Lettre ouverte aux chefs d'Etat de l'UPM (1/2)
Nous, responsables et citoyens des deux rives de la Méditerranée réunis à Paris, sous l'égide de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen, saluons la démarche d'Union pour la Méditerranée (UPM).
Enfin une approche à la mesure des défis de la mondialisation ! Les régions qui gagnent sont celles qui savent unir leur Nord et leur Sud : l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) en Amérique comme l'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean) + 3 en Asie orientale associent des pays du Nord, qui disposent de la technologie et des méthodes, à des pays émergents dont les marchés sont en pleine croissance.
En retard dans ce mouvement de régionalisation, la Méditerranée est à un tournant de son histoire. Elle fait face à quatre transitions : énergétique, climatique, démographique (vieillissement au Nord et fin de transition démographique au Sud) et politique (mise sur pied d'un nouveau contrat social au Nord, progrès de la démocratie au Sud). Nous avons trente ans pour, ensemble, réussir ce tournant. L'alternative est claire : nous unir ou nous marginaliser. L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare et se construit. Commençons. Maintenant.
Pour le moment, le bassin méditerranéen souffre de l'absence d'une perspective politique. En 1995 à Barcelone, les pays de l'UE et de la rive sud ont lancé un projet de partenariat euroméditerranéen ambitieux pour la coopération économique, la stabilisation politique et l'échange culturel. Ce partenariat existe. On peut construire sur les bases qu'il a jetées. Mais les réalisations sont insuffisantes, on piétine.
Or, sans vision de l'avenir qui ancre les deux rives de la Méditerranée, les investisseurs renâclent, les politiques publiques communes tardent, les risques s'amoncellent. Le retard s'accroît : celui de l'Europe sur les autres pôles leaders du globe ; celui des pays de la rive sud sur les pays émergents d'Asie ou d'Amérique. La stratégie méditerranéenne se brouille : l'Europe peut être tentée d'accorder ses priorités à d'autres horizons ; les pays du Sud peuvent lier leur sort à d'autres partenaires. Dans la compétition mondiale qui s'exacerbe, l'Europe et les pays du Sud de la Méditerranée ont un puissant intérêt commun : définir ensemble une stratégie de développement durable et se donner les moyens politiques de la réaliser.
Seule une forte impulsion politique permettra le succès durable de l'UPM. Un nouvel élan dans le rapprochement des deux rives ne saurait se résumer au simple voisinage ; l'UPM peut tracer un destin commun, bien au-delà d'une zone de libre-échange. Il s'agit d'une union, assumons cette ambition. L'UPM ne doit pas signifier la mort du processus de Barcelone mais au contraire son enrichissement. L'acquis d'Euromed est réel : la stabilisation macroéconomique, les réformes structurelles et la convergence institutionnelle entre les deux rives sont engagées. Il convient de faire passer ce processus à un nouveau stade.
Ce nouveau stade porte un nom : la parité entre le Nord et le Sud. Parité dans la vision, parité dans la préparation des projets, parité dans la prise de décisions, parité dans la gouvernance. Il est indispensable de rompre avec la perception des pays sud- méditerranéens selon laquelle l'Europe impose toujours ses vues.
Il sera nécessaire de rappeler aux populations européennes que leurs homologues du Sud ne revendiquent, dans le cadre de cette union, ni aide financière massive ni ouverture totale et immédiate des frontières. Rappeler aussi que ce qui menace l'Europe ce ne sont pas les pauvres, ce sont les humiliés, les exclus du droit et du développement. L'UPM n'est pas destinée à préparer l'adhésion des pays sud-méditerranéens à l'Union européenne. Elle n'est pas plus destinée à se substituer aux négociations d'adhésion entre la Commission européenne et la Turquie, ni aux négociations avec le Maroc et Israël pour un statut avancé.
L'UPM doit se faire entendre des populations du Sud. Au lieu d'apparaître comme une énième organisation multilatérale, elle doit prouver aux peuples qu'ils ont toute leur place dans le monde qui vient. Centrons l'UPM sur des projets concrets et utiles aux populations, mobilisant les acteurs de la société civile et notamment les entreprises. Pour être considérée comme un partenaire crédible par les populations et gouvernements du Sud, l'Europe doit rétablir sa crédibilité politique par une politique extérieure commune qui fasse entendre une voix distincte de celle des autres puissances mondiales.
Pour être considérés comme des partenaires crédibles par le Nord, les pays de la rive sud doivent se rapprocher et cesser de croire qu'ils peuvent faire cavalier seul. Pourquoi ont-ils tant peur de leur propre union ? L'UPM n'aura de sens que si les pays du Sud oeuvrent à intégrer leurs économies et abolir les restrictions en matière de circulation des biens et des personnes. Les pays du Sud ne devront plus regarder vers le Nord en ignorant leurs propres voisins. Les gouvernements des pays de la rive sud doivent avoir conscience des attentes du Nord et de leurs populations en matière de pérennité de leurs institutions, d'Etat de droit, de gouvernance et de prédictibilité.
Enfin, nous appelons les membres de l'UPM à dépasser les questions douloureuses du passé, qui doivent rester du domaine des relations bilatérales. L'UPM ne doit pas être un lieu de complaintes et de reproches réciproques mais un cadre de rencontre, de dialogue et surtout de projets pour l'avenir. Seule l'obsession des lendemains doit guider la marche des dirigeants de cette Union. Le temps nous est compté. L'UPM doit lancer des chantiers assez ambitieux pour rompre le cercle vicieux de l'approche sécuritaire, de l'autoritarisme et de la restriction des libertés au motif de lutte contre les fondamentalismes. Rompre aussi le cercle vicieux de la rente (pétrolière, touristique, immobilière...), qui a jusqu'à présent scellé le partenariat économique Nord-Sud en Méditerranée. Rompre enfin l'insécurité protéiforme qui mine le développement au Sud : celle des biens, celle des personnes, celle de l'avenir de ces pays et de leurs élites.
A suivre
Souce Le Monde
Le Pèlerin