Chili : sorti de la mine, sa femme et sa maîtresse se le disputent
Le retour à la surface de Yonni Barrios a mis fin mercredi à l'un des plus grands suspenses entourant la sortie des 33 mineurs, depuis que sa femme et son amante se sont battues pour ses beaux yeux sur le camp Espoir, au bord de la mine San José.
C'est finalement la maîtresse, Susana Valenzuela, qui est venu accueillir cet électricien de 50 ans, 21e mineur à retrouver l'air libre après une ascension de 622 m dans une étroite nacelle de secours.
Susana Valenzuela et Marta Salinas, l'épouse légale de Barrios depuis 28 ans, en étaient venus aux poings il y a des semaines, car elles affirmaient toutes les deux être la véritable compagne du mineur.
Au final, Marta Salinas a décliné l'invitation de Barrios a venir assister aux côtés de Susana Valenzuela à la fin de son calvaire souterrain de 69 jours, rapportent les médias chiliens.
Selon eux, Barrio et Marta Salinas sont toujours techniquement mari et femme, mais ils sont séparés depuis des années et le mineur vit en couple avec Susana Valenzuela.
"Je suis heureuse qu'il aille bien, c'est un miracle de Dieu. Mais je ne vais pas regarder le sauvetage. Il m'a demandé, mais il semble qu'il a demandé aussi à l'autre dame et j'ai ma dignité. Une chose est claire: c'est elle ou moi", a déclaré l'épouse au quotidien El Espectador.
Barrios a servi d'infirmier sous terre car il avait des rudiments de connaissances médicales.
L'angoisse des familles à l'idée d'un retour des 33 à la mine
Un mineur lors des opérations de secours dans la mine de San José le 27 août 2010 à Copiapo Ariel Marinkovic
Le cauchemar est terminé pour les familles des mineurs libérés après 69 jours sous terre au Chili, mais beaucoup angoissent déjà à l'idée d'un retour, sans doute inéluctable, des "33" à la mine.
"Comme père, je leur dirais de changer de travail, qu'ils ne travaillent plus à la mine. Mais c'est eux qui vont décider et s'ils décident de continuer à travailler à la mine, peut-être que je ne dormirai pas bien à cause de ce qui s'est passé," avoue Alfonso Avalos, père de Florencio et Renan Avalos, deux des mineurs secourus mercredi après 69 jours passés à plus de 600 m sous terre.
Dans ce secteur où la sécurité dépend souvent de la taille de la mine, "le mineur ne sait jamais s'il va rentrer chez lui", résumait Jimmy Cardona, parent d'un des mineurs, au lendemain de l'éboulement qui les a piégés le 5 août.
Mais pour les "33", l'avenir est incertain. Huit ont plus de 50 ans, le groupe San Esteban gérant la mine San Jose est au bord de la faillite et ils ont pour seule garantie de toucher leurs arriérés de salaire de septembre et un solde de tout compte, après l'intervention de l'Etat, qui avait fait geler les biens du groupe.
Ils pourraient également toucher des indemnités en justice, puisque leurs familles réclament 12 millions de dollars (8,7 millions d'euros) de compensation aux propriétaires de la mine. Ils vont aussi toucher 2.000 dollars chacun (1.450 euros) d'un entrepreneur anonyme et 10.000 dollars d'un millionnaire excentrique, Leonardo Farkas.
Mais même avec d'éventuels droits d'auteur sur les projets de films ou de livres sur leur épopée, la plupart n'ont pas de quoi prendre leur retraite, surtout les plus jeunes. Et la seule proposition de travail concrète qu'ils ont reçue jusqu'à présent est celle de travailler dans une des mines de Farkas dans la région de Copiapo (nord), où se trouve le site de San José.
Certains ont déjà dit à leurs proches qu'ils pensaient retourner à la mine, où les salaires relativement élevés (1.000 dollars par mois à San José, soit trois fois le salaire minimum) compensent en partie les risques encourus. "Il m'a dit +je suis mineur et je vais mourir mineur+", raconte Silvia Segovia, soeur de Victor Segovia, qui aimerait pourtant que son frère "ne retourne jamais à la mine".
D'autres n'ont pas encore arrêté leur décision, mais leurs familles souhaiteraient aussi qu'ils changent de profession.
"Moi je ne veux plus qu'il travaille à la mine, j'ai peur car les mines souterraines ne sont pas sûres, aucun travail n'est sûr mais généralement les mines souterraines sont très compliquées, un éboulement, une avalanche... Et moi je dis que c'est bon, on a assez souffert", explique Omar Reygadas, fils d'un autre des 33, Omar Reygadas.
Après l'éboulement survenu au fond de la mine de cuivre et d'or de San José le 5 août, leurs proches sont en effet restés 17 jours sans nouvelles des "33". Certains proches, eux-mêmes mineurs, ont cependant parfois un discours différent.
"Je n'ai pas peur", assure Alejandro Contreras, demi-frère de Victor Zamora et mécanicien dans une mine. "Il peut mourir à la mine, mais il peut aussi mourir en dehors. Chacun doit faire ce qu'il lui plaît", relativise aussi son autre demi-frère Cristian Contreras, mineur lui aussi.
Le sauvetage des mineurs chiliens a captivé le monde entier
Des journalistes sur le site de la mine de San José, le 12 octobre 2010
La remontée à l'air libre des mineurs chiliens a été suivie mercredi minute par minute par des millions de personnes à travers le monde, l'événement suscitant un immense intérêt humain et bénéficiant d'une couverture médiatique sans précédent.
La sortie, avant l'aube mercredi matin, dans l'air froid du désert d'Atacama, de Florencio Avalos, premier des 33 mineurs à sortir après avoir été bloqué depuis 69 jours à plus de 600 mètres sous terre, a été retransmise en direct sur les grands réseaux dans le monde.
Le sauvetage des mineurs chiliens était à la Une de toute la presse américaine mercredi, le New York Times et le Washington Post ayant semble-t-il retardé leur heure de bouclage pour publier des photos du premier rescapé.
Les opérations de secours ont été suivies en continu notamment par CNN international, BBC World, Sky News en Grande-Bretagne, iTele et BFM en France, Euronews en Europe, et les principales chaînes japonaises.
"Je devais prendre ma journée et je prévoyais de rattraper des lectures en retard mais je suis resté scotché à mon écran d'ordinateur pour suivre en direct les opérations de secours", a déclaré Tetsuro Umeji, professeur d'anglais à Kudamatsu, au Japon, cité par la BBC.
"C'est absolument incroyable! Félicitations au Chili! Je croise les doigts jusqu'à ce que le dernier des 33 mineurs soit sorti!", a-t-il ajouté.
A Washington, le président Barack Obama a assuré avoir été captivé lui aussi par l'aventure de ces 33 hommes, qui ont établi un nouveau record de survie sous terre.
"Nos pensées et nos prières vont aux courageux mineurs, leurs familles ainsi qu'aux hommes et aux femmes qui ont travaillé dur pour les sauver", a-t-il dit dans un communiqué diffusé par la Maison blanche.
Dans le monde hispanique, le sauvetage des mineurs a totalement dominé les journaux d'information diffusés sur les radios et télévisions et les sites internet.
L'agence de presse et la télévision publique de la République populaire de Chine étaient également sur place tandis que les portails d'information sur internet Sohu et Sina diffusaient des pages spéciales avec tous les détails sur les opérations de sauvetage.
Des internautes ont cependant réagi avec amertume en Chine, où les mines sont considérées comme les plus dangereuses au monde. "Bienheureux ceux qui sont nés au Chili. S'il s'était agi de nous, sans aucun doute nous serions morts enterrés vivants", estimait un contributeur sur sohu.com.
"L'opération de secours au Chili a humilié la Chine. Il suffit de considérer le nombre de mineurs chinois tués dans les catastrophes minières", jugeait un autre internaute dans un message en ligne.
Partout en Asie du Sud-Est, à Singapour, en Corée du Sud, en Thaïlande ou au Vietnam, la nouvelle de la libération des premiers mineurs a été accueillie avec enthousiasme.
En Australie, les opérations ont été également suivies en continu par les stations de radio, les chaînes de télévision et les sites web.
Au Qatar, la chaîne satellitaire en anglais Al-Jazira avait un correspondant sur place qui détaillait les dernières opérations sur la plate-forme mondiale de microblogs Twitter.
Le président vénézuélien Hugo Chavez a également utilisé Twitter pour exprimer sa satisfaction et saluer les mineurs et leurs sauveteurs. "Nous sommes avec le Chili! Que Dieu soit avec vous!", a-t-il écrit.
En Autriche et aux Pays-Bas, le sauvetage des mineurs chiliens fait la Une de la plupart des grands journaux. La télévision autrichienne y a consacré une émission spéciale avec un suivi en direct des opérations, ce qui est rare pour des événements à l'étranger.
Sur le site de la mine de San José, les autorités se sont trouvées à court de badges à distribuer aux médias et ont dû se résoudre à donner des cartes d'accréditation écrites à la main aux journalistes qui ont afflué de très nombreux pays.
Les mineurs sortent renforcés ou fragilisés, mais changés à jamais
Un sauveteur en conversation vidéo avec les mineurs le 4 septembre 2010 à Copiapo
Après l'épreuve de 68 jours confinés à 700 m sous terre, dont 17 jours livrés à eux-mêmes, les 33 mineurs de la mine chilienne de San Jose vont émerger plus forts pour certains, plus fragiles pour d'autres, mais changés à jamais, estiment les psychologues.
Et le suivi psychologique qui leur sera offert par les autorités, pendant six mois au moins, sera à la merci de toutes sortes d'interférences, entre proches, médias, et célébrité nouvelle, sans doute éphémère.
"Leur vie d'+avant+ est déjà finie", affirme Enrique Chia, psychologue de l'Université catholique du Chili, pour qui les mineurs seront confrontés à un grand défi de réadaptation dans une période post-traumatique "pleine de risques".
"Quand on te change soudainement toutes les conditions de vie, il faut se réadapter et découvrir des aptitudes qui t'aident" à faire face.
"Une personne qui a été placée face à la mort a réfléchi à sa situation personnelle (...) à ce qu'elle a fait de sa vie et ce qu'elle n'a pas fait, et en cela aussi il faut les accompagner", souligne Margarita Loubat, psychologue de l'Université du Chili.
Les 33 mineurs ont remarquablement géré leur calvaire jusqu'à la délivrance, aux premières heures de mercredi pour les premiers d'entre eux.
Les risques de lésions oculaires au contact de la lumière de soleil, les problèmes cutanés, les maux de dents, sont identifiés et seront suivis. Les premiers mineurs libérés ont été hospitalisés dès leur sortie, pour 48 heures d'examens médicaux approfondis.
Ces étapes ont été "convenues avec eux, ce n'est pas un caprice", a assuré le ministre de la Santé Jaime Manalich.
"Certains d'entre eux pourraient dire: je me sens si bien que je veux rentrer dans ma famille", mais ce refus "hypothèquerait tout le dispositif légal de protection, d'invalidité, de pension, auquel ils ont droit".
Et le gouvernement ne saurait abandonner des hommes devenus des héros nationaux. Il leur offrira "un appui pyschologique professionnel minimum de six mois, pendant lesquels ils pourraient avoir des moments de tristesse, de dépression", a précisé le ministre. Le stress post-traumatique "peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois", rappelle-t-il.
La "partie la plus compliquée" à gérer sera sans doute l'extérieur, estime M. Chia. "La famille, leur routine, la réalité nationale, tout aura changé".
Des experts de la NASA, venus en septembre conseiller les opérations ont mis en garde contre les effets "de leur forte notoriété dans le pays, de la pression des médias et de la société".
"Les médias vont les oppresser. Nombre d'entre eux se verront bombardés d'offres de télévision, pourraient même y faire carrière. Mais cela va durer quelques mois, d'ici mars ce sera un souvenir", estime René Rios, sociologue de l'Université Catholique. "S'il vous plait, ne nous traitez pas comme des artistes", demandait mercredi à sa sortie Mario Sepulveda, deuxième mineur secouru, mais premier à s'exprimer dans un bref monologue diffusé par la télévision publique.
Pour Enrique Chia, "ils vont réaliser que la célébrité est limitée, qu'il faut capitaliser, puis commencer un nouveau projet de vie". Or une expérience comme la leur "peut te renforcer ou t'affaiblir, mais ne te laisse jamais le même". D'où un risque de refuge dans les médicaments, l'alcool.
Et comme s'ils sentaient les périls au dehors, les 33 exprimaient dans leurs derniers jours de confinement une "grande préoccupation: rester unis, alors qu'ils viennent de zones différentes du Chili. Ils veulent rester unis après le sauvetage", expliquait Alejandro Pino, membre de l'équipe de suivi.
Source La Dépêche du Midi
Le Pèlerin