Pyrénées inspiratrices
George Sand
Alfred de Vigny
Beaudelaire
Les Pyrénées ont toujours eu une vocation inspiratrice, mais ce n'est que lorsque la montagne bouleversera les âmes sensibles qu'elles deviendront véritablement source d'inspiration littéraire et artistique.
Avec le XIXème siècle, la vague romantique déferle sur les Pyrénées. Vigny est le premier grand romantique à venir y séjourner de 1823 à 1825 :
Ô montagnes d'azur !
Ô pays adoré! Rocs de la Frazona, Cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées...
En 1825, c'est le plus exaltant, le plus pathétique et le plus chaste roman d'amour qu'aient jamais connu les Pyrénées, que vont vivre George Sand et Aurélien de Sèze. Nous le découvrons dans Lavinia, dont l'action se situe à Saint-Sauveur, là même où Aurélien a dansé avec elle, Aurore, « un soir où éclate l'orage qui, dans ce pays frénétique, rapproche les cœurs émus de passion et jette de grandes plaintes aiguës et traînantes comme des sanglots ».
« Avez-vous remarqué, demande Lavinia, que dans le brusque passage des ténèbres à la lumière et de la lumière aux ténèbres, tout semblait se mouvoir, s'agiter, comme si les monts s'ébranlaient pour s'écrouler ? » Et Aurélien, subjugué, de répondre : « Je ne vois rien ici que vous, Lavinia... »
Baudelaire, jeune bachelier, se voit offrir en récompense de son succès un voyage aux Pyrénées en 1838. Inspiré sans doute par la vision du lac de Gaube un soir d'orage, il écrit l'un de ses premiers poèmes, « Incompatibilité » :
Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par-delà les coteaux,
Par-delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,
On rencontre un lac sombre encaissé dans l'abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux;
L'eau nuit et jour y dort dans un repos sublime
Et n'interrompt jamais son silence orageux
On retrouve dans Les Fleurs du Mal une image-souvenir de son voyage aux Pyrénées :
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées...
Il n'a pas oublié les Pyrénées lorsqu'il écrit encore : « Je regrette ces grands lacs qui représentent l'immobilité dans le désespoir, les immenses montagnes, escaliers de la planète vers le ciel... »
Flaubert passe son baccalauréat en 1840 et part aussitôt pour les Pyrénées. « Où est mon rivage de Fontarabie où le sable est d'or, où la mer est bleue... », écrit-il plus tard avec un brin de nostalgie.
Chateaubriand, venu à Cauterets en 1829, traduira dans les Mémoires d'outre-tombe la déception que lui causa l'amour impossible avec la jeune Occitanienne de 25 ans : « Inspirer une sorte d'attachement à mon âge me semblait une véritable dérision. J'ai laissé s'effacer les impressions fugitives de ma Clémence Isaure et la brise de la montagne a bientôt emporté ce caprice d'une fleur... »
Le premier voyage de Victor Hugo aux Pyrénées date de 1811. Il est encore enfant et c'est un des souvenirs les plus heureux de sa jeunesse, son premier amour, « un de ces amours d'enfant qui sont de l'amour comme l'aube est du soleil ». Revenu en 1843 en « escapade amoureuse » avec Juliette Drouet, il écrit l'essentiel d'Alpes et Pyrénées qui ne paraîtra qu'en 1890, lofait une peinture colorée de Biarritz, « village blanc à toits roux et à contrevents verts posés sur des croupes de gazon et de bruyère dont il suit les ondulations. » II décrit l'aube naissante aux environs de Cauterets : « Le ciel était étoile ; mais quel ciel et quelles étoiles ! Vous savez, cette fraîcheur, cette grâce, cette transparence mélancolique et inexprimable du matin, les étoiles claires sur le ciel blanc, une voûte de cristal semée de diamants... » Dans Toute la Lyre, il évoque le brouillard du petit matin :
Le matin, les vapeurs, en blanches mousselines,
Montent en même temps, à travers les grands bois,
De tous les ravins noirs, de toutes les collines,
De tous les sommets à la fois.
Enfin, dans Jour des Rois, il assiste au lever du soleil dans le cadre majestueux des montagnes du Guypuzcoa : L'aube sur les grands monts se leva frémissante.... Les Pyrénées ont inspiré sans aucun doute à Victor Hugo quelques-unes de ses plus belles pages.
Les Pyrénées continuent à attirer les poètes, provoquant chez certains la révélation de leur génie, déclenchant chez d'autres de véritables vocations.
Tennyson vient d'outre-manche écouter la chanson mélancolique du gave de Cauterets lorsqu'il se glisse entre les rochers.
Moréas vient en 1882 à Luchon où il écrit ses premiers poèmes inspirés par la beauté des paysages qui l'entourent, en particulier la Garonne au val d'Aran :
Au milieu des roches que la vallée couronne,
Gigantesque reptile, serpente la Garonne...
Rostand chante sa « petite patrie d'adoption » :
Luchon, ville des eaux courantes
Où mon enfance avait son toit,
L'amour des choses transparentes
Me vient évidemment de toi.
Et son amour des Pyrénées :
Pourquoi suis-je, ô mes Pyrénées,
Attiré sans cesse vers vous,
Et, riantes ou ravinées,
Qu avez-vous pour moi de si doux?
Paul-Jean Toulet n'oubliera jamais sa terre natale paloise. « Aérien berceau de mes premiers rêves, azur, et vous dimanches du Béarn, qui, des gaves à la montagne sonnez vêpres dans un ciel d'or... D'ici, lorsque le regard s'incline vers les eaux on a lé soleil sur la tête, et Gélos riante à ses pieds, où fleurissent les chemins de la Vallée Heureuse... Que je vous ai aimée, heure trouble où les Pyrénées semblent d'hyacinthes sous le ciel enflammé et se rapprochent étrangement entre les arbres, beaux crépuscules de la Basse Plante où, de loin, apparaît, clair comme une fleur, dans le soir qui tombe, le corsage de la petite amie. »
Francis Jammes, né à Tournay, n'a jamais voulu quitter « l'ombre bleue de ses montagnes ». Il observe avec une attention délicate » le gravissement blanc du troupeau vers l'aurore « et salue chaleureusement le berger d'estive.
Indépendamment des écrivains et des poètes, de nombreux artistes, dessinateurs, peintres ou musiciens sont venus chercher leur inspiration dans les Pyrénées tant il est vrai que la nature est « source intarissable d'inspiration ».
Ne serait-ce que par le choix de son pseudonyme, le dessinateur Gavarni est vite amoureux de la chaîne « vaporeuse et bleuâtre » qu'il parcourt de 1825 à 1828. « Aucun pays ne m'a causé autant d'effet », écrit-il dans son Journal. Le souvenir des Pyrénées persistera d'ailleurs dans toutes ses œuvres.
Dans les illustrations de Gustave Doré, qui n'a que vingt et un an lorsque paraît en 1855 le Voyage aux eaux des Pyrénées de Taine, « le gigantesque le dispute au tumultueux » et l'influence pyrénéenne se traduit par des évocations vertigineuses où l'imagination est reine.
Le compositeur Rossini passé six mois à Barèges en 1832 et reste littéralement fasciné par le pic du Midi qu'ilne; pourra gravir pour des raisons de paresse et de fort abdomen.
Gabriel Fauré passe l’été 1877 dans les Pyrénées et s'éprend de Marianne Viardot, fille de la célèbre cantatrice, qu'il ne pourra épouser, Gabriel aimant Marianne plus qu'il n'en est aimé. Dix ans plus tard, il composera son Requiem « à la mémoire inoubliée de la fiancée de cet été pyrénéen rempli de lumière et d'harmonie ».
Le peintre Théodore Rousseau arrive aux Pyrénées en 1844 et réalise quelques tableaux avec d'imposantes montagnes en toile de fond. Corot se rend au Pays basque en 1871 tandis que Manet vient cette même année à Oloron dessiner et peindre des maisons au bord du gave.
En 1905, Matisse et Derain passent l'été à Collioure. Ils accentuent les effets de la lumière, et même l'ombre, qu'ils voient bleue ou verte, devient pour eux « tout un monde de clarté et de luminosité ». Les Pyrénées, tour à tour rosés, jaunes ou bleues, sont souvent présentes dans leurs toiles.
Picasso, à 25 ans, passe l'été 1906 à Gosol, petit village des Pyrénées espagnoles, situé entre Seo de Urgel et Ripoll. Il y dessine des montagnards et peint des femmes nues en train de se coiffer, dont il s'inspirera par la suite. Vers 1911, Céret devient « le Barbizon du cubisme » avec Braque et Picasso d'abord, puis Juan Gris en 1913 et enfin Auguste Herbin un peu plus tard.
C’est bien aux Pyrénées, écrit Henry Russell, qu'iront toujours les sourires des artistes et les cœurs des poètes. » II faut croire, en effet, qu'elles ont quelque chose d'exceptionnel et de magique, ces Pyrénées, pour qu'à travers les siècles, elles aient inspiré tant d'écrivains, de poètes, de peintres, de musiciens et d'artistes qui les ont aimées d'amour comme on aime une femme.
Source autrefois Les Pyrénées
Fin
Le Pèlerin