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  • : Algérie Pyrénées - de Toulouse à Tamanrasset
  • : L'Algérie où je suis né, le jour du débarquement des Américains, le 8 novembre 1942, je ne l'oublierai jamais. J'ai quitté ce pays en 1962 pour n'y retourner que 42 ans plus tard. Midi-Pyrénées m'a accueilli; j'ai mis du temps pour m'en imprégner...mais j'adore
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De Toulouse à Tamanrasset

 

cirque-de-gavarnie.jpg

Le cirque de Gavarnie

L'Algérie, j'y suis né le jour du débarquement des Américains, le 8 novembre 1942. J'ai quitté ce pays merveilleux en 1962, pour n'y retourner qu'en août 2004, soit 42 ans plus tard...
Midi-Pyrénées m'a accueilli. J'ai mis du temps pour m'imprégner de Toulouse mais j'ai de suite été charmé par ce massif montagneux et ses rivières vagabondes que je parcours avec amour...Ah ces chères Pyrénées, que je m'y trouve bien ...! Vous y trouverez de nombreux articles dédiés à cette magnifique région et la capitale de Midi Pyrénées : Toulouse
L'Algérie, j'y suis revenu dix fois depuis; j'ai apprécié la chaleur de l'accueil, un accueil inégalé de par le monde.......L'espérance d'abord ...Une relative désillusion ensuite...Pourquoi alors que le pays a un potentiel énorme...Les gens sont perdus et ne savent pus que faire....Les jeunes n'en parlons pas, ils ne trouvent leur salut que dans la fuite....Est-il bon de dénoncer cela? Ce n'est pas en se taisant que les choses avanceront.
Il y a un décalage énorme entre la pensée du peuple et des amis que je rencontre régulièrement et les propos tenus dans les divers forums qui reprennent généralement les milieux lobbyistes relayant les consignes gouvernementales...
Les piliers de l'Algérie, à savoir, armée, religion et tenants du pouvoir sont un frein au développement de l'Algérie ....Le Pays est en veilleuse....Les gens reçoivent des ….sucettes...Juste le nécessaire... pour que ....rien nez bouge....
Pourtant des individus valeureux il y en a ....Mais pourquoi garder des élites qui pourraient remettre en cause une situation permettant aux tenants des institutions de profiter des immenses ressources de l'Algérie. Le peuple devenu passif n'a plus qu'un seul espoir : Dieu envers qui il se retourne de plus en plus...Dieu et la famille, cette famille qui revêt une importance capitale en Algérie.

Le vent de la réforme n'est pas passé en Algérie tant les citoyens sont sclérosés dans les habitudes et les traditions relevant des siècles passés....La réforme voire la révolution passera....à l'heure d'Internet, on ne peut bâillonner le peuple indéfiniment...Cela prendra du temps mais cela se ferra...
Pour le moment le tiens à saluer tous les amis que j'ai en Algérie et Dieu sait que j'en ai....C'est pour eux que j'écris ces blogs, quand bien même je choisis souvent mes articles dans la presse algérienne....pour ne pas froisser la susceptibilité à fleur de peau de l'Algérien...

Cordialement,
Le Pèlerin

 

 

 

 

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18 juillet 2013 4 18 /07 /juillet /2013 23:51

Henri Alleg, le plus Algérien des Français

             

Votre serviteur aux cotés d'Henri Alleg en Ariège 

J’ai eu l’occasion de rencontrer Henri Alleg à Foix en Ariège, lors de la présentation d’un de ses documentaires sur l’Algérie et sur la torture… Bon naturellement j’étais le seul Pied–Noir parmi la nombreuse assistance….Mes amis Pieds Noirs ne vont donc pas apprécier…
J’y ai rencontré un homme sympathique doté d’un humanisme hors du commun….J’ai apprécié son courage à une époque où il n’était pas recommandé d’être communiste en Algérie..
J’adore les gens qui vont jusqu’au bout de leurs idées tout en respectant l’intégrité physique de l’homme.
La vérité n’est que très rarement la propriété d’un camp, elle est souvent au milieu…Comment approcher cette vérité si l’on n’écoute pas celui qui est en face….La pensée unique, celle à laquelle on s’accroche de nombreux concitoyens avec des œillères est souvent mauvaise conseillère….oui certains s’y attachent et mourront persuadés qu’ils avaient raison….Paix à leur âme....
C’est donc par respect pour l’homme de conviction, pour l’écrivain, par devoir de mémoire que je vous rapporte cet article du Quotidien algérien «  Le Matin d’Algérie »

Début de citation

J’ai titré ainsi mon article par pure coquetterie intellectuelle et non par respect à la vérité historique, car Henri Alleg n’est ni tout à fait Algérien ni tout à fait Français : il est internationaliste, bien que nous, Algériens, ayons tendance à nous l’approprier.
Il m’échoit ainsi deux tâches en une. La première tâche, ingrate celle-là, vise à présenter Harry Salem, plus connu sous son nom de guerre d’Henri Alleg, à une partie des lecteurs déjà convaincus et connaisseurs de ce dernier, tant la valeur de cet homme a fait le tour des cinq continents.
La seconde tâche consiste en le redoutable privilège de faire connaître Henri Alleg à cette autre partie du public qu’est la jeunesse et qui, peut-être connaît imparfaitement cet homme. Je le ferai donc en vertu de deux affinités subjectives qui me lient à Henry Alleg : l’idéal communiste et l’honneur d’avoir travaillé à Alger républicain en qualité de grand reporter quelques dizaines d’années après lui (ce qui ne rajeunit pas Henri !) A ce propos, il faut dire, en passant, que lors de notre intégration à ce journal, chaque jeune journaliste subissait un long speech sur Henri Alleg, par notre directeur de journal aujourd’hui hélas décédé, Abdelhamid Benzine, qui lui aussi connut pendant la guerre la torture et les camps de concentra tion. Ainsi nous, dont « La question » figurait parmi nos livres de chevet, nous connaissions Henri avant même de l’avoir rencontré. Il était devenu un mythe pour les Maghrébins que nous sommes, raffolant de mythes et de légendes. Mais cet inconnu devient aussi pour nous une référence en matière de journalisme.
Nous apprîmes donc que ce natif de Londres a tôt commencé le journalisme, avant de s’installer dans l’Algérie coloniale des années quarante. A l’âge de 19 ans il adhère au Parti Communiste Algérien. La direction de ce Parti, assimilant mal les enseignements de Lénine concernant la question coloniale, était majoritairement composé de pieds noirs, c’est-à-dire des français nés en Algérie, ce Parti donc bégayait à l’époque entre la revendication d’une assimilation des Algériens aux Français et sa demande de promotion des classes ouvrières des deux pays. L’idée de l’indépendance de l’Algérie ne l’effleurait même pas. Il était en somme une annexe du Parti Communiste Français. Mais passons sur cette digression qui risque de réveiller de vieilles polémiques.
En 1951, Henri Alleg se voit offrir la direction du journal progressiste Alger républicain. Il renforce sa ligne résolument anticapitaliste. Peu à peu, la ligne de ce journal devient plus radicale et se rapproche des thèses nationalistes, tant le colonialisme est le fils cadet du capitalisme. Le fils benjamin du capitalisme étant l’impérialisme.
1954 : l’insurrection armée Algérienne éclate. Le Parti Communiste Algérien, censé être un parti d’avant-garde, est pris au dépourvu. Nombre de militants le quitteront pour rejoindre les patriotes Algériens.
Quelques mois plus tard, Alger républicain est interdit par les autorités coloniales. Apprenant qu’il était recherché, Henri Alleg plonge dans la clandestinité pendant que nombre de communistes créent des cellules armées combattantes dénommées Les maquis rouges, dont le moins méritant n’est pas Fernand Yveton, Français de souche, qui sera condamné à la guillotine et exécuté. Il venait à peine d’avoir 20 ans. Les communistes combattront sous le vocable de Maquis rouges jusqu’en 1956, année où ils vont s’auto dissoudre pour rejoindre l’Armée de Libération Nationale.
Après deux ans de clandestinité, Henri est soudain découvert et arrêté le 12 juin 1957 par la sinistre 10eme division de parachutistes du non moins sinistre général Massu. Il est immédiatement transféré dans une villa des hauteurs d’Alger. Il s’agissait probablement de la villa Susini de triste mémoire. Là, Henri connaîtra dans sa chair les morsures de « la bête immonde. » Il y subira ses tortures des plus grossières aux plus raffinées. Il fera connaissance avec « le torchon mouillé », la « gégène », « la baignoire » et autres joyeusetés les unes pires que les autres. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, à l’heure où la torture sévit à Abou Ghraïeb (en Irak), en Palestine, en Colombie et ailleurs, écoutons Henri Alleg

Extrait de La Question d’Henri Alleg

Jacquet, toujours souriant, agita d’abord devant mes yeux les pinces qui terminaient les électrodes. Des petites pinces d’acier brillant, allongées et dentelées. Des pinces « crocodiles », disent les ouvriers des lignes téléphoniques qui les utilisent. Il m’en fixa une au lobe de l’oreille droite, l’autre au doigt du même côté.D’un seul coup, je bondis dans mes liens et hurlai de toute ma voix. Charbonnier venait de m’envoyer dans le corps la première décharge électrique. Près de mon oreille avait jailli une longue étincelle et je sentis dans ma poitrine mon coeur s’emballer.
Je me tordais en hurlant et me raidissais à me blesser, tandis que les secousses commandées par Charbonnier, magnéto en mains, se succédaient sans arrêt. Sur le même rythme, Charbonnier scandait une seule question en martelant les syllabes « Où es-tu hébergé ? »Entre deux secousses, je me tournai vers lui pour lui dire : « Vous avez tort, vous vous en repentirez ! » Furieux, Charbonnier tourna à fond le rhéostat de sa magnéto : « Chaque fois que tu me feras la morale, je t’enverrai une giclée ! » et tandis que je continuais à crier, il dit à Jacquet : « Bon Dieu, qu’il est gueulard ! Foutez-lui un bâillon ! » Roulant ma chemise en boule, Jacquet me l’enfonça dans la bouche et le supplice recommença. Je serrai de toutes mes forces le tissu entre mes dents et j’y trouvai presque un soulagement. Fin de citation.
Après un mois de sévices ignobles, un mois qui a dû durer pour lui un siècle, Henri est transféré en divers lieux de détention pour, finalement, aboutir à la prison Algéroise Barberousse.. C’est dans cette prison qu’Henri Alleg entreprend de relater son supplice afin que nul ne dise « je ne savais pas. » A mesure qu’il rédige fébrilement « La question », il en fera sortir un par un les feuillets à l’insu de ses gardiens, par l’intermédiaire de ses avocats qui étaient aussi ses « complices » à l’instar de Leo Mataresso.
Une fois achevé et évacué hors de prison, un homme de bonne volonté et de grand courage entreprit de l’éditer. Il s’agissait de Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit. Pendant que son auteur est en prison, La question est publié. Les autorités françaises interdisent le livre mais des centaines d’exemplaires sont déjà répandus sur le territoire. C’est ainsi, et avec l’aide La Cité, une maison d’éditions Suisse, que les Français apprennent avec émoi que l’on torture en Algérie et qui plus est, on torture même des Français ! Des intellectuels et autres personnalités tels que Jean-Paul Sartre, Malraux, François Mauriac et tant d’autres protestent vigoureusement auprès de leur gouvernement.
Dans l’Algérie maquisarde, du livre fut d’un apport extraordinaire. « Ce fut pour nous l’équivalent d’un bataillon » me dira, il y a quelques années, le commandant Azzedine, un des anciens dirigeants de l’Armée de Libération Nationale algérienne.
Après trois années de détention à la prison Barberousse, Henri est transféré en France, dans la Prison de Rennes. d’où il s’évadera peu après, aidé en cela par un réseau communiste qui lui fera rejoindre la Tchécoslovaquie. Il y restera jusqu’en 1962, lors du cessez-le feu conclu entre l’Algérie combattante et la France colonialiste. Il revient dans l’Algérie indépendante pour organiser la reparution d’Alger républicain.
Je termine en rappelant que, contrairement aux Occidentaux, nous, Maghrébins avons le culte des héros. Henri Alleg est de ceux-là.
Fin de citation

Le Pèlerin

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12 juillet 2013 5 12 /07 /juillet /2013 04:28

Une idée de liberté

georges-moustaki.jpg

 

Dans sa chanson, L’ambassadeur, on peut l’entendre dire : «Je ne suis pas d’ailleurs, je ne suis pas d’ici, je suis contemporain de chaque instant qui passe.»

Ce couplet d’alexandrins résume parfaitement Georges Moustaki, cet alexandrin justement, avec «sa gueule de métèque, de juif errant et de pâtre grec». Voyageur libertaire, aimant par-dessus tout la paresse et le dilettantisme, Moustaki se plaisait à être un «Oriental» de pure souche. Quand, à l’école, on lui avait demandé ce qu’il aimerait devenir après, il eut cette réponse laconique : «Je veux être vieux». Partisan du moindre effort, Moustaki avait même chanté «le droit à la paresse», et était de ceux qui pensaient que «pour bien travailler, il faut peu travailler». Grec d’origine juive, égyptien de naissance, français par adoption, Moustaki est surtout un citoyen du monde, ayant passé le plus clair de son temps à voyager. Un nomade en somme, un promeneur, qui aimait laisser le temps passer sans lui : «De château en Espagne en pays de Cocagne, je ne sais où je vais, je passe !». Il était aussi un célibataire forcené. En dépit d’un mariage «éphémère», jusqu’à son dernier souffle, il a toujours préféré sa solitude, la chantant si bien : «Pour avoir si souvent dormi avec ma solitude, je m’en suis fait presque une amie, une douce habitude, elle ne me quitte pas d’un pas, fidèle comme une ombre, elle m’a suivi çà et là, aux quatre coins du monde.»

Pour autant, cela ne l’a jamais empêché d’être un éternel amoureux. Il vouait une adoration obsessionnelle à la gent féminine, au point de lui offrir ses plus belles œuvres. Qu’il s’agisse de femmes rondes «sensuelles et girondes», de femmes mûres qui «n’ont plus vingt ans depuis longtemps», ou encore de jeunettes que «le soleil enivre, et que la nuit délivre», la femme a toujours été mise sur un piédestal dans son répertoire. Né en Egypte en 1934, de parents grecs, le petit Giuseppe Mustacchi (qu’on appelait aussi Youssef) a grandi dans une Alexandrie cosmopolite, où se mêlaient plusieurs cultures et origines. Quand il ne piquait pas une tête dans la Méditerranée, le jeune Moustaki passait son temps dans la librairie paternelle, où, de longues heures durant, il dévorait des livres. Polyglotte invétéré, c’est aussi grâce à ce cosmopolitisme que Moustaki a appris à parler plusieurs langues : de l’arabe à l’hébreu en passant par le français, l’anglais, l’italien, le grec, l’espagnol, et le portugais. Ce monde oriental lui avait aussi offert une autre vertu : prendre le temps de vivre et savoir apprécier chaque instant qui passe. Ce savoir-vivre, tant chéri par l’écrivain égyptien, Albert Cossery, où la vie est prise par la taille, «sans n’avoir à la gagner comme une bataille», transparaît de façon indélébile, dans la vie et l’œuvre du chanteur.

Toutefois, en 1951, alors âgé de 17 ans, voulant changer d’horizon, il décidera de s’exiler, gagnant Paris où il s’imprégnera de l’ambiance des cabarets de cette époque où le jazz était alors à son âge d’or. Le jeune Youssef, émerveillé, faisait la tournée des boxons de Saint-Germain-des-Prés jusqu’aux heures les plus tardives. Il vivait de débrouillardise et de divers métiers, tour à tour journaliste, barman, plongeur... Pour l’anecdote, lors de son arrivée en France, Moustaki avait rencontré un Marseillais, scout de son état, qui, pour ne pas trop le dépayser, l’avait emmené dans des endroits fréquentés par des arabophones. Une amitié s’était ainsi nouée entre eux, et quelques décennies plus tard, après s’être perdus de vue, les deux hommes se croiseront en Tunisie, et Moustaki apprendra que cet ami Marseillais, tellement séduit par tout ce qu’il lui avait raconté sur l’Orient, avait décidé de se convertir à l'islam. Une anecdote somme toute assez plaisante et singulière. C’est peut-être la première fois qu’un incroyant (Moustaki se considérait comme tel), faisait entrer, fut-ce «à l’insu de son plein gré», une personne en islam !

C’est durant cette période, au début des années 1950, que Moustaki avait décidé de s’essayer à l’écriture, après avoir assisté à un concert de Georges Brassens, lui aussi débutant. Ecouter des chansons comme Le gorille ou La mauvaise réputation, avait provoqué en lui une sorte de déclic, le poussant vers cet art. C’est d’ailleurs en hommage à Brassens qu’il décide de se donner pour nom de scène le prénom Georges. Quant à Brassens, il sera le premier à reconnaître le talent de son jeune confrère. Il écrira ainsi, dans le premier 33 tours de Moustaki, cette belle préface : «Il existe encore des poètes, Moustaki en est un. Il écrit des chansons entre les lignes. Il aurait pu bâcler des insanités et se faire chanter par la canaille lyrique. Il a choisi les chemins escarpés, les chemins coupés. Il fait confiance au public, il aura sa récompense.»

Mais le succès, le véritable, ne viendra que quelques années après, en 1959, avec la rencontre d’Edith Piaf, celle qui ne tardera pas à devenir sa complice puis son amante. Moustaki lui avait écrit Milord et l’avait ainsi propulsée dans un succès tourbillonnant, les ayant fait voyager aux quatre coins du monde. Après ce succès planétaire, le talent de Moustaki est «reconnu» par la profession. Une multitude de chanteurs le sollicitent pour leur écrire des chansons. Celui qui sort du lot est assurément Serge Reggiani pour lequel il a écrit quelques chefs-d’œuvre comme Sarah, Madame Nostalgie ou encore Votre fille a vingt ans. Toujours fidèle à lui-même, Moustaki restera, malgré le succès, un maître en oisiveté. Tellement oisif qu’il décide même de se laisser pousser la barbe, histoire de ne plus devoir se raser chaque jour.

Cette décision ne sera pas sans conséquence puisqu’elle lui donnera «une gueule de métèque». Une dame du monde, plutôt collée-montée, dont Moustaki fréquentait la fille, en le voyant pour la première fois, ne manquera pas de s’exclamer : «Mais qu’est-ce que c'est que ce métèque !». Plutôt que de provoquer l’indignation de l’intéressé, cette remarque le fera sourire et lui donnera plus tard l’idée d’écrire Le métèque. Se voulant d’abord une chanson d’amour, cette œuvre a fini par devenir une chanson de revendication, rendant hommage à tous les exclus, ceux qu’on rejette pour délit de faciès. On est à présent dans les années 1960, une époque où le monde bouillonnait, et où le fascisme, dans certains pays, était à son apogée. Le coup d’état des colonels en Grèce avait poussé Moustaki à s’y rendre pour participer à la résistance intellectuelle. Il y rencontrera le musicien et opposant Mikis Théodorakis et traduira en français quelques unes de ses chansons, notamment Nous sommes deux ou Le facteur. Un peu plus tard, il écrit Flamenco, déclaration d’amour à l’Espagne oppressée : «Qui le premier pourra chanter les accords de la liberté, qui chantera le flamenco dans une Espagne sans Franco, ce sera fête ce jour-là, et moi, je voudrais être là…»

Lors de la révolution des œillets, au Portugal, il sera également présent, en chantant : «A ceux qui ne croient plus voir s’accomplir leur idéal, dis-leur qu’un œillet rouge a fleuri au Portugal.» Se revendiquant «homme du Tiers-Monde», Moustaki a chanté les révolutions et a écrit l’incontournable Sans la nommer que beaucoup de révolutionnaires, à ce jour, revendiquent et reprennent à leur compte. La toute première fois qu’il avait chanté au Maghreb, c’était au Maroc, où il fit la connaissance de Nadia, une Marocaine avec qui il vivra une relation passionnelle. Cette jeune femme faisait partie des mouvements marocains qui luttaient pour la cause palestinienne. Une passion «shakespearienne» était alors née entre la pasionaria et le barde juif. Cette Nadia fut arrêtée en Israël, tandis qu’elle s’apprêtait à participer à une action contre l’Etat hébreu, Moustaki combinera un stratagème pour revoir sa bien-aimée. Il proposera aux autorités du centre pénitencier où elle se trouvait, d’organiser un concert au profit des détenues. Ce spectacle lui permit d’entrevoir sa dulcinée noyée dans le public des prisonnières. Il confiera, dans un livre autobiographique, Les filles de la mémoire, n’avoir jamais ressenti, dans un spectacle, pareille émotion.  Peu après, il consacrera à la «belle captive» une magnifique chanson, à la fois sensuelle et douce, intitulée Je ne sais pas où tu commences.

Les années 1970 marquent le début d’une longue histoire qui liera Moustaki au Brésil, pays qu’il chérira tout particulièrement, et qui lui inspirera quelques perles, dont Bahia, la plus connue : «C’est là qu’un beau jour a commencé le Brésil et sa première capitale, c’est là que l’Afrique vit encore en exil, et parle la langue du Portugal.» Enfant de bohème et citoyen du monde, Moustaki n’a eu de cesse de clamer l'«état de bonheur permanent et le droit de chacun à tous les privilèges», de chanter que la terre est un jardin, «une maison des arbres, avec un lit de mousse pour y faire l’amour, et un petit ruisseau coulant sans une vague».

Tout au long de son répertoire, on décèle cette quête d’un paradis perdu, cette nostalgie d’un monde utopique où il fait bon vivre. Moustaki prône simplement la vie et la joie de vivre. «Tant que je pourrai voir sous un ciel de Provence, la tête et les pieds nus, une fille jolie, marcher en balançant et les reins et les hanches, j’aimerais la vie.» Cette envie de vivre, sans projet ni habitude, ne lui fera pas oublier que celle-ci est éphémère : «Dire qu’il faudra mourir un jour, quitter sa vie et ses amours. Dire qu’il faudra laisser tout ça, pour Dieu seul sait quel au-delà ! » Mais qu’importe, car il a toujours su affronter cette fatalité, celle de la rencontre inévitable avec la Faucheuse, en adoptant une philosophie qui lui est propre, la philosophie Butacada : «Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer !» 
Moustaki et l'Algérie :

Au début de juin, la petite ville d’Akbou a accueilli un concert en hommage à Moustaki qui venait de décéder ainsi qu’au militant Mouloud Haroun. Organisée par l’Etoile culturelle d’Akbou, en partenariat avec la Fondation Anna Lindh euro-méditerranéenne de dialogue entre les cultures, cette manifestation reflétait bien l’attachement des Algériens, notamment de la génération des jeunes de l’indépendance, au chanteur disparu.

Georges Moustaki s’était produit, assez régulièrement, dans les années 1970 et 1980, à la salle Atlas d’Alger ou au théâtre de Verdure de Sidi Fredj. La toute dernière fois où il s’était produit en Algérie, c’était en 2004, pour deux récitals mémorables à Alger, les 15 et 16 décembre. La salle était alors bondée et le public l’accompagnait en chœur dans la majeure partie de ses chansons.

En 1992, il avait composé, avec le chanteur algérien Arezki Belkacem, la chanson Méditerranéen, se voulant un hymne à la Méditerranée. Pour l’anecdote, citons son rôle de vieil Algérien sans papiers que Moustaki a accepté de jouer dans un des épisodes de la série française Navarro (TF1, 2004).  Mais c’est en 1969 que Georges Moustaki a entamé ses relations artistiques et humaines avec l’Algérie, en écrivant la musique du film Les Hors-la-loi de Tewfik Farès, avec Sid Ahmed Agoumi, Mohamed Chouikh et Cheikh Nourredine.

Selon le réalisateur, «l’enregistrement a été réalisé dans une forme d’improvisation en une nuit dans l’un des meilleurs studios de l’époque, le studio Marignan où Moustaki s’était entouré de musiciens fantastiques…». Le film est donc la seule trace des rapports de Moustaki avec l’Algérie, mis à part l’émouvant passage télévisuel (voir sur YouTube) avec la grande chanteuse algérienne, Warda El Djazaïria. C’était en 1993 sur France 2, dans l’émission «Les nuits du Ramadan» que présentait alors Frédéric Mitterrand. Accompagnée par Moustaki, la diva y avait chanté Les feuilles mortes, chanson écrite par le poète Jacques Prévert et mise en musique par Kosma en 1945.  A.E-K et A.L.
Source El Watan Akram El Kebir

Le Pèlerin

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24 avril 2013 3 24 /04 /avril /2013 05:48

Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences

Rene-Descartes.jpg

 

Le Discours de la Méthode est un ouvrage de Descartes (1637). Par une innovation audacieuse écrit en français, il servait d'introduction à la Géométrie, la Dioptrique, les Météores.  C'est celui des ouvrages de Descartes qui a le plus influé sur les destinées de la philosophie. Ce discours présente une profondeur de vue et une simplicité de style que l'on aime à trouver réunies. L'auteur y fait, avec une naïve candeur, l'histoire de ses réflexions, de son doute, de ses essais et de leurs résultats; il montre comment il est arrivé à sentir le besoin d'une méthode qui lui soit propre, puis à eu poser les règles, enfin à trouver par son aide le point fixe et incontestable sur lequel il voulait établir la philosophie. 

Tous les humains, pour Descartes, possèdent une faculté égale de discerner le vrai du faux; si les sciences, telles qu'elles existent à l'époque de Descartes, ne lui donnent aucune connaissance claire et assurée, cela tient à ce qu'elles ne partent pas de principes solidement établis et n'ont pas de méthode. 

Descartes va essayer de reconstruire par sa seule raison l'édifice de la science en rejetant toutes les opinions qu'il avait acceptées jusqu'alors, sauf en ce qui concerne la politique et la religion. Il résume d'abord, en quatre préceptes, la méthode qu'il emploiera et qui comprend ce qui il y a de meilleur dans la logique, l'analyse et l'algèbre : 

1° ne recevoir aucune chose pour vraie qu'elle ne soit connue évidemment être telle; 

2° diviser les difficultés en autant de parcelles qu'il se peut; 

3° conduire par ordre ses pensées en allant par degrés du simple au composé; 

4° faire des dénombrements si entiers et des revues si générales que l'on soit assuré de ne rien omettre. 

Cette méthode établie, quelques règles d'une morale provisoire formulée,Descartes commence par douter de tout. Une proposition, cependant, s'impose nécessairement à son esprit : Je pense, donc je suis. Elle sera le principe fondamental de la métaphysique cartésienne. L'existence de l'âme distincte du corps, le critérium de la vérité, la preuve, de l'existence de Dieu, la détermination des attributs divins, l'existence du monde extérieur garantie par la véracité divine, voilà les principales conséquences du "Je pense, donc je suis". Le monde extérieur n'est pas tel que nous le montrent nos sens, mais tel que notre entendement le conçoit. Des perfections de Dieu se déduisent les lois générales du mouvement; ces lois, agissant sur la matière, produisent l'univers, les corps inanimés, les végétaux, les animaux, dont l'activité est toute mécanique, et aussi le corps de l'humain. L'âme, qui pense seule, n'est pas réductible à de l'étendue et du mouvement.

Le Discours de la méthode, par la clarté et la rigueur de son style, est un monument considérable de la langue française : mais, surtout, il a été le point de départ de la philosophie moderne : il a marqué la libre initiative de la raison humaine, en matière métaphysique. (NLI).

Pour comprendre le Discours de la méthode. 
Comprendre le Discours de la méthode, demande de bien connaître le but que Descartes s'est proposé en l'écrivant, et l'ensemble de l'ouvrage auquel le Discours sert d'introduction.

Vers 1629, peu de temps après son arrivée en Hollande, Descartes avait commencé la composition d'un grand ouvrage qui devait être l'exposition complète de son système. Troublé par la nouvelle de la condamnation de Galilée, il s'était brusquement arrêté dans son travail. Rien ne put le décider à reprendre sa tâche; mais, pour donner satisfaction à ses amis, il entreprit la composition de l'ouvrage qui nous occupe ici.

Son objet fut à la fois très net et très simple : donner de son système un aperçu rapide; exposer en détail sa méthode; prouver par des exemples indiscutables la puissance extraordinaire de ses procédés d'investigation Le livre dut être composé de quatre parties : le Discours de la méthode; la Dioptrique; les Météores et la Géométrie. Le Discours de la méthode eut pour objet d'exposer la partie philosophique de l'ouvrage; les trois autres traités renferment les applications de la méthode.

On peut dire, sans rien exagérer, que jamais livre plus extraordinaire ne sortit des mains d'un homme. La Dioptrique expose la loi de la réfraction de la lumière, connue encore aujourd'hui sous le nom de loi de Descartes; l'explication des principaux phénomènes que présente la marche de la lumière à travers des verres de différentes formes, et, par exemple, dans les lunettes d'approche; enfin la première théorie scientifique de la vision. Les Météores renferment la première explication de l'arc-en-ciel double. On n'y rencontre pas, il est vrai, la découverte de la décomposition de !a lumière par le prisme; mais cette invention, qui était réservée à Newton, est admirablement préparée.

La Géométrie est plus étonnante encore. Elle contient une réforme complète de l'algèbre, le moyen de résoudre les équations du troisième et du quatrième degré; elle indique des méthodes absolument nouvelles, d'une fécondité incomparable, comme la méthode des coefficients indéterminés et celle qui est connue aujourd'hui sous le nom de Règle des signes de Descartes. Enfin elle contient l'exposition de toute une science absolument nouvelle, l'application de l'algèbre à l'étude des propriétés des lignes courbes : cette science est poussée si loin, qu'elle enseigne le moyen de trouver en général les tangentes à une courbe quelconque définie par son équation. Quand on songe que toutes ces découvertes apparaissent à la fois dans un livre écrit avec une aisance et une clarté merveilleuses, on s'explique l'admiration des contemporains, et l'on conçoit que les témoignages qu'ils ont donnés de cette admiration ne doivent pas sembler excessifs. On conçoit aussi comment une méthode capable de donner de tels résultats dut s'imposer tout d'abord avec une autorité en quelque sorte absolue.

Pour donner de la façon la plus simple une idée de ce qu'est cette méthode, nous nous servirons pour cela non seulement du Discours de la méthode, mais des Règles pour la direction de l'esprit, qui sont un commentaire naturel du Discours.

La méthode que nous étudions est générale, c'est-à-dire qu'elle s'applique à toutes les questions, quelles qu'elles soient. Elle est de plus tellement compréhensive que tous les procédés d'investigation antérieurement connus, l'analyse des anciens, l'algèbre et la logique' scolastique, n'en sont que des applications particulières. Pour la bien comprendre, il est nécessaire de parcourir toute la suite d'idées qui a conduit Descartes lui-même à la concevoir.

Trouver la solution d'un problème d'arithmétique, c'est trouver par des opérations arithmétiques un ou plusieurs nombres qui satisfont aux conditions indiquées dans l'énoncé de la question. Par exemple, si l'on demande de trouver deux nombres dont la somme soit égale à 30 et la différence égale à 20, la solution du problème consiste à indiquer les opérations arithmétiques qu'il faut exécuter sur les deux nombres donnés, 20 et 30, pour trouver les deux nombres demandés, 25 et 5, qui satisfont à l'énoncé de la question. 

René Descartes

Le Pèlerin

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9 avril 2013 2 09 /04 /avril /2013 06:42

Mohamed Fellag

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  Mohammed Fellag au festival de Cannes 2012

Mohamed Saïd Fellag, de son vrai nom Mohand Fellag, né le 31 mars 1950 à Azeffoun, wilaya de Tizi-Ouzou, est un acteur, humoriste et écrivain algérien d’origine amazighe.

Introduction

Je suis quelque peu honteux de ne pas avoir consacré plus de visibilité à Mohamed Fellag dans mes blogs, tant son  immense talent est éclatant.

Il a obtenu, voici un an le prix « Génie » du meilleur acteur au Canada pour son rôle de professeur de l'intégration dans «Monsieur Lazhar», le dernier long-métrage de Philippe Falardeau.

Je possède bien quelques DVD’s de ses spectacles, et je me « marre » sans retenue.

Ses sketchs et ses spectacles sont de véritables « jeux de mots » et ils ont toujours le mérite de narrer un problème de société.

A mourir de rire, autant ne pas mourir idiot…..

Pour ce jour je me contente de vous présenter un texte brut relatif à sa vie, sa carrière, sa biographie.

J’aurai l’occasion de revenir sur cet immense acteur algérien

Le Pèlerin

Biographie

Mohamed Saïd Fellag est natif de la région de la Kabylie (Commune Azeffoun, Aarch Aït Djennad, Wilaya de Tizi-Ouzou). Il fait des études de théâtre à l'Institut national d'art dramatique et chorégraphique d'Alger, à Bordj el Kiffan, de 1968 à1972. Il se produit dans de nombreux théâtres d'Algérie au cours des années 1970.

De 1978 à 1981, il voyage en France et au Canada, vivant de petits emplois et repoussant sans cesse la réalisation de ses projets artistiques.

En septembre 1985, il retourne en Algérie, est engagé par le Théâtre national algérien, où il travaille en tant que comédien et metteur en scène.

En 1987 il crée son premier spectacle, Les Aventures de Tchop.

En septembre 1993, il est nommé directeur du théâtre de Béjaïa (Bougie).

Après la révolte d'octobre 1988 puis, au début des années 1990, avec la montée des tensions entre les islamistes et le pouvoir, violences et assassinats se multiplient. En 1994, Fellag part en tournée avec « Un bateau pour l'Australie », en Algérie et en Tunisie. À la fin de l'année il s'établit à Tunis où il crée « Delirium ». Il reçoit un accueil chaleureux du public tunisien.

En 1995, menacé de mort, Fellag décidera de s'exiler à Paris.

On associe souvent Mohamed Fellag avec son spectacle « Djurdjurassique Bled », son premier spectacle en français, créé en décembre1997, qui lui vaut le prix du Syndicat de la critique 1997-1998, révélation théâtrale de l'année.

Dans ce spectacle, il raconte en différentes étapes l'histoire de son pays natal, ses angoisses, ses folies et l'humanité de son peuple.

Mohamed Fellag s'est marié vers l'âge de 40 ans. Il vit aujourd'hui avec la comédienne Marianne Épin.

Une reconnaissance nationale

Fellag connaît une très grande notoriété en Algérie.

Fellag traite sans complexe et avec finesse les thèmes qui agitent l'Algérie et les Algériens, tels que les abus de pouvoir, les rapports entre hommes et femmes, les frustrations des jeunes, etc., tout cela en employant parfois un vocabulaire très cru.

Après les émeutes d'octobre 1988, alors que des militaires et le président algérien sont présents dans la salle, il supplie les femmes de pardonner aux hommes : « Excusez-nous. Maintenant vous pouvez vous habiller comme vous voulez. Vous pouvez même ne pas vous habiller du tout. » Les hommes restent muets et sans réaction. À partir de là, les dénonciations de Fellag se multiplient. Il n'épargne ni la politique ni les islamistes.

Spectacles

1987 : Les Aventures de Tchop, Alger

1989 : Cocktail Khorotov, spectacle en dialecte algérien, Petit Théâtre, Alger.

1990 : SOS Labès.

1991 : Un bateau pour l'Australie (Babor Australia), duquel a été tiré un DVD 1994 : Delirium, Tunis.

1997 : Djurdjurassique Bled, Théâtre international de langue française, Paris.

2001 : Rue des petites daurades, Théâtre international de langue française, Paris.

2002 : Le Syndrome de la page 12, Théâtre du Rond-Point, Paris.

2003 : Che bella la vita !, Théâtre international de langue française, Paris.

2003 : Opéra d’Casbah, « mise en images » Jérôme Savary, avec Fellag, Biyouna, Abdou Elaïdi, un orchestre arabo-andalou et des danseuses ; Espace Saint-Jean (sous chapiteau), Marseille.

2004 : Le Dernier Chameau, mise en scène de Patrick Sommier, MC93 Bobigny, duquel a été tiré un DVD (2005), Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.

2008 : Tous les Algériens sont des mécaniciens, mise en scène de Marianne Épin et l'auteur, Les Nuits de Fourvière, Lyon.

2011 : Petits chocs des civilisations, mise en scène de Marianne Épin.

Metteur en scène

2008 : Comment réussir un bon petit couscous, de Fellag, CNCDC (Centre national de création et de diffusion culturelles) de Châteauvallon, Ollioules (Var), interprété par Bruno Ricci.

2008 : Tous les Algériens sont des mécaniciens, mise en scène avec Marianne Épin.

Quelques sites parmi d’autres sur lesquels vous pourrez retrouver l’acteur

http://www.fellag.fr/

http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=92169.html

http://www.youtube.com/watch?v=mA6-e4gI96s

Pour visualiser l'album photos relatif à l'acteur, cliquez ici
Sources diverses Internet
Le Pèlerin
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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 00:27

La Montagne de Jean Ferrat

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Bien avant la mode écolo, cette chanson mélancolique et populaire dénonçait l'exode rural et encensait le retour à la terre. 

Il faut s'imaginer la France en 1964: nouvellement urbaine et en effervescence. Cette année-là, le magazine Mademoiselle Age tendre, Juliette Binoche, Lenny Kravitz et la Ford Mustang naissaient. Le secrétaire général du PC Maurice Thorez mourait, le général de Gaulle régnait, Andy Warhol sortait son diptyque de Marilyn, une HLM en construction s'effondrait à Paris, et Jean Ferrat s'installait à la campagne, après avoir écrit La Montagne.

À Antraigues-sur-Volane exactement, dans le Sud ardéchois, celui des châtaigneraies à flanc de volcans éteints, des cieux bleu outremer à midi, des étés brûlants et des hivers neigeux. Non pas que Jean Tenenbaum eût du sang vivarois dans les veines - ses parents juifs émigrés de Russie s'étaient d'abord installés dans une belle villa de Vaucresson, puis dans un appartement aménagé dans l'hôtel de Langlée à Versailles. «Le vent violent de l'Histoire» emporta son père Mnacha, avant même la rafle du Vél' d'Hiv' de juillet 1942. Il mourut à ­Auschwitz. Et de jeune poète rimbaldien, le beau gosse devint préparateur chimiste, se coupant les ailes pour aider sa mère. Il quitta les années 1950 comme on s'échappe d'un bagne.

Mais, peu à peu happé par sa vocation première, il fit une incursion aux Trois Baudets, finit par se percher sur la branche convoitée: le cabaret La Colombe qui pondit Pierre Perret et Anne Sylvestre. À La Colombe se produisait Christine Sèvres, qui chantait Carco sur des musiques de Cosma. Elle lui présenta Gérard Meys, son futur mentor. Bientôt, le «Ferrat Circus» (Gérard, Christine et Jean) fit des étincelles. À Ivry-sur-Seine, la vie devenait douce…

En 1962, Ferrat «fait» l'Olympia, pour la première et dernière fois. Sa chanson Federico Garcia Lorca reçoit une ­avalanche de prix. Suivent Paris Gavroche, Deux ­Enfants au soleil, le douloureux et autobiographique Nuit et Brouillard, à contre-courant des yé-yé.

Libre, fou et sage 

Jean Ferrat, en 1991.

Mais c'est au cours d'une visite à la maison de la culture de Bourges que la vie du jeune sympathisant communiste prend un virage à 180°. Il y rencontre Gabriel Monnet, autre compagnon, et Jean Saussac, peintre et décorateur prolifique, basé en Ardèche. Lequel le convainc de venir découvrir son village: Antraigues… Coup de foudre. L'essayer c'est l'adopter. La boucle est bouclée.

C'est sur cette terre sans concession, avant d'y acheter une vieille ferme, que le Parisien grattouille sa guitare, à la recherche d'une mélodie à la fois simple et éloquente. Une mélopée haute, qui mérite la flûte et le hautbois, sans basse, s'échappe de ses doigts. La Montagne est née. L'artiste y jette son nouvel amour cévenol, les frissons que ce pays bel et brut lui inspire, et la flanque de considérations à faire voir rouge les camarades ! Pensez donc: brocarder l'habitat à loyer modéré, la volaille - fût-elle aux hormones, la poule au pot, c'est toujours la poule au pot -, le Formica, dénominateur commun des amis prolétaires, et même… les fonctionnaires !

Ferrat n'en a cure. Il n'a jamais été encarté, il est libre, fou et sage. Car c'est une véritable étude sociologique de son époque qu'il s'est sorti des tripes. «En deux ou trois heures, pas plus. Après j'ai fignolé», dira-t-il plus tard, lui qui écrivait toujours lentement. En mots précis, il chante l'exode rural, «les vieux», le respect de la belle ouvrage, du courage, de la tranquille endurance, les vignes qui donnent le vin aigrelet, le minimalisme paysan qui n'était pas la pauvreté.

Robert Belleret, biographe inégalé de Ferrat, estime pourtant le refrain «faiblard», avec son «vol d'hirondelles relevant un peu de l'académisme d'almanach». Mais les dernières hirondelles ont marqué leur temps. Dans les années 1960, leur départ indiquait vraiment la fin de l'été. Elles ont maintenant disparu, remplacées par les martinets.

Peu importe. La Montagne fut la première profession de foi écologique, au sens noble du terme. Elle dénonçait l'urbanisation et la perte des valeurs terriennes. Le douloureux constat que les villages se meurent dans l'indifférence générale. José Bové ­l'ingénieur n'avait pas encore découvert le Larzac. Les citadins qui accoururent sur les hauts plateaux pour garder les moutons l'espace d'une saison ­peuvent se rhabiller. Jean Ferrat, dans sa chanson mythique, avait prédit tout ça. Il avait les voyances d'Arthur.

Un moment, il avait pensé offrir ce joyau à Christine, rentrée avant lui à Paris. Des commentaires sur cette île unique dans son œuvre - entre morceaux engagés et poésie d'Aragon - il y en eut beaucoup; ou il n'y en eut pas. C'est la vénération populaire, les millions de disques vendus, qui en parlent le mieux. Robert Belleret rapporte une remarque amusée du chanteur, un an après la sortie du disque: «Quand je suis revenu à Antraigues, un paysan m'a dit: “Tiens, ce matin j'ai entendu notre chanson à la radio”».

Ensuite, curieusement, il n'en parle plus, tout à ses nouveaux combats. La Montagne se contentait de vivre sa vie, au sommet de la pile de 45-tours, puis de 33, puis de CD, tandis que les nouveaux bobos devenaient écolos. Cette chanson fut la grand-mère de la conscience verte, l'amour de la terre et la réflexion en plus. La poésie se moque bien des modes et des partis.

Source Le Figaro.fr

Le Pèlerin

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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 16:30
Dites le avec des fleurs
Anémone : Persévérance
Aster : Amour confiant
Azalée : Joie d’aimer
Bégonia : Cordialité
Bleuet : Timidité
Bouton d’or : Joie
Bruyère : Force
Camélia : Fierté
Capucine : Indifférence
Chèvrefeuille : Liens
Clématite : Désirs
Coquelicot : Ardeur fragile
Cyclamen : Beauté, jalousie
Dahlia : Reconnaissance
Fuchsia : Ardeur du cœur
Gardénia : Sincérité
Genêt : Préférence
Géranium : Sentiment d’amour
Giroflée : Constance
Glaïeul : Rendez-vous
Glycine : Tendresse
Hortensia : Caprice
Iris : Cœur tendre
Jacinthe : Joie du cœur
Jasmin : Amour volupté
Jonquille : Mélancolie
Lavande : Tendresse respect
Lilas : Amitié
Lys : Pureté, majesté
Marguerite : Estime, confiance
Mimosa : Sécurité
Muguet : Coquetterie
Myosotis : Souvenir fidèle
Narcisse : Egoïsme, vanité
Œillet : Ardeur
Orchidées : Ferveur
Pâquerette : Aspiration
Pervenche : Mélancolie
Pétunia : Obstacle
Pivoine : Sincérité
Primevère : Premier amour
Rhododendron : Elégance
Romarin : Cœur heureux
Rose : Amour
Souci : Chagrin
Tulipe : Déclaration
Violette : Amour caché
Le Pèlerin
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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 06:53

J’suis pas un imbécile : je suis douanier !

fernand-raynaud-copie-1.jpg

J’suis pas un imbécile ! Moi, j’aime pas les étrangers ! Non !
Parce qu’ils viennent manger le pain des Français !
Oui ! J’aime pas les étrangers !
C’est vrai, c’est comme ça, c’est physique !
Et pourtant, c’est curieux, parce que, comme profession, je suis douanier ! Alors, on devrait être aimable et gentil avec les étrangers qui arrivent !
Mais moi, j’aime pas les étrangers !
Ils viennent manger le pain des Français !
Et j’suis pas un imbécile ! Puisque je suis douanier !
Je peux écrire ce que je veux sur des papiers, j’aurai jamais tort ! J’ai le bouclier de la Loi ! Parce que je suis douanier ! Je peux porter plainte contre n’importe qui, je suis sûr de gagner en justice ! J’suis pas un imbécile ! Je suis Français ! Oui ! Et je suis fier d’être Français !
Mon nom, c’est Koulakerstersky du côté de ma mère et Piazanobenditti, du côté d’un copain à mon père !
Dans le village où j’habite, on a un étranger. On l’appelle pas par son nom ! On dit : « Tiens ! v’là l’étranger qui arrive ! » Sa femme : « Tiens ! v’là l’étrangère ! » Souvent, j’lui dis : « Fous le camp ! Pourquoi qu’tu viens manger le pain des Français ? »Un étranger !...
Une fois, au café, il m’a pris à part. J’ai pas voulu trinquer avec lui, un étranger, dites donc ! Je vais pas me mélanger avec n’importe qui ! Parce que moi, j’suis pas un imbécile : je suis douanier !
Il m’a dit : « Et pourtant, je suis un être humain, comme tous les autres êtres humains, et... »
Évidemment ! Qu’est ce qu’il est bête, alors, celui ci !
« J’ai un corps, une âme, comme tout le monde... »
Évidemment ! Comment se fait il qu’il puisse dire des bêtises pareilles ! Enfin, du haut de ma grandeur, je l’ai quand même écouté, cette espèce d’idiot !
« J’ai un corps, une âme... Est ce que vous connaissez une race où une mère aime davantage, ou moins bien, son enfant, qu’une autre race ? Nous sommes tous égaux. »
Et là, j’ai rien compris à ce qu’il a voulu dire... Et pourtant j’suis pas un imbécile, puisque je suis douanier ! « Fous le camp ! Tu viens manger le pain des Français ! »
Alors, un jour, il nous a dit : « J’en ai ras le bol ! Vous, vos Français, votre pain et pas votre pain... Je m’en vais ! »
Alors, il est parti, avec sa femme et ses enfants. Il est monté dans un bateau, il est allé loin au delà des mers.
Et, depuis ce jour là, on ne mange plus de pain...
Il était boulanger !

Fernand Raynaud, 1975

Le Pèlerin

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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 07:44

Noces à Tipasa, Albert Camus

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Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer.

Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où. nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. A l'heure où nous descendons de l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants.

A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêtS. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.

Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l'étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tête ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent.

Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua, mon cœur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l'un après l'autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d'où  on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. Comme aussi cette basilique sur la colline Est : elle a gardé ses murs et dans un grand rayon autour d'elle s'alignent des sarcophages exhumés, pour la plupart à peine issus de la terre dont ils participent encore. Ils ont contenu des morts; pour le moment il y pousse des sauges et des ravenelles. La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace.

Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis: « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs. » Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de len­tisques sous mon nez? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon? Aux mystères d'Éleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère -la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau

sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, aban­donné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel.

Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l'heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter mainte­nant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté: elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme. Pourtant, on me l'a souvent dit : il n'y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi: ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes res­sources. Tout ici me laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir vivre.

Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port. La tête retentissante des cymbales du soleil et des couleurs, quelle fraîche bienvenue que celle de la salle pleine d'ombre, du grand verre de menthe verte et glacée. Au-dehors, c'est la mer et la route ardente de Poussière. Assis devant la table, je tente de saisir entre mes cils battants l'éblouis­sement multicolore du ciel blanc de chaleur. Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde.

On mange mal dans ce café, mais il y a beau­coup de fruits - surtout des pêches qu'on mange en Y mordant, de sorte que le jus en Coule sur le menton. Les dents refermées sur la pêche, j'écoute les grands coups de mon sang monter jusqu'aux oreilles, je regarde de tous mes yeux. Sur la mer, c'est le silence énorme de midi. Tout être beau a l'orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd'hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierais-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre? Il n'y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd'hui l'imbécile est roi, et j'appelle imbécile celui qui a peur de jouir. On nous a tellement parlé de l'orgueil : vous savez, c'est le péché de Satan. Méfiance, criait-on, vous vous perdrez, et vos forces vives. Depuis, j'ai appris en effet qu'un certain orgueiL. Mais à d'autres moments, je ne peux m'empêcher de revendiquer l'orgueil de vivre que le monde tout entier conspire à me donner. A Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n'éprouve pas le besoin d'en faire une œuvre d'art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m'apparaît comme ces per­sonnages qu'on décrit pour signifier indirecte­ment un point de vue sur le monde. Comme eu;x, elle témoigne, et virilement. Elle est aujour­d'hui mon personnage et il me semble qu'à le caresser et le décrire, mon ivresse n'aura plus de fin. Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre Tipasa, témoigner et l'œuvre d'art viendra ensuite. Il y a là une liberté.

Jamais je ne restais plus d'une journée à Tipasa. Il vient toujours un moment où l'on a trop vu un paysage, de même qu'il faut longtemps avant qu'on l'ait assez vu. Les mon­tagnes, le ciel, la mer sont comme des visages dont on découvre l'aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. Mais tout visage, pour être éloquent, doit subir un certain renouvellement. Et l'on se plaint d'être trop rapidement lassé quand il faudrait admirer que le monde nous paraisse nouveau pour avoir été seulement oublié.

Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieur qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et

côtelés comme de petits poings fermés qui contiendraient tout l'espoir du printemps. Il Y avait du romarin derrière moi et j'en percevais seulement le parfum d'alcool. Des collines s'encadraient entre les arbres et, plus loin encore, un liséré de mer au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, reposait de toute sa tendresse. J'avais au cœur une joie étrange, celle-là même qui naît d'une conscience tranquille. Il y a un sentiment que connaissent les acteurs lors­qu'ils ont conscience d'avoir bien rempli leur rôle, c'est-à-dire, au sens le plus précis, d'avoir fait coïncider leurs gestes et ceux du personnage idéal qu'ils incarnent, d'être entrés en quelque sorte dans un dessin fait à l'avance et qu'ils ont d'un coup fait vivre et battre avec leur propre cœur. C'était précisément cela que je ressentais : j'avais bien joué mon rôle. J'avais fait mon métier d'homme et d'avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réus­site exceptionnelle, mais l'accomplissement ému d'une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux. Nous retrou­vons alors une solitude, mais cette fois dans la satisfaction.

Maintenant, les arbres s'étaient peuplés d'oiseaux. La terre soupirait lentement avant d'entrer dans l'ombre. Tout à l'heure, avec la pre­mière étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le cœur de la terre.

A présent du moins, l’incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer, cam­pagne, silence, parfums de cette terre, je m’emplissais d’une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sen­tir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l’accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l’amour. Amour que je n’avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels.

Noces à Tipasa, in Noces, Albert Camus, Editions Gallimard, 1959.

Le Pèlerin

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 05:46

Albert Camus, Chroniques algériennes

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En 1958, quelques jours avant la naissance de la Cinquième République,  Albert Camus publie ses Chroniques algériennes.  C’est un recueil de ses écrits sur l’Algérie, allant de 1939, ses années de journaliste militant à Alger républicain,  jusqu’à 1957-58,  les années de son désespoir face à la révolution algérienne.  Une traduction de ces Chroniques algériennes va paraître pour la première fois à Harvard University Press  en 2013.

Chroniques algériennes

La crise en France—la mort de la Quatrième République, la crainte de coup d’état en Algérie, puis le retour du Général de Gaulle au pouvoir—fait que, paradoxalement, Les chroniques algériennes de Camus passent inaperçues.  (J’ai pu m’en rendre compte par moi-même : le dossier de presse aux archives Gallimard est presque vide).  Ce qui pourrait confirmer qu’en 1957, on n’écoutait plus beaucoup Camus au sujet de l’Algérie.  Dans ce mince dossier de presse, seule une phrase de René Maran,  l’écrivain d’origine antillaise, lauréat du prix Goncourt en 1921, résonne encore.  Maran évoque un Camus aussi prescient que l’était  Tocqueville sur la Russie et les Etats-Unis, un auteur dont les avertissements rappellent « tous ceux qui ont, de leur côté, annoncé l’éveil de l’Afrique Noire. »

C’est un livre à double tranchant, comme souvent chez Camus.  Il est à l’écoute du nationalisme algérien ; il comprend la nécessité des mouvements pour l’indépendance.  Mais c’est aussi le livre où il dit qu’on ne peut pas imaginer l’Algérie sans les Français, que la rupture avec la France serait fatale pour le pays. Je retiens une autre phrase qui montre combien la position de Camus a pu heurter la gauche française, porteurs de valises et autres, si passionnés par la cause algérienne. Camus écrit en conclusion : « En ce qui concerne l’Algérie, l’indépendance nationale est une formule purement passionnelle » et encore, « les Français en Algérie sont des ‘indigènes’, au sens fort. »

Ce texte, on l’a souvent dit, est très décalé par rapport à l’actualité algérienne de 1958, car Camus n’habitait plus en Algérie depuis 1939. Prenons par exemple, le texte le plus admiré du volume,  « Pour une trêve civile en Algérie » :  au moment où le mot « Algérien » avait un sens très spécifique, lié à la nation naissante, Camus dit toujours Arabe et Français, l’Arabe et le Français, comme s’il ne savait pas que tout le monde disait, depuis un moment déjà, « Algériens ».  Ou il est mal renseigné, ou il est parfaitement bien renseigné et il tient à refuser une réalité qu’il ne veut pas accepter.

Comment relire les chroniques algériennes ?

Il est passionnant de redécouvrir les Chroniques algériennes en 2012, cinquante années après cette indépendance qu’il a tant redoutée. Ne serait ce que pour relire, en écho aux années 1990, et au 11 septembre 2001, le mot “terrorisme,” que Camus prend toujours soin d’attribuer aux deux acteurs du conflit, Français et Arabes.  Le mot apparaît une demi-douzaine de fois dans son texte et chaque fois, il fait très attention de reconnaître une faute partagée.   On peut lire Les Chroniques algériennes comme un texte contre la terreur.  Être un homme libre, dit Camus, c’est refuser à la fois d’exercer et de subir la terreur. La phrase la  plus citée des Chroniques algériennes –Assia Djebar la met en exergue de son livre Le blanc de l’Algérie—paraît dans l’appel d’Albert Camus pour une trêve civile en 1956–et elle est toute personnelle: « Si j’avais le pouvoir de donner une voix à la solitude et à l’angoisse de chacun d’entre nous, c’est avec cette voix que je m’adresserais à vous. »

Camus est à deux pas de notre Centre d’Etudes « Les Glycines », à l’ancien hôtel Saint Georges-devenu-l’hôtel El Djazair, lorsqu’il rédige ce texte pour une table ronde qui devait réunir toutes les tendances politiques susceptibles d’arrêter la terreur:  Emmanuel Roblès, le docteur Khaldi en tant que musulman,  Ferhat Abbas du Parti du Manifeste (Abbas qui va intégrer le FLN),  le père Cuoq, un père blanc qui représente l’Église catholique (et qui fonda la revue de presse ici au 5 chemin des Glycines),  enfin le Pasteur Capieu pour l’Église protestante.

La phrase de Camus, citée en exergue par Djebar,  est fascinante et mérite qu’on s’y attarde.  Je vous la répète: « Si j’avais le pouvoir de donner une voix à la solitude et à l’angoisse de chacun d’entre nous, c’est avec cette voix que je m’adresserais à vous. »  Le “si hypothétique” avec l’imparfait qu’on apprend à l’école : l’hypothèse possible.  Si Camus avait le pouvoir… pas le pouvoir d’améliorer la situation mais seulement le pouvoir de dire l’angoisse et la solitude des autres–et ce n’est pas sûr qu’il l’ait.   On a appris par la suite que cette réunion pour une trêve civile n’était pas ce qu’il a cru : c’était le FLN  qui a protégé Camus, ce jour-là, contre les menaces de mort, ce même FLN qu’il va maudire dans sa préface aux Chroniques algériennes pour son « terrorisme appliqué » aux civils français et arabes.  Comme le dit Roger Grenier dans un texte sur Camus et l’Algérie: « ce dernier espoir des libéraux européens, n’est déjà, pour les nationalistes algériens, qu’un épisode tactique. C’était la fin des libéraux. »  Autrement dit, Camus évoque la solitude de chacun, au moment où un mouvement de masse bat son plein.  La solitude qu’il projette est surtout la sienne. 

Les Chroniques Algériennes ont beau être décalées par rapport à 1956, à 1958, ce livre vit aujourd’hui une deuxième vie.  Son cri contre la terreur, son appel à la pluralité des cultures, sa résistance aux fondamentalismes,  donne de l’espoir dans le contexte actuel. Djebar, dans Le blanc de l’Algérie, attribue beaucoup de pouvoir à Camus, comme s’il avait été un grand leader politique.   Elle le compare à Nelson Mandela.  Et elle prétend que cette trêve civile était le  moment clé, le moment où tout aurait pu se passer autrement,  sans violence, en Algérie.  On pense à cet inoubliable passage dans L’Etranger: “C’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé…. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du Malheur.”  Djebar fait un geste similaire, un geste d’écrivain:  il n’y a pas eu un seul moment, bien sûr,  mais l’écrivain veut nous faire sentir qu’il y a bien eu un moment où tout s’est décidé:  où l’on pouvait encore arrêter la violence, ou bien, s’y livrer.

L’accueil du public américain

Si les Chroniques algériennes ont été, jusqu’à récemment, quelques peu oubliées en France, leur situation dans le monde anglo-saxon est encore plus obscure. À la place des Chroniques algériennes, un livre anglais  a vu le jour en 1961 sous le titre  Resistance, Rebellion, and Death  [la Resistance, la Rébellion, et la mort].  Un tout autre livre en fait.  Voici comment ça s’est passé: dans la dernière année de sa vie, Camus lui même a rassemblé pour son éditeur américain une collection de ses articles dans la presse, ses discours, et ses écrits polémiques.   Il a choisi sa “Lettre à un ami allemand » de 1944;  quelques-uns de ses articles dans Combat sur la Libération de Paris ; un texte sur l’Espagne, et  sur l’insurrection hongroise ; paraît aussi dans ce volume, ses Réflexions sur la guillotine.  En somme, vingt-trois essais qu’il considère représentatifs de son engagement.   Cent trente pages — un peu plus de la moitié des Chroniques algériennes– sont inclues dans un chapitre de Resistance, Rebellion and Death intitulé tout simplement “Algeria.”  On y  trouve  son avant propos, sa lettre à Azziz Kessous, dite “lettre à un militant algérien” de 1955,  son appel pour une trêve civile, plus la conclusion de Chroniques Algériennes, « Algérie 1958, » ce chant de cygne où il dit tout son désespoir.

Ce titre, Resistance, Rebellion and Death est bien choisi pour un public américain qui, en 1961, l’année de sa publication, n’est pas au courant de la dernière polémique parisienne.  Il ne sait pas nécessairement que Camus et Sartre s’étaient brouillés;  il identifie un Camus politique à la Résistance aux Nazis pendant l’Occupation, et à son livre L’homme révolté—qui a paru en anglais sous le titre The Rebel.   Ainsi :  Resistance  et Rebellion.  Et c’est dans ce livre que l’Amérique découvre l’opposition de Camus à la peine de mort (Death) et puis, évidemment,  un Camus mort—mort dans un accident de voiture en janvier 1960, et passé à la légende.

Il y a des modes pour les titres comme pour tout, et Camus a pu marquer nos esprits avec ses titres courts, essentiels, tirés vers l’abstraction:  La Chute, la Peste, L’Etranger, L’Exil et le royaume.  Donc :  Resistance, Rebellion and Death.  Ces trois mots-coups-de-cloche sont en harmonie avec le reste de son œuvre–fictions et essais. Sur la couverture du livre, un poing, signe révolutionnaire, et des couleurs d’incendie. De quoi évoquer des conditions d’urgence—sans spécifier lesquelles.

 Camus l’américain

Qui est Camus pour les Etats-Unis, qui était-il dans les années 1950 jusqu’à aujourd’hui ?

Comme le feront Sartre et Beauvoir, Camus s’embarque pour les Etats-Unis dans l’immédiat après-guerre, où il sera accueilli par Claude Lévi-Strauss aux services culturels de l’ambassade de France à New York. Il est alors rédacteur en chef à Combat, déjà l’auteur de l’Étranger, du Mythe de Sisyphe et de Caligula.  Il passe son temps à dire qu’il n’est pas existentialiste, malgré son association avec Sartre, mais personne ne l’écoute.  Beauvoir ne l’a pas encore blessé par son portrait scandaleux de « Henri » dans Les Mandarins.   À New York, ce mois de mai 1946, Herbert Hoover du FBI demande une enquête sur un écrivain français qui débarque du SS Oregon et dont le parcours lui paraît douteux.  Ses agents sur le terrain finissent par le rassurer que ni Camus, ni Combat n’ont aucune tendance communiste.  Camus porte un imperméable serré à la taille par une ceinture, et il écrit à ses amis Michel et Janine Gallimard : “Ici, on m’appelle le petit Bogart.”  Camus vedette de film noir?

Pour cet homme du théâtre, ce n’est pas invraisemblable.  Il y aurait beaucoup de choses à dire sur l’attirance de Camus pour le roman noir américain, qui l’inspire pour l’ambiance de l’Etranger, ainsi que du style de ce premier roman, sans intériorité psychologique, avec Meursault qui vit dans l’instant, et parle au passé composé.

On trouve dans les carnets de l’écrivain de l’année 1946 une grande ambivalence pour les Etats-Unis.  Un pays où les gens parlent pour ne rien dire.  Où il n’y a aucune ironie.  Où règne un optimisme un peu bête.   Si l’on oppose l’ironie parisienne, qui va finir par l’agacer autant, et la vie violente et abrupte qu’il évoque dans un essai lyrique comme « L’Été à Alger »,  cela fait un triangle intéressant d’attitudes : la grisaille de Paris,  l’Amérique avec ses couleurs de clown, et l’Algérie où tout est brûlant.  Camus dira de New York, des Etats-Unis :

“‘J’admire les femmes dans les rues, les coloris des robes, ceux des taxis qui ont tous l’air d’insectes endimanchés, rouges, jaunes, verts.   Quant aux magasins de cravates, il faut les voir pour les croire.  Tant de mauvais goût paraît à peine imaginable.  D.  [c’est Dolores, une amie de Sartre qui lui sert de guide]  m’affirme que les Américains n’aiment pas les idées.  C’est ce qu’on dit.  Je m’en méfie.”

Camus et la Gauche

On peut dire qu’à la longue, les Etats-Unis ont bien renvoyé à Camus son ambivalence à leur égard – ou plutôt ils lui ont renvoyé leur incompréhension.  Le problème aux Etats-Unis, c’est qu’on a longtemps présenté Camus comme le porte-parole d’une école littéraire, ce qui l’a privé de sa spécificité. Depuis 1945 jusqu’aux années 1980, des générations de professeurs de français enseignaient Camus, Sartre et Beauvoir comme une trinité existentialiste.  On y ajoutait parfois Malraux.  On s’appuyait sur l’absurde, sur la condition humaine; la nausée de Roquentin était assimilée au mal être de Meursault.  Comme si du Havre dans La Nausée de Sartre et  de l’Alger dans l’Étranger de Camus suintaient le même mal être.  Comme il est rassurant de mettre nos écrivains dans des boites, de les étiqueter par tendance.

Mais ce qu’il faut aussi retenir, c’est que L’Étranger reste le roman français le plus connu et le plus enseigné aux Etats-Unis, depuis les années cinquante à nos jours.   On ne compte plus le nombre d’exemplaires  vendus— les millions d’exemplaires–de l’édition scolaire de L’Étranger, drôle d’édition où l’éditeur supprime des passages jugés trop “hard”—passant à l’index les expressions de la violence du proxénète, la référence à la “chose” de la maitresse mauresque, ou bien à la masturbation en prison.  Quand j’ai lu ce roman pour la première fois dans un cours de français, à l’âge de 15 ans,  le professeur ne nous a pas parlé de l’Algérie.  Beaucoup de choses ont dû se dérouler aux Etats-Unis pour que le label existentialiste de l’écrivain français s’estompe enfin, pour que Camus devienne pour ses lecteurs américains un Français d’Algérie, puis un Algérien tout court.

On peut parler d’un mouvement en plusieurs étapes, d’une sorte de dialectique. En même temps—et c’est ce qui est si compliqué—Camus l’existentialiste a été un héros pour la gauche militante américaine des années 1960, la New Left et les Black Panthers:  C’est l’un des grands paradoxes de l’histoire littéraire franco-américaine que Camus ait pu rester un héros pour les Panthères noires, pour Tom Hayden, pour Angela Davis, (jeune étudiante en littérature française en 1962), à l’époque même où il était, en France, réduit au statut de l’écrivain colon. Camus doit son prestige américain en large partie aux professeurs de littérature et de philosophie de cette époque— de fervents admirateurs de la Résistance–qui ont enseigné La peste comme une allégorie de la lutte contre le nazisme,  comme un manuel d’engagement.  (Sartre éprouve le même enthousiasme pour La Peste lors d’une conférence qu’il a faite à Harvard en 1945 sur la nouvelle littérature française de l’après-guerre, après avoir lu ce roman en manuscrit.  Beaucoup plus tard, dans un entretien, il dira au contraire combien Camus était un “con” d’avoir parlé du Nazisme comme d’une épidémie naturelle, venant de nulle part.)

Quant à la New Left, écoutons Tom Hayden, radical,  qui, contrairement à ce que dit Sartre, a trouvé de quoi alimenter son travail pour le mouvement des droits civiques dans le Sud profond des Etats-Unis en lisant La Peste : “Camus a cherché une moralité au milieu du doute et du nihilisme, par une idéologie rassurante qui nous était importante.”  Et à Hayden de citer le passage de L’homme révolté que jeune radical, il avait souligné  maintes fois au crayon rouge dans son édition de poche:

“Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le “cogito” dans l’ordre de la pensée: elle est la première évidence.  Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude.  Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur.  Je me révolte, donc nous sommes.”

Peu importe, pour ces jeunes militants américains, que  L’homme révolté de Camus ait été violemment attaqué par Francis Jeanson pour sa “morale de croix rouge”, son insuffisance de théorie marxiste, ses trop jolies tournures. Ils ne lisaient pas Les temps modernes.  Camus a pu inspirer un engagement politique soutenu parmi ceux qui ne savaient pas qu’il n’était plus « politiquement correct. »

Susan Sontag

La première intellectuelle américaine à transmettre au public américain le dédain de Jeanson et de Sartre pour Camus est Susan Sontag,  essayiste New Yorkaise à penchant philosophique.  En 1963, dans son compte-rendu d’une traduction des Carnets de Camus dans la New York Review of Books, elle  sonne l’alarme.  Elle le fait d’abord par son ton, son entrée en matière. Il y a deux sortes d’écrivains,  dit-elle: les amants et les maris. Connaissant l’image de Camus, on s’attend à ce qu’elle évoque le Camus don juan, « le petit Bogart. »  Mais non, c’est Camus le mari idéal qu’elle va épingler : son Camus est trop rangé,  et même ennuyeux. Voici comment elle critique Camus à propos de l’Algérie: « Son incapacité à s’engager vis à vis la question algérienne—sujet sur lequel il était plus qualifié que quiconque—fut l’ultime et malheureux testament de sa vertu morale. »  Et elle ajoute:

« Pendant que Camus s’est accroché à son silence, Merleau-Ponty et Sartre ont cherché des signataires de prestige pour deux manifestes historiques contre la guerre en Algérie. »

Sontag laisse comprendre que Camus aurait refusé de signer ces deux manifestes.  Le problème, c’est qu’elle se réfère au célèbre manifeste des 121 intellectuels de septembre 1960 et au deuxième manifeste plus modéré qui l’a suivi: or, les deux manifestes ont paru 9 mois après la mort de Camus.  On devrait avoir pas mal de sympathie pour ce genre d’erreur: personne n’avait la possibilité, en 1963, de vérifier de telles dates sur internet.    C’était déjà quelque chose de pouvoir transmettre la pensée récente de Sartre aux intellectuels américains : Sontag, à la différence de la plupart de ses compatriotes, lisait Les temps modernes.

Mais elle avait tort de dire que Camus n’a pas pris position.  Il a pris une position, considérée comme irréaliste et rejetée par le milieu intellectuel parisien.  Elle n’est pas la seule à parler ainsi, on trouve la même condamnation du silence de Camus tout au long des années 1960.  En effet il a refusé de s’exprimer sur l’Algérie après l’appel pour une trêve civile de janvier 1956 jusqu’en mai 1958, quand paraissent ses Chroniques algériennes.  Ce silence de vingt-huit mois est devenu une métonymie pour son attentisme.  Et sa mort en janvier 1960 a rendu ce silence de vingt-huit mois permanent.  Il faut se rappeler que Camus n’existait plus au moment du procès de Jeanson et des porteurs de valise,  ni quand les intellectuels ont protesté contre la conscription militaire par leurs manifestes, ni quand Sartre a préfacé les Damnés de la terre de Fanon,  ni au moment des Accords d’Evian.   On ne sait pas comment il aurait réagi.  On se met donc à l’imaginer.

Une tendance de la critique littéraire américaine

L’attitude de Sontag, lectrice de Sartre, annonce en fait une grande tendance de la critique littéraire américaine.  Après une longue période formaliste, celle de la “New Criticism” et le structuralisme textuel,  la critique littéraire s’approche de plus en plus des questions politiques et historiques. Orientalism de Edward Said, alors professeur à Columbia University, fonde les post colonial studies en 1978.  Nous sommes juste après la guerre au Vietnam, le scandale de Nixon, et la contestation est dans l’air.

C’est pendant cette période qu’on étiquète Camus comme le type même de l’écrivain colon.  Les questions littéraires que pose cette nouvelle génération sont intéressantes, elles animent encore des salles de séminaires: Pourquoi la victime arabe de Meursault ne parle pas dans l’Etranger?  (on n’entend qu’une flûte)  Pourquoi la Peste se déroule dans un Oran qui pourrait être Marseille?   Conor Cruise O’Brien, déjà en 1970, parle d’une  “solution finale” de la question arabe chez Camus—provocation extrême de la part de ce militant irlandais, spécialiste de l’effet « choc ».    Edward Said, Conor Cruise O’Brien, Patrick McCarthy:  tous participent à l’attaque.

Souvenons-nous du roman de Camus, Le premier homme, portrait d’une enfance  algérienne dans la misère,  et d’un écrivain adulte qui débarque dans une Algérie en guerre, qui aide un Algérien musulman à fuir à la suite d’un attentat à la bombe qui pourrait lui être attribué.   Camus a rédigé ce texte dans les années 1950, au moment même où il préparait la publication de ses Chroniques algériennes.  Le manuscrit inachevé était dans sa serviette au moment de son dernier voyage en auto ; il a été retrouvé avec son corps.  La famille de Camus, ses éditeurs, avaient peur que l’histoire de l’enfance d’un pied noir à Belcourt fasse encore du mal à la réputation de Camus, déjà en difficulté—ils avaient peur qu’on dise, comme le rappelle Roger Grenier : “Vous voyez, il en était réduit à raconter son enfance. C’est vraiment qu’il n’avait plus rien à dire.”  Ils avaient peut-être bien raison, mais en l’absence de ce texte publié seulement en 1994,  Camus n’en était que moins compris.

Dans le dernier écrit qu’Edward Said a consacré à Camus, le grand critique palestinien nuance : l’œuvre de Camus exprime « un gâchis et une tristesse que nous ne comprenons pas complètement, et dont nous ne sommes pas encore revenus. »  C’est une réponse passionnée. Mais toutes ne sont pas aussi nuancées que celle d’Edward Said.  En 1982, l’anglais Patrick McCarthy publie une biographie intellectuelle de Camus qui circule aux Etats-Unis.  Il  décrit Camus comme un “mauvais philosophe qui n’a rien à nous apprendre sur la politique”  et dont la vision est “simpliste et barbare”.  Il ajoute :  « Même sa résistance est une légende construite après la guerre.”  Quant à son legs littéraire,  McCarthy prétend que les jeunes Français ignorent Camus : « il n’y a pas un seul romancier ou dramaturge en France qui se réclame de son influence. » En lisant cet ouvrage,  on se demande pourquoi McCarthy a accepté de gaspiller son temps pour un auteur qui lui semblait à ce point mineur.

L’absence de personnages arabes majeurs dans la fiction de Camus est bien connue:   mais la présence de la question coloniale, des Arabes et de toutes les communautés berbères,  de la Kabylie, des Juifs en Algérie, et des Algériens dans la métropole—cette présence dans son œuvre est très peu connue.  Et c’est justement pour cela que je trouve que cette traduction américaine des Chroniques algériennes est une si bonne chose.

Camus et la Kabylie

Le grand absent de Resistance, Rebellion and Death, ce sont les essais dans Chroniques Algeriennes intitulés « Misère de la Kabylie ».   Ces textes auraient été les premiers à être éliminés de Resistance, Rebellion, and Death, car ce sont des enquêtes détaillées, spécifiques à une époque révolue.  En 1939, accompagné d’un photographe, Camus se rend en Kabylie pour mener une enquête de terrain pour le journal Alger républicain.  Il va retrouver l’ambiance vingt ans plus tard dans une de ses plus belles nouvelles,  qui a comme arrière-fond la famine qu’il  décrit dans « Misère de la Kabylie. »  C’est « L’hôte» publié en 1957 dans L’Exil et le royaume.  On y retrouve la commune mixte, les sacs de blé de l’administration, la sécheresse : « il serait difficile d’oublier cette misère, cette armée de fantômes haillonneux errants dans le soleil, » dit le narrateur.  C’est son propre souvenir de jeune journaliste qui est inoubliable.

Sans toutefois aborder une critique systématique de la colonisation, « Misère de la Kabylie » est le texte le plus documenté des Chroniques algériennes, où Camus passe en revue une quantité de statistiques sur le ravitaillement, la nutrition, la famine, et l’éducation.  C’est aussi le texte le plus littéraire des Chroniques algériennes,  où le journaliste d’Alger républicain  fait l’impossible bilan de la misère et la beauté.  Après une visite à la tribu de Tizi-Ouzou, il monte avec un ami kabyle sur les hauteurs de la ville, pour regarder la nuit tomber :

“Et à cette heure où l’ombre qui descend des montagnes sur cette terre splendide apporte une détente au cœur de l’homme le plus endurci, je savais pourtant qu’il n’y avait pas de paix pour ceux qui, de l’autre côté de la vallée, se réunissaient autour d’une galette de mauvaise orge.  Je savais aussi qu’il y aurait eu de la douceur à s’abandonner à ce soir si surprenant et si grandiose, mais que cette misère dont les feux rougeoyaient en face de nous mettait comme un interdit sur la beauté du monde.

« Descendons, voulez-vous ? » me dit mon compagnon.”

Misère, beauté et polémique : c’est dans « Misère de la kabylie » que l’on ressent la plus dure critique du gouvernement colonial, du colonialisme.  Nous ne méritons pas ce pays, dit Camus,  nous avons gâché cette beauté.  Nous devrions y remédier sans délai,  mais il est probablement trop tard.  Nous sommes alors en 1939.

Quand on pense à Camus et à l’Algérie, on pense à ses prises de position de la fin de sa vie; on l’associe uniquement à son opposition au FLN en 1956, jusqu’à sa mort en 1960.  La question demeure: comment comprendre non pas ce que Camus a été à la fin, mais comment il est devenu l’homme de 1958 ? Chroniques algériennes  nous offre une réponse.  Lire Camus sur l’Algérie à partir de 1939—au lieu de commencer en 1958 avec quelques regards en arrière—nous oblige à prendre en compte la lutte qu’il a menée contre le pouvoir colonial, qui n’avait rien d’abstrait.   Ses racines intellectuelles sont auprès du parti communiste algérien;  il quitte le parti communiste quand le parti abandonne sa politique anti-coloniale, suite à l’ordre de Moscou.  A partir de « Misère de la Kabylie » Camus sera mis au ban par le gouvernement  français d’Algérie.  Black listé, il ne trouvera pas de travail et sera obligé de quitter l’Algérie.  C’est son premier exil.

Toute sa vie, il gardera l’impression d’avoir tout risqué pour cet engagement anti-colonial. Dans la presse parisienne, il offrait la seule analyse symptomatique de la répression à Sétif en 1945, pendant que L’Humanité s’en prenait aux « agents provocateurs fascistes.»  Il ne cessait de dire que si le gouvernement continuait à ignorer un état de famine et de misère, à poursuivre sa colonisation violente, à renforcer sa discrimination, la France allait et devait perdre l’Algérie.   Dans les années 1950 il se trouvait dans une situation qui lui était incompréhensible : se voir mis à l’index par la cause même qu’il avait le plus ardûment défendue. Et il ne cessait de se moquer de l’ignorance des Français tout juste engagés, qui croyaient que tout Français d’Algérie était un gros colon.

La nouvelle édition américaine

Avec cette première édition américaine des Chroniques algériennes, on a décidé d’ajouter, en appendice, des textes qui n’ont pas paru dans l’édition française de 1958 des Chroniques algériennes, mais qui montrent encore plus la spécificité de l’engagement de Camus pour l’Algérie–qui montrent ses actes. “La culture indigène: La nouvelle culture méditerranéenne, ” article de 1937 lorsqu’il est encore au parti communiste, est un argument culturel où Camus essaie de récupérer pour la gauche une pensée méditerranéenne alors sous l’emprise nationaliste de Charles Maurras et son « génie latin. »

On a ajouté également la lettre que Camus envoie au Monde à la suite des événements du 14 juillet 1953,  à Paris.  Ce jour-là, la police a tiré sur des manifestants nord-africains, qui protestaient contre l’arrestation de Messali Hadj.  Il y a eu sept morts et une centaine de blessés.  Camus écrit: “On est fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le parlement, auraient montré tant de désinvolture dans le cas où les manifestants n’auraient pas été Nord-Africains, et si, dans ce même cas, la police aurait tiré avec tant de confiant abandon…”

Aussi en appendice,  nous allons inclure deux lettres—deux parmi un choix possible de plusieurs—lettres que Camus a destinées au Président de la République afin de protester contre la condamnation à mort des militants du FLN.  On connaissait l’existence de ces lettres, mais c’est Eve Morisi qui les avait trouvées aux Archives Camus à Aix : elle les a publiées récemment dans son volume sur Camus contre la peine de mort.   En voilà une, qui date de septembre 1957 :

“Les avocats de plusieurs condamnés à mort algériens ont tenu à me faire connaître les mémoires en grâce qui vous sont actuellement soumis au nom de leurs clients.  Ces mémoires, sans m’autoriser à me prononcer sur le fond des affaires, m’encouragent cependant à joindre ma requête à la leur.  Ce qui m’y pousse est qu’il ne s’agit pas d’attentats aveugles ni de ce terrorisme répugnant qui frappe en masse les populations civiles, qu’elles soient françaises ou musulmanes.  De plus, dans presque toutes ces affaires, il n’y a pas eu mort d’homme.

Français d’Algérie, ayant toute ma famille à Alger, conscient des dangers que le terrorisme fait courir aux miens comme à tous les habitants d’Algérie, le drame actuel retentit quotidiennement en moi et assez fort pour que, écrivain et journaliste, j’aie renoncé à toute action publique qui risquerait, avec les meilleures intentions du monde, d’aggraver au contraire la situation.  Cette réserve volontaire m’autorise peut-être, monsieur le Président, à vous prier de bien vouloir user le plus largement possible de votre droit de grâce en faveur des condamnés que leur jeunesse ou leur famille nombreuse désigne de toute manière à votre pitié.  Je suis d’ailleurs persuadé, après longue réflexion, que votre indulgence aidera finalement à préserver un peu de l’avenir algérien que nous espérons tous.

En vous remerciant d’avance pour l’attention que vous aurez bien voulu m’accorder, je vous prie de croire, monsieur le Président, à mes sentiments de respectueuse considération.”

Nous savons que quatre de ces accusés ont été guillotinés en octobre 1957, l’année du plus grand nombre d’exécutions pendant la guerre d’Algérie. Germaine Tillion témoigne que Camus serait intervenu dans plus de cent cinquante affaires. Hier, en me promenant à Alger, j’ai vu la liste de ces guillotinés inscrite sur le mur de l’ancienne prison de Barberousse.  C’est dommage qu’on ne mette pas une deuxième version de la liste en français, pour que ces noms prennent tout leur sens pour les visiteurs francophones.

Enfin, nous allons reproduire un article de 1938 sur les hommes condamnés au bagne, qui partent en bateau depuis Alger.  Récit où Camus raconte qu’un prisonnier algérien, accroché aux barreaux d’une cage, lui demande une cigarette.  C’est le seul endroit que je connaisse dans l’œuvre de Camus où il écoute, et comprend, si ce n’est qu’une seule phrase en arabe.

Conclusion

Camus a beaucoup parlé de fédéralisme, d’une Algérie où toutes les civilisations pourraient se réunir.   Mais l’émotion viscérale qu’on ressent en lisant Chroniques algériennes est beaucoup plus personnelle: c’est  l’angoisse de la séparation.  Plus que tout autre écrivain de langue française du siècle dernier, Camus nous amène au cœur même d’un problème essentiel à la littérature,  c’est à dire la négociation du personnel et du politique, qu’il a résumée de façon à attirer beaucoup de haine contre lui, par la célèbre formule qu’on cite souvent de travers: « la justice ou ma mère ? »

Plus son écriture est personnelle, particulière,  plus elle est convaincante.  Camus a puisé son lyrisme, son inventivité, dans son Algérie natale.  C’était un Algérien qui, comme tant d’autres, rêvait d’être français et qui regrettait en même temps ce rêve.  (Il dira dans un autre registre, en parlant de ses origines plus que modestes, qu’il avait eu honte, puis qu’il avait eu honte d’avoir honte).   C’est cette tension entre la France et l’Algérie qui alimente son écriture, qui lui donne d’une part son langage  souvent “hypercorrect”,  son vouloir-être philosophe,  et d’autre part son dédain pour la vie intellectuelle française, sa sensualité, ses paysages–  et enfin ce soleil qui tape sur tous ses personnages, qui les aveugle et les illumine.

Hier à la Librairie du Tiers Monde, place de l’Emir Abdelkader, j’ai vu un large espace consacré aux livres de Camus en édition folio—une quinzaine de titres.  L’autre auteur représenté, sur la table à côté de la caisse était son partenaire dans l’appel pour une trêve civile, Ferhat Abbas.  J’espère, par notre discussion de ce soir, mieux connaître le sens que l’œuvre de Camus peut avoir en Algérie aujourd’hui.

Source diverses Internet

Le Pèlerin

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 00:01

Littérature - Les racines algériennes d’Albert Camus
Albert Camus

Cinquante deux ans après sa mort, le 4 janvier 1960, Albert Camus est plus vivant que jamais. Une floraison livresque vient saluer à nouveau l’éternité de son œuvre l Stéphane Babey est parti en Algérie sur les traces du prix Nobel et donne Camus, une passion algérienne. Catherine, fille de « L’homme révolté », ouvre pour la première fois l’album de famille pour Camus, solitaire et solidaire.
Commençons par le lointain. Stéphane Babey, journaliste, écrivain n’en finit pas de revisiter les racines improbables de son existence. Fils d’un Algérien qu’il n’a jamais connu et d’une Française, il avait découvert tardivement sa filiation, il la revendique maintenant fermement. Il avait cru en solder la troublante incidence sur sa vie dans un formidable roman intitulé Les assassins de la citadelle, paru à Perpignan, en 2007 (Cap Béar éditions). Quelques mois après, en 2008, il récidive avec L’inconnu d’Alger, où il se réapproprie son héritage algérien qui ne demandait qu’à prospérer en lui. Une belle et difficile histoire d’amour. L’ouvrage a été publié par une nouvelle maison d’édition parisienne, au nom qui ne s’invente pas : « Koutoubia ».
Dans son imaginaire d’une Algérie qu’il fait sienne, sa personnalité s’affirme dans la douleur et la recherche. Cela donne de merveilleuses pages d’un homme entre deux passages. Un funambule sur la corde raide. Comme Camus ! Son éditeur lui demande alors de faire un voyage initiatique pour retrouver le fil de ses ancêtres en marchant sur les chemins heurtés d’Albert Camus. Qui mieux que Stéphane Babey, hybride qui s’ignorait, pouvait amorcer cette remontée du temps pour découvrir l’être déchiré qu’était l’auteur de L’Etranger.
Camus avait vécu, jusqu’à la blessure profonde dans son âme d’artiste, ses appartenances multiples. Peu de gens peuvent comprendre lorsque le feu de l’histoire brûle la lucidité devant la nécessité de l’action. Babey est donc reparti sur les traces réelles et imaginaires de Camus. Côté littérature, il a refait la route vers Rovigo, aujourd’hui Hadjout, où Mersault, le triste héros de L’Etranger part enterrer sa mère. Belcourt, où le jeune Camus a vécu, la rue de Lyon… A Oran, tableau de La Peste… Annaba enfin, et Dréan le hameau natal du philosophe romancier. Babey ne s’arrête pas aux lieux, il va jusque dans les fibres de l’Algérie de Camus et celle qui transpire de tous ses pores aujourd’hui.
Pour donner la vitalité à Camus, il passe par le meilleur des truchements qui soient, la libre parole algérienne, expressive, poétique, joyeuse, pétillante d’aspiration au bonheur, comme l’était Camus, engoncé parfois dans son refus, ou sa difficulté, de redescendre de ces limbes célestes où le parfait lui donnait la mesure. Camus, avant de mourir, n’était peut-être déjà plus de ce monde, Babey l’y fait revenir par le biais d’une nourrissante et parfois dérangeante parole algérienne dans un magnifique Albert Camus, une passion algérienne. Catherine Camus, fille de, et gardienne de l’héritage littéraire du maître, sort pour la première fois de sa légendaire réserve et ouvre l’album de famille.
Un beau livre publié par les éditions Michel Lafont, pour le cinquantenaire de la mort par accident de Camus le 4 janvier 1960, à l’âge de 46 ans. Qui mieux qu’elle pouvait le faire ? Dans l’introduction de ce somptueux livre d’images commentées, Albert Camus, solitaire et solidaire, dont certaines sont complètement inédites, elle écrit : « Travaillant depuis trente ans à la gestion de son œuvre, j’ai reçu des milliers de lettres venant du monde entier. Quelles que soient les civilisations, les cultures ou les sujets abordé, ces lettres ont un point commun, un amour fraternel pour Camus ».
Les images, qui retracent la vie de celui qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1957, sont accompagnées non pas de commentaires décalés dans le temps, mais de citations de son œuvre, ce qui fait de cet ouvrage une vraie œuvre littéraire d’époque, que Camus aurait pu signer. On y redécouvre aussi ses manuscrits, qui achèvent de redonner l’éclat éternel de la plume du poète.
La Caravane Albert Camus
Le livre de Stéphane Babey sortira le 5 janvier. En partenariat avec le Centre culturel algérien, une caravane va visiter cinq villes de France : Paris, Montpellier, Nîmes, Perpignan, Uzès, et, en avril, sept d’Algérie : Alger, Annaba, Béjaïa, Tizi Ouzou, Tipaza, Tlemcen et Oran. Le livre sera présenté, en présence de Yasmina Khadra, le 14 janvier au CCA.
Source El Watan Walid Mebarek
Le Pèlerin

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