La révolution Facebook en terres arabes
La censure comme procédé de gestion de l’information dans les régimes totalitaires ne tient plus la route devant l’avènement des nouvelles technologies. Le blocus imposé sur les espaces d’expression s’est vu ainsi brisé face à la vulgarisation de l’Internet et avec lui les sites les plus en vogue aujourd’hui, à savoir Twitter, Facebook, Youtube… Ces derniers seraient même à l’origine de ces vagues de révolte dans le monde arabe. Il paraît toutefois subjectif d’évoquer l’émergence de ces nouvelles formes de communication sans rappeler la genèse de ce vent de liberté survenu avec l’arrivée de la parabole.
L’interception des chaînes satellitaires à la fin des années 1980 avait, en effet, déjà introduit une certaine liberté d’information. Une soupape qui a permis à des millions d’Algériens d’avoir enfin accès à d’autres sources d’information que celles véhiculées par les organes de l’État. Et de s’ouvrir sur le monde extérieur avant d’accaparer carrément l’information, depuis l’avènement des réseaux sociaux sur Internet.
L’Algérie, 63e mondiale, est en retard
Facebook est un des outils de communication les plus performants aujourd’hui. Il a démontré sa capacité à traiter l’information et sa vulgarisation en un temps record.
Avec près d’un million d’inscrits sur le réseau social Facebook, l’Algérie arrive à la 63e place au niveau mondial et à la 3e place au niveau du Maghreb. Un classement qui montre que notre pays est en retard dans la démocratisation de ce réseau. Ce fait n’exclut pas ses capacités d’influence sur notre société assoiffée du libre débat.
Facebook est une véritable chaîne sociale qui permet à chaque personne possédant un compte de créer son profil et d'y publier des informations. Libre aussi à chacun de devenir rédacteur en chef de sa propre page dont il connaît le nombre de visiteurs, possédant ou non un compte.
Une page Facebook peut être visitée par un nombre important de lecteurs grâce au partage de l’information. Et c’est là que se révèle la force de ce site. Il faut savoir qu’une information diffusée par un profil possédant 5 000 amis, peut toucher des centaines de milliers de facebookeurs.
De Téhéran au Caire, de Tunis à Tripoli, Facebook a déstabilisé les régimes totalitaires. Il a mis à nu par le son et l’image les atrocités et violations des droits de l’homme dans ces différentes sociétés. On se souvient tous du rôle joué par Facebook et Twitter lors de l’élection présidentielle iranienne. Longtemps censurés, les Tunisiens ont, dès les premiers jours de révolte, réclamé la levée de cette sanction. Dès lors, on comprend l’importance que revêt ce réseau dans l’échange d’opinions et de témoignages, surtout face au manque de fiabilité des médias officiels. Un rôle qui s’est confirmé avec la révolution égyptienne où Facebook a prouvé sa capacité à désavouer la propagande des chaînes satellitaires du pouvoir en place. Les informations véhiculées par ces stations étaient d’ailleurs assez vite dépassées. La circulation des nouvelles via ce site en temps réel a été un coup dur porté, aussi bien, au pouvoir qu’à ces chaînes de télévision.
Cet espace a été, par ailleurs, d’un grand appui pour la population libyenne massacrée à huis clos. En l’absence de toute transmission, les chaînes de TV à travers le monde n’ont eu d’autre choix que de se rabattre sur les images diffusées par les facebookeurs libyens. Pour le cas de l’Algérie, les autorités n’ont certes pas opté pour la censure directe de Facebook, mais la diminution du débit confirme l’embarras généré par la liberté de ce site.
Devant un tel succès, il n’est pas étonnant de voir des personnes publiques dont des hommes politiques, des artistes, des stars du cinéma et autres se précipiter pour ouvrir leurs propres pages.
Ces hommes et femmes de la sphère politique ou artistique espèrent, par ce biais, toucher le plus de fans pour plus de popularité et un maximum de publicité.
Meziane Djaout* à InfoSoir
«Ces médias sont la future société de demain»
InfoSoir : Comment expliquez vous le phénomène Facebook ?
M. Djaout : Facebook tout comme Twitter ou d'autres plateformes de réseautage social permettent de recréer une société sur la Toile. On peut connaître de nouveaux individus et partager des points d'intérêt avec eux, tout comme on le ferait au sein d'un petit village. Avec l'avantage de se sentir plus ou moins en sécurité, puisque les personnes ne sont pas directement confrontées à leurs contacts. Le temps de mieux les connaître avant de révéler son identité pour les internautes anonymes. Ajoutez à cela une omniprésence auprès de ses amis grâce aux notifications instantanées et la capacité d'intervenir de n'importe quelle borne Internet. La vie est à portée d’un clic de souris et l'être humain acquiert des qualités quasi divines. Facebook obéit ainsi aux règles d'évolution des communautés d'antan et les phénomènes d'acculturation s'y afférents. Ces médias sont la société de demain grâce au temps important que les internautes y consacrent, car tout est question de temps.
La société qui a subi la dislocation liée au changement de la vie sociale faisant passer les individus d'une vie tribale vers la grande famille, avant de se retrouver aujourd'hui au stade de la famille recomposée, reconstitue ses liens sur la Toile. Des mouvements se constituent et interagissent avant de se retrouver dans la vie quotidienne et mener des changements sociaux dans leur vécu physique.
Comment voyez-vous l’avenir de cet espace de communication ? Est-il en phase de supplanter les traditionnels moyens d’information ?
Les grandes agences et titres de presse ont su se redéployer. On voit de plus en plus de conglomérats de la presse se constituer et s'ouvrir sur le monde du web. Des chaînes d'information qui font intervenir des citoyens de part et d'autre de la planète en tant qu'analyste et témoin de la situation dans leurs pays via leurs webcams. Des pages Facebook pour débattre et des fils Twitter partagés par des agences de presse et des journalistes indépendants. Sans oublier le fil des anciennes agences de presse pour du Feed Twitter ou Facebook. Chose inimaginable, il y a de cela quelques années.
La solution la plus plausible actuellement pour les médias classiques est de se redéployer sur le web, mais en tant qu'agrégateur d'informations. L’objectif est de constituer des réseaux de traitement de l'information avec les faiseurs des événements, les leaders d'opinion, les journalistes indépendants et, pourquoi pas, des concurrents déjà existants. C’est le modèle collaboratif. Un vieux technicien vous aurait dit que c'est un modèle à briques applicatives. Il s’agit d’investir dans l'extension du réseau et la circulation de l'information afin qu'elle puisse être traitée à tous les niveaux. Une fois récupérée telle qu'elle, elle épousera la ligne éditoriale de l’organe traitant, car il n'y a pas de place pour la simple information, qui est déjà véhiculée sur le web de manière simple. C’est son analyse et son traitement qui en fera une opinion. Telle est la valeur ajoutée réelle du journalisme.
*Spécialiste en communication
à l’université Mohamed-Bouguera à Boumerdès
Sofiane Kerkouche* à InfoSoir - «3 000 membres en une semaine»
Les jeunes Algériens ne sont pas en reste. Ils s’organisent, se regroupent et communiquent via ce moyen moderne.
InfoSoir : Comment vous est venue l’idée de lancer un groupe sur Facebook ?
M. Kerkouche : C’est lors de l’élection présidentielle iranienne que nous avons découvert l’importance des réseaux sociaux. Nous avons vu comment les partisans d’El-Moussaoui ont utilisé ces nouvelles technologies pour sortir de la censure imposée par les mollahs. Des images de violence insupportables ont circulé en boucle sur les chaînes satellitaires grâce à Facebook et Twitter. Le régime iranien incarné par Ahmadinejad a reculé suite à cette offensive des internautes. C’est grâce à cette expérience que l’opinion publique s’est rendu compte de la capacité d’influence de ce moyen de communication. C’est là que m’est venue l’idée d’intervenir dans ce réseau social. Avant de lancer ce groupe, j’ai créé mon propre profil, ensuite j’ai repris contact avec des amis que j’avais perdus de vue depuis des années, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Au lendemain des événements qui ont secoué récemment le pays, l’idée de traduire ces revendications m’a effleuré l’esprit avec d’autres jeunes qui avaient les mêmes soucis. Ainsi, notre page de groupe a été aussitôt mise en ligne. Et en une semaine nous avons enregistré 3 000 membres. Les facebookeurs savent que c’est un exploit.
Quels sont les sujets qui sont les plus abordés dans ce groupe ?
Les sujets abordés par «Khawa Khawa» sont d’ordre social, culturel et politique. Nous ne pouvons rester indifférents à la situation du pays. Nombre de mes amis ont tenté la harga, les uns ont réussi et d’autres non. Des thèmes de ce genre sont fréquents. Mais, lorsque le phénomène des immolations a pris de l’ampleur, d’autres discussions se sont imposées. Et on a compris qu’il fallait réagir, se prendre en charge... Et c’est ce que nous faisons dans ce groupe.
Les jeunes dans leur majorité interviennent pour parler de l’espoir qu’a suscité cette dynamique du changement tout en gardant le cap sur les valeurs démocratiques que nos aînés nous ont léguées.
Quel est le rôle de Facebook dans cette dynamique de changement dans le monde arabe ?
Le rôle de Facebook est de rassembler, regrouper, informer et partager. Grâce à cet outil, l’on arrive à toucher beaucoup de monde. Il est vrai que pour le moment, nous sommes loin d’égaler les médias lourds, mais à cette cadence, Facebook ne tardera pas à devenir le premier média. L’avantage avec cet outil, c’est cette absence totale de censure et la liberté qu’il offre aux internautes. Nous l’utilisons pour faire avancer les causes justes dans un environnement où les médias lourds ne sont que des organes de propagande.
*Fondateur du groupe «Khawa Khawa» sur Facebook
Facebook et la liberté inespérée
En attendant une réelle ouverture médiatique dans le monde arabe, Facebook reste l’outil principal de communication. Ce vent révolutionnaire a mis en avant la puissance de cet outil d'un nouveau genre, en termes de circulation de l’information et de mobilisation. Cela nous renvoie, selon le professeur Djaout, au «lancement du projet des InfoHighway qui permet aux citoyens d'accéder à chaque porte de l'administration américaine». Un décloisonnement de l'information qui «offre aux idées nouvelles la possibilité de parvenir à chaque personne qui utilise le web», explique notre spécialiste tout en indiquant que les moyens d'analyse que proposent ces réseaux via les forums, groupes de discussion, publications de presse et encyclopédie en ligne, ont permis d'alphabétiser les gens au sens social et politique. Ce qui a ouvert la voie à l’approfondissement de leurs propres analyses de situation, selon le Pr Djaout. En somme, «ces outils sont les nouvelles plateformes de la construction de la personnalité et de l'identité des individus via un partage universel de la connaissance», résume-t-il. Grâce à cette nouvelle technologie, «le citoyen recouvre une partie de son autonomie ou de sa liberté confisquées par l’hégémonie de la presse soumise à une ligne rédactionnelle stricte», dit-il. «Ne croyant plus en les envoyés spéciaux de cette même presse, les internautes se rabattent sur les témoignages et les écrits des concernés eux-mêmes, via les images diffusées à travers ces réseaux.
Le témoignage d'un jeune homme ou d'une jeune femme, postant un tweet ou partageant une vidéo sur Facebook ou Youtube de la place Tahrir en Egypte ou de Benghazi en Tunisie est bien plus puissant qu’un écrit journalistique ou un reportage sur une chaîne satellitaire», poursuit ce spécialiste en communication. Et pour cause, «l'événement n'est pas commenté ou analysé par une tierce personne. Il est raconté et vécu par le faiseur de l'événement lui-même», argumente le Pr Djaout.
Que reste-t-il aux médias ?
Pour une démarche collective, le groupe «Khawa Khawa» dit qu’il ne pouvait pas espérer mieux. «Outre sa disponibilité, Facebook nous convient pour sa liberté de ton», affirme-t-il. L’argument avancé est qu’en l’espace d’une semaine le groupe a reçu plus d’un millier d’adhésions, et ce, grâce à son système de partage. Il reconnaît, toutefois, que tous les moyens et voix sont utiles pour transmettre un message. Pour «Khawa Khawa», le maintien des systèmes totalitaires dans le monde arabe repose sur la pauvreté et l’ignorance. Et «pour que cette situation perdure, tous les organes d’information ont été transformés en instruments de propagande», d’où l’importance d’existence de différents moyens de communication.
Le groupe espère atteindre la première dizaine de millier de membres dans un mois. Il regrette, à ce titre, l’indisponibilité d’autres moyens, à l’image d’un studio pour alimenter leurs pages. Ce qui accélérerait le processus de changement, selon Sofiane Kerkouche, animateur du groupe. Le rôle qu’a joué ce site dans les révolutions tunisienne et égyptienne est un exemple édifiant, de l’avis de ce facebookeur. «Si le pouvoir policier tunisien et le pouvoir militaire égyptien ont ciblé Facebook, en premier, en réponse à la protestation populaire, c’est une preuve de la force que constitue ce réseau social». Et d’ajouter en évoquant l’Algérie que «le nombre d’inscrits dans ces pays est beaucoup plus important que chez nous». Il se dit néanmoins optimiste devant l’ampleur que tend à prendre ce site dans notre société. «Nous avoisinons le million d’inscrits sur ce réseau qui devient de plus en plus puissant. Ce qui laisse à supposer qu’il peut sérieusement déstabiliser les tenants du pouvoir en Algérie.»
Source Infosoir Assia Boucetta
Le Pèlerin