Algérie - Elections législatives Des résultats et des questions
Comment analyser les résultats des législatives du 10 mai dernier ? C'est visiblement la plus grande question que beaucoup d'Algériens se posent, tout comme la classe politique, les médias et les diplomates en poste à Alger. Pour une fois, pourrait-on dire, un scrutin pose plus que questions qu'il n'en résout.
Les résultats officiels des législatives sont connus depuis vendredi : le FLN dispose de la majorité relative, avec 220 sièges sur 462, le RND en a 68, l'Alliance de l'Algérie verte 48, le FFS 21, le PT 20, le FNA 9, les indépendants 19, tandis que les autres partis ayant eu des sièges (FJD, MPA, Fedjr, FC, PNSD, RA, FNJS, AHD 54, UFDS, ANR et d'autres) se partagent près de 66 sièges dans la nouvelle Assemblée nationale, sans que l'un de ces derniers ne puisse se constituer en groupe parlementaire.
Face à ces résultats, l'opinion nationale semble déjà dégager deux tendances lourdes en son sein, dont il faut se demander qui est finalement la plus importante. La première, sans doute la plus évidente, autrement dit celle qui s'exprime le plus haut, pense que ces résultats ne sont en fait que des quotas fixés à l'avance, qu'ils sont le produit d'un tripatouillage des urnes et que seule la bonne vieille fraude en est à l'origine. Une fraude qui, de ce point de vue, aurait touché autant le taux de participation que le score de chacun des partis en compétition.
Le président de la Commission nationale indépendante de surveillance des élections législatives, la Cnisel, Mohamed Seddiki, conforme à son attitude depuis le lancement de la campagne électorale, a clairement laissé entendre que c'est l'Administration qui a décidé des résultats. Mais faut-il, comme certains l'ont fait, donner tout son crédit au président de la Cnisel ou alors se dire qu'après tout, ce ne sont que les propos du représentant d'un parti, Ahd 54 en l'occurrence, et qui, comme beaucoup d'autres partis que les Algériens ne voient pas beaucoup entre deux élections, n'ont aucun domaine de prédilection que thème que la fraude qui, selon eux, justifie la réussite des uns et l'échec des autres ?
Comme il est difficile de répondre honnêtement à la question, il convient d'examiner les autres parties qui corroborent ou annulent les dénonciations de Mohamed Seddiki. Et il y en a dans les deux catégories.
L'Alliance de l'Algérie verte (MSP, El Islah et Ennahda), par exemple, très déçue par le fait qu'elle n'ait pas obtenue le statut de seconde force politique du pays, revenu au RND, a également dénoncé une manipulation des résultats. La différence, cela dit, est que l'AAV ne parle pas d'une fraude à grande échelle. Non, pour elle, le scrutin s'est plutôt bien déroulé... jusqu'au dernier moment, celui de l'annonce des résultats, où elle fut donc dépossédée de la victoire annoncée par ses soins bien avant la conférence de presse de Daho Ould Kablia. C'est ce que l'on comprend lorsque l'AAV dénonce «une exagération illogique des résultats en faveur des partis de l'Administration», c'est-à-dire qu'elle ne conteste pas vraiment le score du FLN, mais juste celui du RND. Le meilleur dans tout cela, c'est que l'AAV ne semble pas spécialement convaincue de ce qu'elle avance, elle qui entend rendre le président Bouteflika personnellement responsable de cette situation «si la manipulation des résultats est prouvée officiellement». N'est-ce pas que cette Alliance verte prend les Algériens pour des imbéciles, quand elle dénonce les autorités et, en même temps, elle attend que ces dernières lui fournissent la preuve du mal qu'elles auraient commis à son encontre ?
Quant au FFS, selon sa première réaction, prévisible il faut le dire depuis sa décision de participer aux élections, le problème pour lui n'est pas dans la fraude, qu'il n'aborde pas, mais dans le climat général et le manque d'éthique d'une partie de ses adversaires qui ont eu un effet repoussoir sur l'électorat et causé une forte abstention. Enfin, le PT, lui, se range du côté de ceux qui dénoncent une manipulation des résultats, après avoir constaté des dépassements durant le vote, mais sans grande influence sur le déroulement général du scrutin.
Mais tout cela ne répond pas à la question : y a-t-il eu fraude cette fois ou pas ? Tout analyste sérieux se doit de dégager une réponse qui ne souffre d'aucune équivoque, qui ne soit pas ternie par le moindre doute, avant de toucher aux chiffres des résultats qu'il faudra ensuite soigneusement décortiquer ou alors rejeter, parce que tout bonnement nuls et non avenus. En effet, une chose est de soutenir qu'il y ait eu quelques dépassements, des cas isolés comme on dit, une tout autre est de déclarer qu'il y a eu la «fraude massive et généralisée».
D'un point de vue technique, le type fraude qui est dénoncée aujourd'hui serait donc indétectable ou alors extrêmement difficile à prouver. La Commission nationale de supervision des élections, elle, va dans le sens d'un nombre élevé de cas isolés, mais pas assez pour remettre en cause l'opération électorale.
Reste donc le constat émis par les observateurs internationaux, venus en nombre record, pour superviser ces législatives. L'on relève le quitus immédiat de l'Union africaine et de la Ligue arabe et, avec une tonalité moindre, celui de la mission de l'Union européenne et, avec encore plus de prudence, celui des observateurs américains. Et c'est sans attendre la publication des rapports des observateurs occidentaux que de grandes capitales, comme Washington, Paris et Madrid, ont salué le bon déroulement des élections. Le fait est que pour la communauté internationale, le taux de la participation ainsi que les résultats ne comptent qu'à titre secondaire, étant donné qu'elle considère cela comme une affaire interne au pays où se déroulent des élections. Elle ne s'attarde ni sur les beaux discours officiels ni sur les critiques de l'opposition. Ce qui la détermine, c'est surtout le lendemain de l'annonce des résultats et, plus précisément, la réaction des électeurs, c'est-à-dire de la population. Si un mouvement populaire de riposte à la fraude est enclenché, alors là, en effet, on assistera à des scénarios identiques à ce qui s'est passé en Ukraine, en Géorgie ou, plus récemment, en Côte d'Ivoire, et les autorités sont alors immédiatement sommées par la pression internationale de revenir sur les résultats annoncés. Si, en revanche, cette dernière exprime ce qu'on interprète comme l'acceptation des résultats, alors de son point de vue, tout s'est globalement bien déroulé et les résultats ne sont que la traduction d'un certain rapport de force au sein du champ politique. Pas plus, pas moins. Et c'est qui laisse entendre, selon cette perception, que les législatives sont un scrutin plus à critiquer qu'à contester et qu'il y a déjà reconnaissance implicite de la prochaine APN et du futur gouvernement. Reste à analyser, maintenant, le niveau de la participation qui, sans discuter les 42,9% officiels, reste inférieur à celui d'une présidentielle et des communales. Il s'explique, comme tout le monde l'a dit, par deux éléments essentiels. Il y a d'abord l'inconsistance de l'Assemblée face au pouvoir exécutif, une situation due à l'actuelle Constitution, qui fait des législatives des élections sans enjeu alors que la seule élection qui compte en Algérie, c'est la présidentielle. Secundo, le non-renouvellement de l'offre politique, malgré l'agrément de nouveaux partis qui se sont avérés soit des clones de l'un des partis de l'Alliance présidentielle, soit de pales copies des partis d'opposition déjà existants, alors que les Algériens veulent des figures nouvelles, des idées inédites et une véritable alternative. Ne parlons même pas de reconduction rééditée de la coalition sortante, laquelle détient la majorité à l'APN depuis 1997.
Source Les Débats N.B.
Le Pèlerin