Culture - Adaptation à l’écran du dernier homme d’Albert Camus - Tournage sous haute tension
Coproduction franco-italienne, le tour de manivelle de ce long métrage qui sera réalisé par l’Italien Gianni Amelio est annoncé pour la fin du mois de mars.
Controversé, le prix Nobel le plus célèbre de la littérature française - il l’a obtenu alors qu’il n’avait que 44 ans - fait l’actualité en France et en Algérie. A l’occasion du cinquantième anniversaire de sa disparition, l’auteur de L’Etranger intéresse les cinéastes de part et d’autre de la Méditerranée. En France, un téléfilm lui sera consacré bientôt. Le réalisateur, Laurent Jaoui, semble s’être inspiré du Premier homme, œuvre posthume de Camus, dédiée à sa mère. De ses origines modestes en Algérie de la colonisation, le téléfilm retrace le destin de l’écrivain. Le téléfilm se penchera sur des moments-clés qui ont marqué son histoire, notamment ses conversations avec Sartre, la remise de son prix Nobel... qui ne sont que «des prétextes pour relier des scènes plus mélodramatiques avec les femmes de sa vie», affirme-t-on. Malgré le manque de ressemblance physique, Stéphane Freiss incarne un Camus saisissant de vérité, nous indique-t-on. Cinquante ans après sa mort, le projet de Nicolas Sarkozy de le faire entrer au Panthéon auprès de Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau ou Emile Zola, notamment, ne semble pas faire l’unanimité. Cette annonce a provoqué l’ire de la gauche et de nombreux intellectuels qui ont crié à la «récupération». Chez nous, une pétition circule contre la célébration de Camus en Algérie. Or, une caravane, initiée notamment par le Centre culturel algérien de Paris que dirige l’auteur de L’Attentat, Yasmina Khadra, arrivera probablement dans un mois ou deux à Alger avec à bord, des écrivains et autres intellectuels français afin de fêter l’immense talent de cet écrivain qui, un jour, a déclaré: «Entre la justice et ma mère, je choisirai ma mère» Une phrase somme toute banale et légitime, mais qui du temps de la colonisation, sonnait comme une insulte envers la lutte de Libération nationale. Aussi, des écrivains et intellectuels algériens, imbus de nationalisme, s’acharnent-ils à boycotter cette manifestation et interdire l’arrivée de cette caravane. C’est donc dans cette atmosphère houleuse qu’aura lieu prochainement le tournage cinématographique à l’écran du livre posthume d’Albert Camus, Le Dernier homme, dont le manuscrit a été retrouvé dans la voiture de son ami et éditeur Michel Gallimard suite à l’accident de voiture qui lui coûta la vie un 4 janvier 1960, tandis que son ami succombera à ses blessures quelques jours après. C’est de ce manuscrit inachevé publié finalement en 1994 qu’il est question de porter à l’écran par le réalisateur et scénariste italien, Gianni Amelio. Le livre n’est autre que l’autobiographie de l’auteur de La Peste.
L’histoire s’intéressera au parcours du personnage de Jacques Cormery, une sorte d’autobiographie de l’alter ego de Camus, un homme de 40 ans, de retour de France dans son pays natal vers les années 50 avant la guerre d’Algérie et s’y remémore son enfance. Ce sera la première fois que l’Italien Amelio réalisera un film dans la langue française.
«Le film traite de la vie d’Albert Camus à deux périodes: quand il était petit en 1924 et où il vivait au quartier de Belcourt, à Alger, ensuite à son retour en 1957 pour participer à une conférence à l’université d’Alger, au moment des événements de la Bataille d’Alger», nous a confié le producteur Benoît Pilot en mai dernier. Et d’ajouter: «La difficulté de ce film était de trouver un lieu qui puisse ressembler au quartier de Belcourt en 1924. Ce lieu, on l’a trouvé dans la périphérie de Mostaganem, dans un quartier qui s’appelle Le Plateau.»
Le budget s’élèverait à 11,6 millions de dollars et sera produit par Cattelya et Bruno Persery. Le casting a été minutieux. L’acteur français Jacques Gambin endossera le rôle de Jacques Cormery, le héros de l’histoire. Claudia Cardinale, d’origine tunisienne, jouera le rôle de la mère bien-aimée mais sourde et distante de Jacques Cormery. Denis Podalydès figurera également dans la distribution. Le tournage se passera entre Alger, Oran et Mostaganem. Ce long métrage est une coproduction franco-italo-algérienne. Le film est français puisque initié par un producteur français, Bruno Pezri, coproduit avec la société Cattelya d’Italie et de Laith Media pour la partie algérienne.
Maintes fois reporté et annoncé pour avril dernier, puis le tournage semble se préciser pour une date proche.
On susurre la date du 24 mars prochain, du moins la dernière semaine du mois de mars. Décalé pour des raisons financières, notamment, la machine semble s’être remise en branle. Un tournage qui débutera dans un contexte assez lourd. L’empêchera-t-on de voir le jour?
L’écrivain Yasmina Khadra à l’expression - «J’ai horreur de la manipulation»
«Alerter les consciences anticolonialistes pour interdire une ouverture littéraire, n’est-ce pas le comble de la démesure?» s’interroge, indigné, l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit.
Le directeur du Centre culturel algérien à Paris, Yasmina Khadra, donne ici son avis sur la tentative de faire échouer l’arrivée de la caravane de la célébration du 50e anniversaire de la disparition d’Albert Camus en Algérie.
Caravane approuvée par notre écrivain de mérite et que certains esprits obtus tentent, par une pétition qui n’a d’écho que le bout de leur nez, d’empêcher de se produire en Algérie. Un geste qui va à l’encontre de l’action intellectuelle qui veut qu’un débat même contradictoire se doit d’être, sans lequel une véritable démocratie n’a plus raison d’exister. Des intellectuels, dites-vous? Notre homme, fidèle à ses idéaux justes, répond à ses détracteurs.
L’Expression: Il va y avoir l’organisation de la Caravane Albert Camus... sachant que le Centre culturel que vous dirigez est, entre autres, l’initiateur de cet événement. Quelles sont vos motivations?
Yasmina Khadra: Le CCA n’est pas l’initiateur de l’événement. M.Guillaume Lucchini, l’organisateur de la Caravane Albert Camus, était venu me voir pour m’en parler. Son idée m’a séduit. Pourquoi pas, m’étais-je dit? Et nous avons aussitôt lancé l’opération. Je suis sidéré par la réaction du comité qui s’est constitué pour condamner notre initiative. Néocolonialisme?... Je n’en reviens pas. Il ne s’agit pas d’une armada en rade des côtes algériennes. Il n’y a ni chars, ni avions, ni drones. Et aucun état-major n’est en train de fourbir ses armes. Il est question d’une opération purement culturelle. Contrairement à ce qui a été déclaré, seul le Centre culturel algérien à Paris est partie prenante dans cette histoire. Incriminer les autres institutions, faire croire qu’il s’agit d’une implication massive de l’Etat, est totalement ridicule. Les motivations qui m’ont amené à m’investir dans cette démarche sont simples: proposer aux Algériens, notamment à nos étudiants, un débat intelligent sur un grand écrivain, né en Algérie, adulé par les uns et vilipendé par les autres, prix Nobel de littérature. Notre pays tente timidement de renouer avec la chose intellectuelle. J’essaie de contribuer à ce sursaut sans lequel la médiocrité et l’ignorance squatteraient notre esprit.
En Algérie, cette caravane qui atterrirait, en avril je crois, est controversée par un groupe d’écrivains ou intellectuels algériens. Un texte baptisé «Alerte aux consciences anticolonialistes» circulerait un peu partout contre cette célébration de l’année camusienne qui, selon ses auteurs, réhabiliterait l’Algérie française. Quel sentiment cela vous inspire-t-il?
J’ai lu ce fameux texte et j’en hallucine encore. Où sont-ils allés chercher de telles élucubrations? Que signifie cette désinformation éhontée et qu’essaie-t-on de prouver? Que ces individus sont les gardiens du temple? Qu’ils sont plus vigilants et plus patriotes? L’Algérie est souveraine, et elle a les moyens de sauvegarder son intégrité. Camus est mort, et son fantôme ne saurait remettre en cause le combat des Algériens pour leur indépendance. La guerre est finie; il est question de regarder plus loin que le bout de notre nez. Il est impératif de lire Camus pour comprendre ce que nous avons été sous le joug colonial, et ce que nous sommes devenus aujourd’hui, c’est-à-dire des êtres sans relief et sans réelles convictions, toujours prêts à chahuter les initiatives des autres et jamais en mesure d’en prendre, constamment prompts à chercher des poux aux chauves, à traquer l’anguille sous roche même lorsqu’il n’y a pas d’eau dans la rivière. Des êtres forgés dans la suspicion chimérique, de grandes gueules aux bras écourtés, fainéants impénitents, terrés au fond des nullités et des absences insalubres, sordides jusque dans leurs «nobles» pensées. Les a-t-on jamais vus se rassembler autour d’un idéal probant? Les a-t-on jamais vus honorer un héros, un chantre ou bien un martyr? Ils sont là, les doigts dans le nez, à ne rien fiche de la journée, et dès qu’il y a l’ébauche d’une initiative, ils s’extirpent de leur sommeil post-digestif pour ruer dans les brancards! Qui les empêche de fêter Jeanson, de commémorer dignement Fanon, de provoquer des Caravanes Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni ou Tahar Djaout, Moufdi Zakaria ou Benhaddouga, Al Khalifa ou Rédha Houhou, et de réunir les Algériens, grands et petits, autour d’un débat enthousiasmant? Ils ne font rien, et tentent d’empêcher les autres de se bouger un peu. Moi, qui suis écrivain, ancien officier, fils d’ancien officier de l’ALN, descendant des Moulessehoul, seigneurs tranquilles de la Saoura depuis six siècles, je ne vois pas du tout en quoi le fait de se pencher sur Albert Camus, aussi controversé soit-il, puisse me désarçonner en tant qu’Algérien. C’est en lisant L’Etranger que j’ai le mieux compris la condition des miens durant la colonisation. C’est parce que nous étions réduits à des figurants, ramenés à un qualificatif générique (l’Arabe), et présentés comme du cheptel inconsistant que j’ai décidé de devenir romancier pour dire la vaillance de nos héros et la longanimité de nos victimes expiatoires. Plus tard, le traumatisme de la lecture de L’Etranger m’amènera à écrire Ce que le jour doit à la nuit, pour montrer ce que Camus répugnait à regarder en face. C’est en lisant Noces d’été, la Peste, l’Exil et le Royaume, que j’ai mesuré combien Camus était atteint de strabisme, parfois carrément frappé de cécité, comme Guy de Maupassant, André Gide et ces consciences supposées éclairées et dont la portée de leur phare ne dépassait pas les frontières de leur propre conception du monde et de l’humanité, c’est-à-dire leur propre bulle. La littérature est une quête perpétuelle de soi. On apprend plus sur soi, dans un livre, que sur les personnages et les événements qu’il décrit. Les Algériens ont besoin de renouer avec le livre, d’apprendre à faire la part des choses, de reconnaître le talent exceptionnel de Camus et de déplorer, intelligemment, son autisme d’homme, ses maladresses, ses tergiversations, ses indécisions, de mesurer combien parfois le génie est éloigné de la lucidité, que l’on peut être magnifique et gauche à la fois, sublime et à côté de la plaque. Ce sont justement ce genre de rencontres qui nous permettra d’avancer dans la vie. Le comité qui appelle au boycott de la Caravane Albert Camus devrait jeter un œil sur le délabrement mental qui sévit chez nous, sur la démission intellectuelle, par endroits le désistement même de la pensée, le renoncement à l’émulation, à la transcendance, voire à la culture. Il devrait se demander pourquoi nos écrivains ne sont pas enseignés dans nos lycées, pourquoi l’exclusion muselle le chant salvateur de nos poètes, pourquoi nos bibliothèques sont désertées, nos cinémas sous scellés comme les lieux du crime, nos comédiens se décomposent-ils à l’ombre du temps qui passe. Il devrait comprendre que ce sont des réactions comme la sienne qui empêchent la renaissance de notre nation. Absolument. Ce sont des attitudes comme celles qu’ils affichent, avec un zèle claironnant, qui isole notre pays dans le marasme et la démagogie. Alerter les consciences anticolonialistes pour interdire une ouverture littéraire, n’est-ce pas le comble de la démesure? Et puis, quelles consciences? Celles qui se dérobent devant les malheurs qui frappent notre patrie? Celles qui s’empiffrent à tous les râteliers? Celles des prédateurs de tout poil, qui privilégient le slogan creux au détriment des engagements concrets, qui n’ont de cesse de se réinventer une âme là où elles n’ont aucun scrupule? Quel culot, tout de même! Mais il est vrai que beaucoup n’ont plus de caleçons tellement ils pètent le feu.
Quelle est votre position là-dessus et que répondez-vous à vos détracteurs?
Je n’ai pas de réponse pour l’incongruité. J’essaie de faire de mon mieux pour aider notre culture à s’éveiller aux gens qui l’aiment. Depuis que je suis au CCA, j’oeuvre exclusivement dans ce sens. Jamais sous influence politique ou autre. J’écoute ce que mon coeur confie à ma conscience. Il n’est pas de mes habitudes de penser à mal. J’ai horreur du mensonge et de la manipulation. Ce que j’entreprends, je le fais après avoir bien réfléchi, et je le fais pour le bien de tous. S’il m’arrive de me tromper, ce n’est pas faute d’avoir bâclé mon travail ou pris à la légère un engagement. L’erreur est humaine, et c’est tant mieux. On apprend mieux à se relever en tombant. Je ne suis pas de ceux qui manoeuvrent sournoisement ou qui pratiquent la surenchère et l’abjection.
S’il m’arrive d’agacer certains, ce n’est point voulu. Je ne songe ni à provoquer ni à invectiver. Si je donne l’impression de faire cavalier seul, ce n’est pas du tout vrai. Je m’escrime à trouver des interlocuteurs et je suis attentif à toute proposition susceptible d’apporter du crédit à nos efforts. Mais de grâce! Arrêtons de prendre les Algériens pour des inconscients. Arrêtons de les infantiliser. Et laissons les gens travailler en paix.
Entretien avec l’écrivain Hamid Grine - «Camus, un humaniste et un moraliste courageux»
Dans cet entretien passionnant, l’auteur de Cueille le jour avant la nuit donne sa position sur cette polémique «Camus» qui fait les choux gras de la presse française. Ni pour ni contre. Il s’explique...
L’Expression: Etes-vous pour la caravane célébrant Albert Camus en Algérie?
Hamid Grine: La caravane Camus en Algérie. Au secours? philosophiquement, je suis contre cette attitude qui consiste à se figer dans la réaction. Et à tirer sur tout ce qui bouge. Nom de Dieu, bougeons: lançons une caravane Mammeri, une caravane Dib, une autre Kateb, Feraoun, Haddad... personne ne nous en empêche, hormis notre inertie. Et elle est plus dangereuse que la caravane qui ne fait que passer alors que notre inertie demeure.
Qu’en est-il de la célébration de son cinquantième anniversaire en France et en Algérie. Etes-vous pour ou contre?
Parlons d’abord de l’écrivain. Camus est un grand écrivain français né en Algérie. C’est un humaniste et un moraliste qui a pris des positions courageuses quand certains de ses contemporains, écrivains algériens, préféraient écrire sous des noms d’emprunt pour ne pas être inquiétés. Notre problème, nous Algériens, c’est qu’on passionne tout ce qu’on touche. On passe d’un extrême à un autre, on juge, on condamne émotionnellement.
Si on considère Camus comme un écrivain algérien, on peut, c’est vrai, lui reprocher durant la guerre de Libération son silence et, pour tout dire, sa tiédeur. Les écrivains algériens, à l’exception d’un seul, n’ont pas fait mieux que lui. Je peux même dire que certains, et c’est important de le souligner, ont fait moins.
Changeons de perspective: regardons Camus comme un écrivain français, et croyez-moi, on appréciera mieux ses prises de position courageuses dans ses reportages de Alger Républicain sur la Kabylie, en 1939 ainsi que les articles dans Combats, en 1945 pour fustiger, il était bien le seul, la répression aveugle et sanglante des populations du Constantinois. Je n’ai pas vu d’autres voix françaises à l’époque.
Camus est venu de France pour témoigner et condamner.
Alors célébration ou non en Algérie? Si on veut célébrer l’humaniste, le moraliste, le prix Nobel né en Algérie, le journaliste courageux, pourquoi pas?
Mais si on veut célébrer l’homme qui a mis dos à dos les forces d’occupation et le FLN ainsi que l’ALN, moi je dis non. Camus n’était pas un héros de la cause algérienne comme l’étaient Jean Daniel, Jules Roy, tous deux Algériens de souche ou André Mandouze et Sartre. Camus n’était pas pour l’indépendance de l’Algérie, mais pour l’autodétermination reliée à la France. Il était français, non un colon, mais un petit Blanc de Belcourt. Il se définissait comme tel, d’ailleurs.
Un mot sur cette pétition qui circule à Alger afin d’interdire justement cette caravane qui se rendra bientôt à Alger pour le célébrer. Qu’en pensez-vous?
Pétition: ni pour ni contre. Il est heureux que chacun exprime démocratiquement et librement sa position. Par le dialogue et les débats. Qu’il y ait réaction à la venue de la caravane, moi j’y vois comme une sorte de vitalité et de réactivité démocratique.
Il ne faut pas qu’elle se transforme en querelle d’hommes et en anathèmes du genre hizb frança et autres «joyeusetés». Nul n’est dépositaire du nationalisme et du patriotisme.
Source L’Expression O. Hind
Le Pèlerin