Subprimes : est-ce la fin ou juste le début d’une crise majeure ?

Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.»
Jean de La Fontaine
Que se passe-t-il sur les marchés financiers internationaux et spécialement sur les marchés financiers américains ces derniers mois ? Que cachent les autorités monétaires et financières américaines à propos de la crise des Subprimes ? S’agit-il d’une catastrophe économico-financière majeure ou d’une simple crise passagère due à l’explosion de la bulle immobilière aux USA ? Dans quelle phase se trouve cette crise ?
Est-elle vraiment à sa phase finale ou serait-ce juste le début d’une série infernale de faillites d’acteurs de renom et de taille mondiale ? Ces questions constituent une petite partie des nombreuses interrogations qui préoccupent l’ensemble des opérateurs économiques, financiers et industriels internationaux. L’absence de réponses et de visibilité claire plonge l’économie mondiale dans une sorte d’hésitation et de crampe qui risque de se prolonger longtemps avant de se dissiper.
Les bourses mondiales tentent, sans grand succès, d’anticiper l’évolution des cours, le développement de la crise et l’étendue de ses conséquences. Les banques et les établissements financiers quant à eux se débattent difficilement pour sortir la tête de cet engrenage dans lequel les a enfoncés leur engagement dans le financement de l’immobilier américain. Enfin, les entreprises industrielles ne savent pas où donner de la tête pour orienter leur stratégie d’investissement et leur stratégie de développement.
Les grands groupes financiers mondiaux sont dans une situation pour le moins critique, car ayant laissé beaucoup d’argent via leur filiales impliquées dans le processus à la fois complexe et sophistiqué de financement et de refinancement hypothécaire américain. Des noms mythiques ayant une réputation qui date de plus d’un siècle, pour certains, sont en train de disparaître ou en voie de l’être. D’autres se voient absorbés par leurs concurrents ou par des fonds souverains des pays considérés jusque-là comme des pays antidémocratiques. D’autres, encore, sont placés sous les lois des faillites en attendant de trouver d’éventuels bailleurs de fonds pouvant les sortir de ce gouffre. Aussi, l’intervention de la réserve fédérale américaine est historique pour sauver des organismes ou établissements relevant pourtant de la sphère financière privée à savoir Fannie Mae et Freddie Mac(2). Enfin, une sorte de concentration est en train de s’opérer au sein de tout le système financier américain, assurances comprises, avec des conséquences qui pourraient être catastrophiques sur le reste du monde.
Les groupes et les entreprises industrielles mondiales se trouvent, du coup, confrontées à une situation d’incertitude et de crise exceptionnelle. Ce qui rend difficile leurs anticipations et leurs prévisions en matière de croissance et d’évolution de la demande et de l’offre. Cette hésitation généralisée, causée par l’attente et l’espoir de voir la crise se dénouer, a entrainé d’autres effets sur le marché mondial des matières premières déjà sous fortes pressions, comme c’est le cas pour le pétrole(3). En fait, cette crise a commencé lorsque les organismes impliqués dans le financement du crédit immobilier aux USA ont surestimé deux facteurs importants qui y interviennent à savoir les capacités d’endettement des ménages américains et l’évolution des prix de l’immobilier.
D’une part, la multitude des organismes de financement, la concurrence qui les oppose et les paris irraisonnables sur les perspectives de l’économie et du pouvoir d’achat des ménages américains ont entrainé une implication sans réserves de ces premiers dans le financement de l’immobilier même en totale contradiction avec les résultats des scores des ménages. Peu importe la prudence, les ménages américains seront toujours en mesure de rembourser, sinon d’autres organismes de consolidation et de refinancement interviendront pour les remplacer. Ceci a, non seulement, amplifié le risque et l’a dispersé de façon incontrôlée et incontrôlable, mais aussi, a pesé lourdement dans les budgets des ménages américains qui voient leurs échéances de remboursement dangereusement croître. A un moment donné, les capacités de remboursement des ménages, par ailleurs, affaiblies par la baisse du pouvoir d’achat, ne pouvaient plus supporter le remboursement du crédit immobilier contracté. C’est le premier déclencheur de la crise.
D’autre part, les estimations et les prévisions d’évolution des prix de l’immobilier aux USA ont été trop optimistes, voire même délibérément exagérées par les intervenants sur ce marché. Les courtiers, les promoteurs et les agences immobilières, les cabinets d’expertise et d’évaluation, les assurances et les organismes de financement ont tous une part de responsabilité dans cette surévaluation. Peu importe la prudence là également, de toute façon, tout le monde y trouve son compte. Plus le prix est élevé, plus ces intervenants gagnent de l’argent. Autant, donc, maximiser leurs revenus via la maximisation des prix de l’immobilier au détriment du ménage américain. L’Etat américain, faisant confiance à ses agences et à l’auto régulation du marché, s’est rendu à la fois coupable de ne pas être intervenu pour freiner cette escalade subjective des prix et d’y avoir participé indirectement, car cela lui rapportait beaucoup dans la fiscalité. Les prix ont donc largement dépassé à la fois les seuils psychologiques de vente des biens immobiliers et les seuils techniques de préservation de la consommation incompressible des ménages. C’est là le deuxième facteur déclencheur de cette crise. La combinaison de ces deux facteurs conjugués à une interdépendance dangereuse des organismes de financement de l’immobilier, constitués eux en grande partie par des banques de renom et des établissements de premier rang, ont poussé les pouvoir publics américains à réagir prudemment afin d’éviter la faillite de l’un des ces acteurs qui entrainerait une chute en dominos. Une éventuelle faillite d’un grand opérateur américain serait une véritable bombe dans les milieux d’affaires internationaux et ses effets seront ressentis sur toute l’économie mondiale.
Maintenant que la FED(4) a annoncé la mise sous tutelle de ses deux agences de financement et d’encadrement du crédit immobilier (Fannie Mae et Freddie Mac) et l’injection de fonds supplémentaires pour faire face à un éventuel effondrement de tout leur circuit immobilier et financier. Après l’annonce de son intention de ne pas supporter et couvrir toute seule les pertes et les conséquences de cette crise. Enfin, après la révélation progressive de l’ampleur des dégâts financiers qui touchent les finances américaines, la question serait de savoir si d’autres répercussions catastrophiques seront ressenties en dehors des USA. Si c’est le cas : quelles seront ces répercussions sur l’économie mondiale en général et sur l’Algérie en particulier ? Nous tenterons d’analyser cette éventualité à la lumière des dernières évolutions à la fois surprenantes et fort riches en enseignements : D’abord, à l’échelle mondiale, nous notons que tous les pays, dont l’économie en général et la finance en particulier dépend de la place financière américaine, ont pris des mesures sans précédent afin de retarder au mieux le moment fatidique de l’annonce des conséquences réelles de cette crise. Ils ont même eu recours à des procédés peu orthodoxes et inhabituels comme la rétention de l’information, l’injection de fonds publiques dans des institutions privées, l’autorisation de prise de participation des fonds souverains dans les fleurons de leur finance, participation dans l’absorption des pertes américaines et bien d’autres mesures. Cette réalité concerne surtout des pays dont l’économie dépend des USA, non du point de vue réel, mais du point de vue plutôt financier, comme l’Angleterre, la Suisse, la France, l’Allemagne, le Japon et les pays de l’Asie du Sud-Est, certains pays du Golfe et enfin l’Australie. Le reste du monde, comme l’Afrique dont notre pays, l’Inde et la Chine, les pays de l’Amérique Latine, la Russie et tous les pays de l’Europe de l’Est, dépend certes de l’économie américaine de façon plus au moins étroite mais du point de vue réel, ce qui les met relativement à l’abri des effets de cette crise financière.
Cette crise aura certainement des conséquences sur ces pays mais différemment selon la catégorie où l’on se situe.
La première catégorie de pays se verra obligée d’injecter des fonds dans toutes les banques et les établissements ayant des positions financières dans l’immobilier américain et dans les capitaux propres des établissements et banques américaines touchées par la crise. D’autres annonces de faillite dans ces pays ne sont pas à écarter vu la forte interdépendance entre leurs institutions et leurs filiales américaines. On verra même les banques centrales de ces pays prendre des mesures exceptionnelles d’encadrement du crédit et en particulier le crédit immobilier. Par ailleurs, une forte dépréciation des actifs immobiliers dans ces pays s’accentuera au fur à mesure des annonces des difficultés et des conséquences successives de la crise. Ce qui mettra en péril l’activité de promotion immobilière et du commerce immobilier. On notera également que les éventuelles mesures d’encadrement du crédit se répercuteront sur toute l’activité économique. Donc un ralentissement de la croissance dans ces pays sera fortement pressenti. La deuxième catégorie de pays dont l’Algérie, ne dépend pas trop des finances américaines mais bien assez de l’économie et de la croissance américaines, notamment pour leurs exportations de matières premières et de biens intermédiaires. Ceci aura des répercussions sur les prix de ces matières et équipements qui baisseront à cause du recul de la demande mondiale. Mais certains pays gagneront grâce à l’augmentation prévue des taux d’intérêt dans la première catégorie de pays pour drainer les fonds nécessaires à la couverture des pertes colossales prévues et que certains pays, comme l’Algérie, assureront partiellement (car ayant un épargne excédentaire).
La crise financière qui ralentira la croissance réelle se ressentira sur les exportations des pays émergent comme la Chine et l’Inde ce qui aura probablement comme conséquence un ralentissement de la demande sur les matières premières notamment l’énergie. Soit une baisse encore incalculable des prix du pétrole, du gaz et des autres inputs.
Pour l’Algérie, cette crise constitue une opportunité et un risque. Elle peut lui servir de tremplin pour diversifier son économie et équiper ses gigantesques infrastructures, en profitant des occasions que cette crise procurera. Comme elle peut lui causer des dommages importants surtout dans les conditions actuelles de forte concentration et destructuration de son économie (dépendance à l’égard des hydrocarbures, grands projets lancés, réformes généralisées).
Essayons d’être plus clairs. Si la crise se déroule comme prévu. Elle entrainera une baisse des prix du pétrole mais aussi du dollar américain et des monnaies qui y gravitent ce qui risque de pénaliser doublement l’économie algérienne dont les réserves de changes se verront dans ce cas déprécier et les recettes d’exportation (pétrole et gaz) baisser. Donc, un risque de remettre en cause les grands projets du pays sur le moyen terme (de trois à cinq ans). Même si un petit avantage existe en la baisse des matières premières, notamment les produits alimentaires que l’Algérie importe. Par ailleurs, les investisseurs risquent de bouder les titres des groupes financiers et des entreprises à forte composante capitalistique et se tourner vers les titres de groupes industrielles et des entreprises à forte composante technologique et humaine, ce qui accroîtra davantage les prix des biens d’équipement. Donc, une forte probabilité d’augmentation des coûts des importations de ces biens qui constituent une bonne partie des importations nationales. Par contre, si l’Algérie veut profiter de la crise actuelle convenablement, elle sera amenée à investir dans l’immobilier occidental et les titres des banques et établissement en difficultés qui se seraient dépréciés entre-temps et ce, au moment de la stabilisation du marché.
Certains penseront, sûrement, aux risques encourus dans ce cas. Je confirme le risque très élevé de ces opérations, surtout en l’absence de culture et d’habitude d’activité et des affaires à l’international. Mais une chose est sûre, la contrepartie est une rentabilité sans égale et une percée dans les finances mondiales qui compenserait les pertes éventuelles causées par la crise. Un autre aspect est important pour l’Algérie après cette crise, à savoir la nécessité de revoir le circuit national de financement et de refinancement hypothécaire qui commence, à son tour, à prendre de l’ampleur dans les portefeuilles des banques algériennes.
Une enquête approfondie des pouvoirs publics concernant les paramètres de calcul des prix réels de l’immobilier et sa comparaison avec les prix fixés et déclarés dans les différents contrats de vente et de revente des biens immobilier permettra d’avoir une idée sur la taille de la bulle immobilière nationale et les perspectives de son évolution.
Cette nécessité est appuyée, d’une part, par la nature des fonds des banques algériennes et des établissements de refinancement qui sont des fonds à court terme ou des fonds étatiques sous forme de dotations. Alors que les financements immobiliers peuvent atteindre une durée allant jusqu’à trente ans. D’autre part, les techniques d’octroi du crédit immobilier ne sont pas actuellement à même de cerner la véritable capacité d’endettement des ménages algériens, car aucune centrale de risques ménages n’est en activité. De plus, nous constatons un boom sans précédent des autres crédits destinés aux ménages, notamment le crédit à la consommation, le crédit OUSRATIC, le crédit véhicules. Elle est, enfin, justifiée par le niveau de vie décroissant des Algériens, l’évolution négative de leur pouvoir d’achat et les perspectives plutôt défavorables d’évolution des prix de l’immobilier (les prix dans certaines villes algériennes atteignent des pics dignes des grandes villes européennes). Donc, une révision de toutes les procédures et de toutes les statistiques relatives à ce produit devra permettre de cerner encore mieux les risques y afférents et prévenir toute crise éventuelle. Un célèbre proverbe dit : «mieux vaut prévenir que guérir» ce qui est, paraît-il, trop tard pour les pays impliqués dans le financement et le refinancement de l’immobilier américain, mais qui trouve tout son sens dans les pays qui essayent de développer leur secteur du crédit immobilier comme l’Algérie.
Alors, laissons ces pays partager les pertes non encore mesurées de cette crise parce qu’ils ont longtemps partagé les gains de leurs placements. De toute façon, il est tout à fait normal, voire même juste, que celui qui savoure les délices du gain soit un jour appelé à supporter l’amertume de la perte. Gageons, par contre, que notre pays saura tirer profit et leçon de ce qui suivra et réagira convenablement pour optimiser les conséquences d’une crise qui n’a pas encore révélée toutes ses facettes.
Source Le Quotidien d’Oran
Le Pèlerin