La poésie permet de s’évader et d’échapper à la médiocrité du « Quotidien »
Ce poème qui comporte quatre quatrains composés d'alexandrins avec des rimes croisées est un sonnet qui apparaît dans la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du mal.
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Ce poème a vraisemblablement été inspiré à Baudelaire par son voyage en bateau à destination de l'île Bourbon alors qu'il avait à peine 20 ans.
La « pêche à l'Albatros » (avec une ligne portant un liège et un triangle de fer amorcé à la viande) était traditionnelle à bord des voiliers au « grand long cours » au-delà des trois caps. L'instrument de pêche triangulaire servait d'ailleurs d'emblème à l'association des anciens marins cap-horniers.
L'Albatros était souvent vu par les marins de l'époque comme malfaisant car un homme tombé à la mer - qu'on ne pouvait pas en général repêcher - était aussitôt attaqué à coups de bec par les albatros.
Traditionnellement, l'albatros ainsi pêché servait aux marins à réaliser divers objets en dehors de leurs heures de quart : la peau des pattes devenait blague à tabac, certains os servaient à confectionner des mâts et vergues pour les maquettes de navires et le bec était monté sur une tête d'albatros en bois sculpté, comme pommeau d'une canne faite de vertèbres de requin enfilées sur une tige de fer, classique cadeau de l'équipage à son capitaine en fin d'une bonne traversée. Baudelaire (contrairement à certains « intellectuels » qui firent l'expérience du voyage en mer au temps de la marine à voiles, tels le romancier américain Richard Dana ou le poète anglais John Masefield ou encore Jack London) n'avait pas choisi cet embarquement de plein gré : il y avait été contraint par son beau-père, le Général Aupick, qui espérait ainsi le « corriger de ses inconduites » et s'il détesta l'expérience et ne s'intégra pas à l'équipage il fut néanmoins marqué par ce voyage qui influença son œuvre
Analyse du poème
Un parallèle entre le Poète et l’oiseau
L'albatros est personnifiée étant donné que le poète est comparé à l'oiseau.
Les trois premières strophes comparent l'albatros à un roi déchu, à un voyageur ailé tombé du ciel.
La quatrième strophe explicite le symbole en faisant du poète, un " prince des nuées " aux " ailes de géant ".
Exilé parmi les hommes, la vie de l'albatros apparaît comme un parallèle à celle du poète.
Le poète et l'albatros sont associés dans la dernière strophe: le voyageur ailé devient le poète, les hommes d'équipage : la foule et les planches : le théâtre social.
L'élévation - La verticalité, l'aspect aérien.
L'albatros est évoqué dans toute sa grandeur comme le confirme l'enjambement des vers 1 et 2 qui suggère l'immensité des espaces que l'albatros a à parcourir.
- L'aspect sublime : Au-dessus de l'horizontalité médiocre (la société), l'oiseau donne une impression de majesté, fait de fluidité, comme l'eau sur laquelle vogue le navire mis en relief par l'harmonie suggestive du vers 4 en " v ", " s " et " f ".
- L'isolement, la solitude : Il y a le monde d'en haut et le monde d'en bas et la communication entre les deux est difficile, voire impossible.
- La situation de la victime : l'albatros mais en même temps, le poète est agressé par les moqueries des marins puis par l'archer et les huées.
Le jeu des antithèses
Le poème de Baudelaire donne de l'albatros deux visions radicalement opposées:
Autant l'oiseau en vol est un oiseau majestueux à l'allure souveraine désigné comme " les rois de l'azur ", autant lorsqu'il se pose il paraît ridicule ; c’est un animal ayant perdu son rang et son titre de " roi "
L'image de la chute
A prendre au sens physique et au sens moral du terme, la chute du poète oiseau est suggérée par des images symboliques: perdant la liberté dont il jouit quand il " hante la tempête ".
Il est désormais prisonnier des " planches " sur le pont du navire.
On note le caractère ridicule de l'oiseau lorsqu'il est en dehors de son élément car un roi sur une planche, ce n'est pas sa place.
Notons l’opposition entre la réalité et l'idéal.
L'art est pour Baudelaire une affaire personnelle : le poète ne se mêle pas au public vulgaire. Leurs cultures sont trop éloignées. Le poète doit donc s'exiler, être seul et cette singularité s'est cristallisée dans le symbole de l'albatros.
Le poète est déchiré entre le monde sublime (la poésie) et la vulgarité dégradante de la société.
Bien plus, l'agressivité des hommes qui se manifeste par les huées de la foule, va jusqu'à une volonté de meurtre symbolisée par l'archer du vers 14.
On n'hésitera pas à mettre à mort le poète symboliquement mais il reste un homme incompris. L'albatros poète se moque des flèches qui ne peuvent l'atteindre. Il est exilé, c'est-à-dire étranger du milieu dans lequel il vit et est très mal vu et ses ailes, c'est-à-dire le génie, le gênent.
Sources Internet diverses
Le Pèlerin