L'Algérie des Uns, l'Algérie des Autres
Oubliant de composer avec le terrorisme résiduel et des thèses officielles sur le tout va bien. Comment leur expliquer qu'après dix-sept ans à mourir, on continue toujours de pourvoir les cimetières communaux. Il ne se passe pas un jour sans que l'Algérie d'en bas, celle que j'appelle des Autres, ne pleure un enfant, un père, un mari. Cette Algérie des Autres est peuplée d'obscurs sans grade, possédant une simple carte d'identité verte comme acquis social. Cette Algérie des Autres est celle des statistiques nationales sur les miséreux professionnels, les chômeurs invétérés, les malades chroniques, les fumeurs de joints, les adeptes du rouge et du Diaz, les racoleuses à mille balles, les sniffeurs de colle en couche-culotte, les squatteurs des buanderies et des caves. Cette Algérie des Autres habite les bidonvilles, l'arrière-pays, la face cachée de la lune, les abysses de l'océan, le côté cour, les dernières pages de l'histoire nationale, les terrains vagues, les décharges et les prisons de la République. Cette Algérie des Autres vote par procuration, mange une fois par jour, sort pour marcher, dort à tour de rôle, travaille à mi-temps, se fait virer le reste du temps et meurt par défaut. Cette Algérie des Autres se bouscule dans les transports publics, se promène les jours fériés, regarde la télé officielle en se marrant un grand coup, histoire de rendre la monnaie, consulte le cours du brut pour compter combien d'argent elle ne touchera jamais, solde les factures d'électricité en consommant les bougies, paye la vignette et le mécanicien du coin qui s'escrime sur les amortisseurs foutus d'avoir trop roulé sur les nids-de-poule et autres crevasses. Cette Algérie des Autres envoie ses enfants à la colonie, un jerrican à la main, l'autre main tendue pour la manche; lorgne sur l'Algérie des Uns, coupable de vol avec violence. Cette Algérie des Autres a pour capitale l'intérieur du pays, les douars, les zones enclavées, les dechras et ksars perdus sur la carte géographique et ses habitants ont pour patronymes lambda, quidam, ghachi... Cette Algérie des Autres n'est pas une invention d'un esprit fiévreux et revanchard, ni le fruit d'un cocktail de zetla et de zambreto mais, elle existe, malheureusement, coincée entre une propriété privée et un voisinage déplaisant.