, sur la base de similitudes géologiques, aux secteurs non encore développés pour en estimer les réserves économiques. Le traitement de tous ces résultats, facilité par l'utilisation de modèles numériques de simulation, permet de déterminer le total des récupérations de tous les puits actuels et futurs : un total qui correspondra donc aux réserves économiquement récupérables des USA. Dans les autres pays où il n'existe pas ou peu de puits à schistes, cette approche n'est pas possible car des centaines voire des milliers de puits sont requis à cette fin. C'est la raison pour laquelle, en attendant de faire mieux, les estimations ne peuvent que se limiter aux volumes d'hydrocarbures en place et aux réserves techniquement récupérables.
A suivre...
Y. Mérabet
Ingénieur d'Etat, expert en énergie - Association algérienne des relations internationales - 119 Bd Didouche-Mourad, Alger Centre
L’Algérie et les ressources énergétiques
La transition énergétique dans l'impasse: L'Algérie s'enfonce dans le péril (3/4)
Signification et fiabilité des chiffres de réserves
Les réserves dites techniquement récupérables peuvent donc s'avérer très déroutantes, non seulement parce qu'elles sont souvent confondues avec les réserves économiquement récupérables mais aussi parce que leur estimation est très imprécise. Le cas de l'Algérie est un bon exemple pour illustrer ce qui vient d'être dit. En effet, si les réserves techniquement récupérables y ont été estimées à 27.000 milliards de m3, en réalité les réserves économiquement récupérables sont nulles (0 m3), car actuellement non rentables. Cela se comprend aisément lorsqu'on sait que le coût d'un forage tourne autour de millions -sans compter les autres coûts- et qu'il ne peut être compensé par des réserves techniquement récupérables d'à peine (comme déduit plus bas) une trentaine de millions de m3/puits. Est-ce à dire qu'une production rentable ne sera jamais possible ? Absolument pas ! Car tôt ou tard elle le deviendra avec notamment la baisse des coûts, l'accroissement de la récupération et l'augmentation des prix. Mais il est peu probable que cela se produise avant le moyen ou le long terme. Le cas de la Pologne est encore plus parlant. Avec au départ les plus importantes réserves de gaz de schiste en Europe estimés à 5.300 milliards de m3, ce pays a vite fait d'attirer de nombreuses compagnies internationales pour prospecter son sous-sol. Suite au forage d'une cinquantaine de puits, il s'est avéré que les réserves ne présentent aucun intérêt économique. A tel point que les principales compagnies telles qu'Exxon /Mobil, Marathon, Talisman, Total et ENI ont fini par jeter l'éponge et décidé d'arrêter leurs opérations dans ce pays. A cela s'ajoute l'imprécision des réserves. Pour l'Algérie, elles ont au départ été évaluées à 6.000 milliards de m3 de gaz par l'EIA qui vient de les porter à plus de 20.000 milliards de m3, alors que le MEM va encore plus loin en annonçant le chiffre de 27.000 milliards de m3. Tout cela en l'espace de deux ans. Pour la Pologne c'est l'inverse. Au départ, elles avaient été estimées à plus de 5.300 milliards de m3.
Elles viennent, suite au forage de la cinquantaine de puits, d'être revues drastiquement à la baisse et varient vaguement entre 800 et 2.000 milliards. De nombreux pays font périodiquement l'objet de fortes réévaluations à la hausse ou à la baisse. Donc, affaire à suivre.
Un potentiel de production limité et loin de répondre aux attentes anticipées
La connaissance du potentiel de production des futurs puits à schistes algériens est d'une grande importance pour deux raisons principales. D'abord pour estimer les réserves économiquement récupérables. Ensuite pour établir des prévisions de production fiables pour le scénario de développement retenu.
Comme expliqué plus haut, il est impossible d'obtenir cette information dans les pays comme l'Algérie, où il n'existe aucune exploitation de puits à schistes. Par conséquent, le seul moyen pour estimer au mieux le potentiel de production consiste à entreprendre une comparaison analogique par rapport à l'immense base de données issue des centaines de milliers de puits américains, seule référence disponible.
Les statistiques établies à partir de ces données par des organismes tels que l'EIA et l'US Geological Survey ainsi que divers consultants montrent que la récupération ultime moyenne d'un puits à gaz sur l'ensemble des bassins américains est d'un Bcf (environ 30 millions de m3) pour une durée de vie moyenne de 10 ans.
Cette information a déjà permis de déduire plus haut que l'exploitation des hydrocarbures de schiste en Algérie n'est pas encore une opération rentable. Elle permet également de déduire que le projet de développement prévoyant le forage de 240 puits par an pour produire 60 milliards de m3/an est très surestimé, car il ne pourra produire qu'environ 7 milliards de m3/an à moins de forer 2000 puits/an. Le constat qui en découle à ce point est que le potentiel de production des hydrocarbures de schiste est limité et ne dépendra pas de l'importance des réserves, même si elles s'avèrent très vastes. Il dépendra surtout et avant tout du nombre de puits qu'il sera possible de forer par an, c'est-à-dire des moyens technologiques et logistiques qui pourront être mobilisés.
L'autre constat est que les 7 milliards de m3/an que pourront produire les 240 puits forés annuellement permettront de couvrir moins de 9% des 80 milliards de m3 de gaz prévus pour la consommation nationale à l'horizon 2030. Et même si l'Algérie réussissait la prouesse de forer 2.000 puits par an pour produire les 60 milliards/an souhaités, leur production n'arrivera même pas à satisfaire cette consommation.
Tout se passe comme si mère nature, très déçue par la production démesurée et le gaspillage excessif des hydrocarbures, avait décidé de mettre un frein à sa générosité en les distribuant au compte-goutte et au compte-bulle avec des coûts autrement plus élevés. Les rentes fabuleuses auxquelles nous nous sommes habitués ne seront plus, dans quelques années, qu'un souvenir nostalgique. Alors que la transition économique vers une économie diversifiée, seule solution de remplacement pour s'émanciper de la rente, stagne sans amélioration en vue. Sinon comment expliquer que le pays soit inondé d'oranges et de figues sèches, pour ne citer que ces produits, importés d'Espagne et d'ailleurs, alors que c'est plutôt l'inverse qui devrait se produire.
Conclusions :
Dans ces conditions, il ne faudra pas trop compter sur les hydrocarbures de schiste (même si on leur ajoute les énergies renouvelables et autres énergies alternatives) pour prolonger la rente actuelle en voie de disparition.
Par conséquent, la solution ne réside pas dans une transition énergétique vers un mix ne pouvant qu'être déficitaire, mais plutôt dans une transition économique vers une économie diversifiée, capable de s'émanciper de la rente et où la transition énergétique ne serait que l'une des composantes de la diversification.
La fracturation hydraulique peut-elle compromettre les nappes d'eau du sous-sol saharien ?
La fracturation hydraulique des schistes fait l'objet de nombreuses controverses et appréhensions car elle est perçue comme étant la source de la plus grave des atteintes à l'environnement : la pollution et l'épuisement des nappes d'eau du sous-sol.
Il est donc nécessaire de clarifier les choses et dissiper les malentendus afin que chacun puisse se faire sa propre opinion à ce sujet. Tout d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet et afin d'en faciliter la compréhension, il convient d'apporter quelques informations de base sur les hydrocarbures de schiste et la fracturation hydraulique.
Le gaz et le pétrole de schiste (shale gas et shale oil) sont, contrairement à ceux des gisements conventionnels, contenus dans une roche argileuse compacte à perméabilité presque nulle. Les produire dans ces conditions est un défi impossible qui vient pourtant d'être relevé. Il revient pratiquement à extraire des hydrocarbures à partir d'une roche aussi compacte que du béton. De ce fait, lorsqu'un puits vertical traverse un réservoir schisteux, celui-ci ne peut que difficilement expulser (ou plutôt transpirer) les fluides qu'il emprisonne. Pour obtenir un débit rentable, il faut donc accroître la surface d'intersection puits/schistes que même un puits horizontal, avec une surface des dizaines de fois plus grande, reste lui aussi loin de satisfaire.
Il a fallu attendre l'avènement d'une percée technologique de fracturation dite multi-stage fracking qui, appliquée à un puits horizontal, a permis enfin de se rapprocher du seuil de rentabilité. Un seuil qui n'a pu finalement être franchi qu'avec l'embellie des prix du gaz d'il y a une dizaine d'années.
La technique consiste à orienter un puits horizontal dans une direction particulière afin que les fractures, toujours verticales à ces profondeurs, se forment perpendiculairement au drain horizontal. Il devient possible, de cette façon, de fracturer le puits segment après segment et d'aligner ainsi un grand nombre de fractures sur des distances kilométriques, en une sorte de brochette géante de fractures. Il en résulte alors des dizaines de fractures, plus ou moins parallèles, qui pénètrent profondément à l'intérieur du réservoir schisteux, drainant ainsi des débits et des réserves bien plus élevés, contrairement à un puits vertical où une seule fracture est possible.
L'opération implique l'injection, sous très haute pression, d'une formulation de fluides composée d'eau, d'agents de soutènement (sables ou produits similaires) et d'environ 0.5% de produits chimiques dont certains toxiques. Lors de la fracturation, le sable en suspension dans l'eau pénètre dans les fractures et s'y piège en les empêchant de se refermer sur elles-mêmes, créant de la sorte des drains à travers lesquels le gaz ou le pétrole peut s'écouler en bien plus grande quantité vers le puits. Le nombre élevé de fractures qui sont créées nécessitent d'importants volumes d'eau, allant d'environ 7.000 à 15.000 m3 d'eau par puits.
Enjeux liés aux nappes d'eau de l'Albien et aux hydrocarbures de schiste
Il est important de rappeler à ce stade que le sous-sol saharien contient d'immenses volumes d'eau douce dans le Continental Intercalaire (CI) ainsi que dans le Continental Terminal (CT), l'essentiel se trouvant dans l'Albien qui s'étend sur plus d'un million de km2 et déborde sur plusieurs pays voisins. Une véritable mer d'eau douce à faible profondeur contenue dans des formations sablo-gréseuses de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur et d'autant plus précieuse qu'elle se trouve dans une des régions les plus arides de la planète.
Le sous-sol saharien contient également d'immenses réserves d'hydrocarbures dans les couches beaucoup plus profondes du Trias et du Paléozoïque. Mais des réserves en voie d'épuisement alors que l'économie du pays reste fortement tributaire de cette ressource qui représente près de 98% de ses exportations. Et voilà qu'on nous annonce que cette rente risque de disparaître bientôt, autour de 2020 pour le pétrole et autour de 2030 pour le gaz, alors que nous ne pouvons pas nous en passer car nous ne sommes pas prêts pour l'après-pétrole.
À ces réserves viennent maintenant s'ajouter de vastes réserves non conventionnelles que sont les hydrocarbures de schiste, potentiellement bien plus importantes. Or c'est précisément autour de ces dates de fin de rente, et pas avant, que les hydrocarbures de schiste pourraient connaître un début de production s'ils s'avèrent exploitables. Ce serait là une chance inespérée qui tomberait au moment où on en aurait le plus besoin et sans laquelle le passage vers une économie d'après-pétrole serait beaucoup plus problématique avec une population qui avoisinera alors les 50 millions.
Nous nous trouvons donc confrontés, si risque de pollution il y a, au dilemme d'avoir à sacrifier une des deux richesses inestimables et indispensables du sous-sol saharien : l'aquifère de l'Albien ou les hydrocarbures de schiste. Par conséquent, la question fondamentale qui se pose à ce point est de savoir s'il y a vraiment risque de pollution. Dans l'affirmative, il faudrait interdire sans hésiter l'exploitation des hydrocarbures de schiste pour préserver les nappes aquifères. Dans la négative, il serait possible de tirer profit de ces deux richesses qui deviendraient complémentaires et non exclusives l'une de l'autre. Sont-elles incompatibles ? Ou au contraire est-il possible de ménager le chou et la chèvre afin de tirer profit des deux ?
L'enjeu est énorme et nous interpelle pour répondre à la préoccupation centrale de savoir si la fracturation hydraulique peut vraiment polluer et épuiser les aquifères.
La fracturation hydraulique peut-elle polluer les aquifères de l'Albien ?
L'argument principal de ceux qui s'opposent au développement des hydrocarbures de schiste est que les fluides de fracturation et les hydrocarbures peuvent, au terme de l'opération, remonter à travers les formations de subsurface jusqu'au niveau de l'Albien et le polluer irrémédiablement. Et même que, dans des cas extrêmes, les fractures elles-mêmes pourraient remonter jusqu'à ces nappes, les pénétrer et les polluer directement.
Or, cela est quasiment impossible pour plusieurs raisons. D'abord parce que la distance séparant l'extrémité supérieure des fractures et la base de l'Albien peut atteindre les 2 kilomètres. Qui plus est, cette séparation est constituée d'un empilement de formations lithologiques dont la plupart sont imperméables. C'est le cas des argiles, du sel, de l'anhydrite et des carbonates se présentant sous forme d'une multitude de bancs massifs d'épaisseur métrique à décamétrique absolument étanches sans parler d'une infinité de laminassions de même nature. Ces formations, qui se répètent en une infinité d'intercalations imperméables jusqu'à la base de l'aquifère et même au-delà jusqu'en surface, se comportent comme autant de barrières infranchissables s'opposant à toute migration de fluides, artificiels ou naturels, vers la surface.
On peut même imaginer le cas extrême et hautement improbable d'une fracture se propageant accidentellement à travers ces formations ou par l'intermédiaire d'une faille, jusqu'à pénétrer directement l'aquifère près de deux kilomètres plus haut. Si ce cas impensable pouvait se produire, seul l'extrême bout de la fracture y pénétrerait, ce qui signifie qu'une quantité négligeable de fluide de fracturation y parviendrait.
En outre, lors du dégorgement des puits qui suit toujours les opérations de fracturation, l'aquifère serait lui aussi aspiré et repousserait cette quantité négligeable de fluides polluants vers le puits. Une pareille fracture, ou faille, ne manquera d'ailleurs pas de se colmater rapidement au niveau des bancs d'argile et de sel, relativement plastiques et fluents aux pressions et températures auxquelles ils sont soumis, et tout mouvement de fluides cessera.
En fait, les accidents de cette nature sont pratiquement impossibles grâce à la panoplie de modèles numériques permettant de prévoir, entre autres, la hauteur des fractures avec une bonne précision et d'éviter toute anomalie éventuelle. Sans parler de la micro-sismique qui permet de suivre en temps réel l'évolution de tous les paramètres de la fracture (en particulier la hauteur) et de prendre pendant l'opération toute mesure d'urgence ou d'arrêt qui s'impose.
On pourra même se passer de ces techniques dans la plus grande partie du bassin saharien car il s'y trouve, au niveau du Trias salifère, une épaisse couche de sel massif de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur située à mi-distance entre les formations de schiste et l'Albien. Cette couche forme une barrière absolument infranchissable à toute fracture quelles que soient ses dimensions car celle-ci viendrait tout simplement y mourir étouffée par le sel.
Enfin, il existe un argument géologique de poids prouvant qu'aucune fracture ou migration de fluides ne peut, ni n'a pu, atteindre l'Albien. En effet, si tel était le cas, les hydrocarbures auraient pu migrer vers la surface au cours des temps géologiques, au lieu de rester piégés là où ils sont, et aujourd'hui on trouverait des gisements d'hydrocarbures dans l'Albien lui-même. Il en aurait été de même pour les eaux
saturées en sel des aquifères profonds qui auraient transformé la nappe d'eau douce de l'Albien en mer d'eau salée. Tout se passe comme si mère nature s'était elle aussi mise de la partie pour protéger jalousement ses aquifères en empêchant les intrus les plus obstinés de s'y rapprocher.
Pour conclure ce chapitre, nous pouvons dire que les risques de pollution des nappes aquifères par les fluides de fracturation sont quasiment nuls. Et ces risques pourraient être rapprochés encore d'avantage du risque zéro par les agences de régulation en imposant une distance minimum de sécurité, à définir pour chaque secteur, entre l'extrémité supérieure de la fracture et la base de l'Albien. Par exemple 500 m ou plus.
Tous les secteurs où cette distance serait inférieure au minimum requis devraient tout simplement être déclarés zones interdites à la fracturation hydraulique en attendant que des techniques plus sûres soient développées. On pourra d'ailleurs se passer facilement de ces zones vu l'immensité du domaine minier algérien.
Enfin, tout ce qui vient d'être dit ne concerne, bien entendu, que la fracturation hydraulique. Pour le reste, l'exploitation des hydrocarbures de schiste est, malheureusement, tout aussi polluante que celle des hydrocarbures conventionnels mais ni plus ni moins. Nous y reviendrons.
Fracturation hydraulique et volumes d'eau requis
Un des gros problèmes de la fracturation hydraulique multi-stage réside dans les énormes volumes d'eau qui doivent être mobilisés pour les besoins de l'opération. Chaque puits en consomme environ 7.000 à 15.000 m3 d'où une forte réticence devant un usage perçu comme un gaspillage dans une région en manque d'eau.
Mais au fait manque-t-il de l'eau dans le bassin saharien ?
D'après les évaluations de l'ANRH (Agence nationale des ressources hydrauliques), les réserves d'eau du bassin saharien se situent entre 40.000 et 50.000 milliards de m3. Quant aux capacités de production, elles sont estimées à 6.535 millions de m3/an avec un soutirage actuel de 2.748 millions de m3/an pour les besoins agricoles, industriels et autres, ce qui laisse un surplus de 4.070 millions de m3/an pour des activités supplémentaires.
Sur la base de 15.000 m3 par puits, il faudra 15 millions de m3 pour 1000 puits et 150 millions de m3 pour 10.000 puits, soit respectivement 0,00003% et 0,0003% des réserves en place. S'ils sont forés à raison de 200 puits par an, la consommation totale s'élèvera à 3 millions de m3/an, ce qui représente 0,073% du surplus disponible annuellement.
A suivre...
Y. Mérabet
Ingénieur d'Etat, expert en énergie - Association algérienne des relations internationales - 119 Bd Didouche-Mourad, Alger Centre
Le Pèlerin