La Croix occitane
Les Chemins orientaux des Croisés de Toulouse
La Croix occitane
Mais qui sait d’où elle vient, et ce quelle représente ? Et puis pourquoi fascine-t-lle autant de gens ?
Et oui, il faut le dire, avant que la croisade ne leur retombe sur le nez, les comptes de Toulouse avaient eux aussi porté le fer contre d'autres Infidèles, de l'autre côté de la Méditerranée. À force de culpabiliser, les Européens en oublieraient presque les raisons pour lesquelles ils s'étaient transportés par milliers en Terre Sainte. Délivrer le tombeau du Christ, telle était leur mission.
On a du mal à se représenter l'importance du divin pour des hommes du XIe siècle.
Le Dieu créateur de toutes choses observe l'humanité et chacune de ses brebis, jugeant des faits et gestes de chacun avant le tribunal de l'Au-delà. On croit au Diable, à la sorcellerie, mais aussi et surtout à la justice divine qui palliera la cruauté de l'injustice humaine. Les hérétiques sont des suppôts de Satan, les mécréants sont voués aux flammes de l'Enfer éternel, et justement, les Sarrasins sont des mécréants. Passe encore qu'ils aient conquis tout le Maghreb en passant au fil du cimeterre la plupart des communautés chrétiennes.
Passe aussi que les Arabes aient conquis toute l'Espagne, puisque arrêtés dans leur course aux alentours de Poitiers, ils sont restés sur l'autre versant des Pyrénées.
Entre le VIIIe et le XIe siècle, les plaies ont eu le temps de s'apaiser, et une paix relative a fini par s'instaurer.
Mais que les musulmans rompent la trêve, en empêchant le pèlerinage chrétien de Jérusalem, là...
A Chacun Sa Croix
C’est au temps de Constantin le Grand, à la fin du IIIe siècle après Jésus-Christ, que les pèlerinages vers les Lieux saints de la chrétienté ont commencé.
Partir pour Jérusalem, c'était un rite de pénitence pour s'assurer le salut éternel ; on peut faire, sans se tromper de beaucoup, un parallèle avec le pèlerinage de la Mecque pour les musulmans.
Les chrétiens du XIe siècle voyageaient donc en nombre vers Jérusalem, ville ouverte malgré la domination arabe sur la Palestine depuis 639.
« Il se mit à affluer de tout l'univers vers le Sépulcre du Sauveur à Jérusalem une foule innombrable, telle que personne n'eût pu le prévoir auparavant, commente le moine Raoul Glaber, dans sa chronique datée de 1044. Ce fut d'abord la classe inférieure du peuple, puis des gens de condition moyenne, ensuite de très grands personnages, rois et comtes, marquis et prélats, finalement, ce qui n'était jamais arrivé, ce furent de nombreuses femmes, des nobles avec d'autres plus pauvres qui s'y rendirent. Beaucoup de pèlerins avaient dans l'esprit le désir de mourir avant de rentrer chez eux.»
Et ça, les nouveaux conquérants de Jérusalem, les Turcs Seldjoukides n'en veulent à aucun prix. Ou plutôt si, un prix très cher. Il commencent par infliger de très lourdes taxes aux pèlerins, victimes aussi de nombreuses exactions, parfois réduits en esclavage. Informé des difficultés de plus en plus insurmontables du voyage, le pape français Urbain II prêche la première croisade depuis Clermont, en Auvergne : «... Il faut intervenir! C'est pourquoi je vous prie et je vous exhorte les pauvres comme les riches, de vous hâter vers cette vile engeance et d'apporter une aide opportune aux adorateurs du Christ...». L'enthousiasme fut immense, et toutes les provinces de France répondirent à l'appel. En signe de reconnaissance, chacun fit coudre une croix d'étoffe sur ses vêtements. Suivant Pierre l'Ermite, des dizaines de milliers de gens partirent ainsi sur la route de Jérusalem sans véritable équipement, massacrant au passage d'innocentes communautés juives ainsi que de nombreux chrétiens d'Orient. Les Turcs n'en firent qu'une bouchée. Aucun n'arriva à Jérusalem. Un an plus tard, la seconde vague de la croisade, celle des chevaliers, connut un tout autre succès. Godefroy de Bouillon prend la tête des Français du nord, des Lorrains et des Allemands, Hugues de Vermandois entraîne les Normands et les Français du centre, alors que Raymond IV de Saint-Gilles, comte de Toulouse, mène les Français du Midi. Au total 30 000 hommes qui vont reconquérir la ville au bout de deux ans, et s'implanter durablement dans la région.
Croix de bois
Est-ce au retour de la croisade que Raymond de Saint-Gilles prit la croix de Toulouse comme emblème, là est le mystère. Avec ses douze boules posées en cercle autour d'une croix bien particulière, l'insigne toulousain fait preuve d'une originalité qui pousse à lui chercher des ancêtres. Auteur d'un livre très abondamment documenté sur la question, Raymond Ginouillac n'apporte pas de solution. Son ouvrage rassemble toutes les thèses, ouvre de nouvelles pistes, accumule les surprises.
Quoi, la croix occitane en Chine ? Et bien oui, à Si-Ngan-Fou très précisément, sur une stèle chaldéenne. La Chaldée, Babylone, la Mésopotamie, les chrétiens irakiens ont longtemps poussé leur avantage spirituel dans les contrées lointaines, et on retrouve leurs croix en Mongolie, au Turkestan, en Chine et au Sri-Lanka. Des croix très ressemblantes ornaient les églises orientales dans la zone d'influence de Byzance. Byzance, c'est la Constantinople d'où les croisés franchissent la mer qui les mène à leurs nouvelles possessions orientales.
Pourquoi Raymond IV n'aurait-il pas trouvé plaisant de prendre ce modèle de croix pour emblème ? Parce que l'héraldique, la science des blasons, l'existait pas encore, rétorque Michel Pastoureau, directeur de l'École des Chartes et spécialiste incontesté de ces questions. Les blasons naissent sur les champs de bataille. La féodalité qui se met en place est basée sur des principes chevaleresques de fidélité inaltérables entre le vassal et le seigneur. Le vassal offre ses services à son suzerain, lequel en échange lui assure sa protection et celle de ses autres vassaux. C'est au nom de ce principe de fidélité que le Comte de Toulouse rend hommage au Roi de France tout en conservant une relative indépendance, une indépendance partagée puisque les Comtes de Toulouse ont aussi beaucoup de mal à se faire obéir de leurs vassaux.
Au cours de la première croisade, c'est la pagaille. Problèmes de langues (déjà), problèmes de reconnaissance aussi, puisqu'avec les armures, on ne sait plus qui est qui. Quand le porte-étendard est tombé, comment savoir où on est. D'où l'idée de se reconnaître par couleurs, par motifs (un lion, un aigle, une tour...), facilement identifiables, cousus sur les tuniques ou peints sur les boucliers. Par la suite toutes ces « armoiries » obéiront à des codifications très précises. Si on n'est pas certain que Raymond de Saint-Gilles ait choisi cette croix, on connaît en revanche les armes de Godefroy de Bouillon et celle de Bouchard de Montlhèry. Pour Raymond IV, c'est donc envisageable. Cette croix se définit comme une « croix cléchée, vuidée et pommetée d'or », c'est-à-dire en forme de clef ancienne évidée, avec de petites boules à chaque extrémité, et le tout jaune ; on dit «d'or», mais c'est un joli nom pour désigner la couleur jaune. D'ailleurs la couleur dorée ne tranche pas avec les autres couleurs. Et l'important, c'est d'être reconnu de loin. Et désormais les comtes de Toulouse se reconnaîtront de loin. Jaune sur fond rouge, la croix se repère de loin. Ce qui conduit parfois à des erreurs funestes, comme cette ville qui, en pleine croisade des Albigeois, ouvre ses portes à la vue de la croix du Comte. Manque de chance, c'est son demi-frère, et lui est du côté des Croisés.
Comme les comtes de Toulouse sont aussi de la famille de seigneurs de Provence, et que la croix se retrouve aussi dans pas mal de cités proches du Rhône, il est aussi faisable qu'elle soit arrivée de ce côté-là. Ou bien d'Aragon, puisqu'on la trouve aussi là-bas. Et pourquoi pas pisane ?C'est vrai ça, la croix de Pise, c'est la même, blanche mais pas évidée. Et puis si c'était une croix copte ? Une croix nestorienne ?
La Croix occitane place du Capitole à Toulouse
Le livre de Raymond Ginouillac nous renvoie àtoutes les solutions possibles/
Sa conclusion :
Elle a un passé brillant ; elle est reliée à la renaissance de la culture d’Oc. Elle dépasse largement le cadre toulousain. C’est la croix de Vénasque, de Forcalqier, de Languedoc, etc…
Une croix omniprésente
La croix de Languedoc est-elle en passe de tout envahir ? On peut le croire tant ce symbole a pris de l'ampleur dans sa présence quotidienne. Longtemps représentative de la seule province du Languedoc, et à ce titre ringardisée, elle refait surface dans les années soixante-dix, portée a bout de bras par les militants « régionalistes » et « autonomistes occitans ». Qu'à cela ne tienne, puisque personne n'en a le monopole, le candidat Dominique Baudis s'en empare pour en faire son étendard de campagne. Il en fera plus tard le logo de la Mairie. Puis c'est la Région qui à son tour brandit la croix, elle aussi érigée en logo. Du coup, la région Languedoc-Roussillon est bien obligée de partager sa fameuse croix avec les couleurs de la Catalogne. Enfin, voilà qu'à leur tour, les commerçants, les artisans, les industries même se sentent obligés de la mettre quelque part dans leurs visuels. Jusqu'aux rues de Toulouse... Car si pendant des siècles la ville a eu un blason à elle, il semble que désormais ce soit celui des Comtes qui prévaut. Explication : autrefois, les armées arborent le blason de leurs seigneurs respectifs pour pouvoir
se reconnaître entre elles. Les nobles sont toujours à court d'argent. Il leur vient une idée : les villes peuvent s'affranchir de la tutelle trop pesante des féodaux moyennant impôt. Les villes qui s'embourgeoisent acceptent le marché. Chaque cité affranchie crée son propre blason et son propre sceau, pour bien montrer qu'elle est désormais libre. Ainsi depuis le Moyen âge, Toulouse porte un blason où la croix du comte figure en petit, mais en petit seulement, tenue par un agneau pascal, entre Saint-Sernin et le Château Narbonnais (qui tenait lieu de mairie avant le Capitole). Pendant des centaines d'années, cette marque des libertés communales a forgé inconsciemment l'appartenance toulousaine à la ville. Aussi peut-on trouver surprenant de voir que les nouveaux panneaux de rue de la Ville Rosé soient désormais frappés de la seule croix occitane, celle des Comtes...Retour de la féodalité ? À moins que cette croix solitaire ne soit celle de la Région Midi-Pyrénées, qui sait ? •
Les armoiries de Toulouse sont surmontées d'un « chef de France ancienne », une bande bleue semée de fleurs de lys jaunes. Ce « chef» était royalement accordé aux « bonnes villes de France », et donnait aux élites
La plus ancienne croix des Comtes à Toulouse est la clef de voûte de la cathédrale. Mais on la voit partout. Souvent on lui marche dessus sans demander pardon, comme au marché Victor Hugo (ci-contre) ou dans un hall d'entrée du Capitole.
Aux USA et en Angleterre Simon de Montfort est un héros.
Imaginez la stupeur des méridionaux visitant la Chambre des Représentants à Washington : là, parmi les 23 bas-reliefs des grands juristes ayant inspiré la démocratie américaine, le profil de Simon de Montfort ! Comment, que fait-il là, ce pourfendeur de Cathares, cet impitoyable chef de guerre ? Et bien figurez-vous que ce n'est pas lui, mais son fils. Le Simon de Montfort qui périt sous les murs de Toulouse était déjà le quatrième de sa lignée à porter ce prénom. Son fils Simon de Montfort V arrive en Angleterre en 1230 et se met sous la suzeraineté du roi Henri III. Passer d'un royaume à un autre était affaire courante. Devenu comte de Leicester et homme de confiance du roi, Simon de Montfort V se marie à la sœur du souverain, ce qui lui donne une très grande importance dans le royaume d'Angleterre. Dépêché en Aquitaine en 1248 pour y rétablir l'ordre britannique, il s'y montre d'une rare brutalité envers les sujets gascons. Dix ans plus tard, il prend la tête d'un complot visant à renverser le roi, lequel admet de partager le pouvoir avec quelques-uns de ses barons, dont Simon de Montfort, auquel ce status quo ne suffit pas. Il soulève la population de Londres, rallie nombre de barons et finit par gagner la bataille contre Henri III en 1264. Adulé des Anglais auquel il a promis beaucoup de réformes, il installe un parlement composé de nobles, de membres du clergé et, pour la première fois, de gens du peuple. Il édicté des lois, beaucoup de lois, et il ne se passe pas plus d'un an pour qu'un des ses anciens compagnons le trouve à son tour trop autoritaire. Ses amis le trahissent et rejoignent l'armée du Prince Edouard, fils d'Henri III. Simon de Montfort est battu quelques semaines plus tard. Son corps dépecé sera exposé longtemps à la vue du peuple pour lui rappeler ce qu'il en coûte aux manants de vouloir se révolter contre leur roi. Pour les Anglais, c'est un martyr de la liberté. Parmi les 23 médaillons de grands législateurs de la Chambre des Représentants, on trouve également Hammourabi, Soliman le Magnifique, Colbert, Jefferson, Napoléon... Mais figurent aussi deux autres noms qui fâcheront définitivement les Languedociens : Saint-Louis et le pape Innocent III...
Non, la croix occitane n'est pas cathare.
Pour Bertrand de la Farge, auteur d'un Petit précis de la Croix Occitane, la croix occitane ne peut pas être une croix « cathare ». Pourquoi ? Parce que les Cathares sont des iconoclastes, des briseurs d'images, comme le sont les musulmans et les protestants. Pour eux, toute symbolique est contraire à l'esprit chrétien du Dieu vrai. Surtout le crucifix. Adorer un instrument de torture, ils n'en veulent pas. On leur attribue également une croix ancrée (photo ci-dessus prise au Musée Paul Dupuy de Toulouse], mais là encore, on ne possède aucune preuve. Dans le Nouveau Testament cathare de la bibliothèque de Lyon, on trouve bien une croix dite pattée, très fréquente également dans l'église catholique. Mais c'est bien peu. Bertrand de La Farce est aussi président d'une association qui veut raviver le souvenir du martyre des Parfaits cathares : la Flamme Cathare (ça ne s'invente pas). L'association a écrit très officiellement au pape Jean-Paul II, en 1998, pour lui demander d'ajouter encore à sa repentance les bûchers dressés à Montségur et ailleurs contre les hérétiques. Le vieux souverain pontife n'a pas donné suite a ce Manifeste pour la réconciliation. Peut-être son successeur ? Cela n'est pas impossible, car l'Église l'a déjà fait pour le peuple juîf, lavé de l'accusation de déicide, pour les Protestants dans leur ensemble (quoique les torts aient été partagés), mais aussi pour les Frères Moraves, une église à contre-courant d'Europe centrale qui fut totalement éradiquée au XVIP siècle et dont le chef spirituel, Jean Hus, finit également brûlé vif. Les quelques rares survivants, car il y en eut, réussirent à s'implanter aux Etats-Unis, où ils ont pu prospérer. Très organisés, ils essaiment et comptent aujourd'hui environ 12 500 missionnaires de par le monde. Bien moins nombreux sont les croyants cathares, s'il en reste. On sait qu'après la disparition de Déodat Roche, considéré comme le « pape » du catharisme, nombre d'historiens ont entrepris d'extirper le vrai du faux de cette religion dont on sait en définitive assez peu de choses. Jean DUVERNOY, Michel ROQUEBERT mais aussi et surtout Anne Brenon travaillent sans relâche à la compréhension de cette foi très ésotérique. À la faveur d'une journée de printemps, allez donc faire une balade du côté du château de Roquefixade. Non loin de là vit Yves Maris, professeur de philosophie et qui plus est maire du village. Aux cathares, il voue une admiration sans borne. En témoigne son propre site Internet (www.chemins-cathares.eu) mais aussi le site le plus connu traitant de ce sujet (www.cathares.org), dans lesquels le philosophe se laisse aller à son penchant naturel, l'amour du verbe. En témoigne également son dernier livre écrit comme le journal d'une nouvelle initiée à la croyance cathare. Parcours initiatique certes* mais autrement plus intéressant que les facéties de Dan Brown. On comprend tellement mieux le catharisme, que, sans y adhérer, on imagine ce qu'aurait pu être une confrontation d'idées pacifiques entre croyants de l'une et l'autre religion, s'il n'y avait pas eu l'aveuglement et la haine d'un côté, les atermoiements et le fatalisme de l'autre.
Source Magazine Pyrénées
Le Pèlerin