Les raisons d’un désamour
Le président de la République vient de convoquer le corps électoral en fixant la date des élections au 10 mai prochain. Une annonce qui ne semble guère motiver les électeurs. Répulsion pour la politique ou simple désintéressement ? Qu’est-ce qui pousse le citoyen algérien à s’abstenir à faire son devoir et ne plus exercer son droit, celui de voter ? Sans trop sembler le savoir, ce dernier applique pourtant une abstention active embarrassant les pouvoirs publics.
Les efforts déployés depuis quelques semaines par le ministère de l’Intérieur et des collectivités locales que hante le spectre de l’abstention, l’aura, d’ailleurs, poussé à recourir jusqu’ aux SMS pour inciter les gens à aller voter. Cela augure de cet embarras ! Aux yeux de beaucoup de citoyens même le récent lâcher partisan, illustré par l’accréditation sur la scène politique de nouvelles formations en est une autre preuve. Pour certains, c’est là, une énième tentative pour juguler les masses en les fédérant dans des partis politiques et les inciter à se mobiliser et à aller exprimer leur volonté avec l’hypothétique engagement que celle-ci soit respectée. Cependant, le mal ne semble guère provenir de l’électeur que l’on sollicite qu’occasionnellement comme pour justifier un acte démocratique, mais, beaucoup plus de l’homme politique qui s’est illustré par une absence sur le terrain et un manque de travail permanent. Contrairement aux partis politiques d’obédience islamiste, ceux se voulant de la mouvance démocratique ou nationaliste n’affichent leur activisme que sporadiquement à chaque veille de scrutin. Pendant ce temps, les partis islamistes réussissent à investir le terrain et s’y maintenir à travers différents mouvements dont les associations satellitaires. Mais, nécessaire pourtant au bonheur de la nation, ce «talisman» que furent les élections n’a pu hélas, à lui seul, briser «le sort» jeté à tout un peuple déchiré par un passé récent sanglant, un quotidien fait de promesses jamais tenues et, surtout, des lendemains incertains en dépit d’une aubaine financière estimée à 180 milliards de dollars de reserve de change. Vivant d’espoir, à peine, l’Algérien a vu son rêve se dissiper au lendemain même de chaque élection qui a, à ses yeux, mis fin à ses attentes, telle cette légende d’Oreste dans la mythologie grecque. Cependant, le Pouvoir a, quant à lui, besoin d’enthousiasme, celui du peuple. Mais, faut-il à peine de l’enthousiasme populaire pour élire une assemblée ou un Président «républicains» et créer la rupture ? Il n’est pas certain aussi que la démocratie doit consommer, à peine, du rêve collectif pour se bien porter. Nombreux sont ceux qui prônent une exaltation de la politique, ne le faisant, malheureusement, pas par réaction à une situation décourageante que l’époque manifeste par le terrorisme, la crise économique mondiale, l’injustice sociale, le chômage et la morosité totalement généralisée, surtout, la dérision du politique, mais par souci d’intérêt personnel ou clanique. Cela fera dire d’ailleurs, à l’ancien ministre Noureddine Bahbouh, que «la politique a été tuée en Algérie». Le fondateur du nouveau parti politique l’UFDS va encore plus loin en considérant qu’ «on a assimilé la politique au populisme, aux passe-droits, à l’opportunisme, à tellement de choses néfastes qu’une bonne partie de la population se désintéresse totalement de la vie politique». Il estimera à ce propos que «la population ne s’identifie plus dans ce qui est entrepris». Les gens manifestent leur mécontentement d’une autre manière. Des rejets ont été constatés lors des précédentes consultations populaires par la non-participation. «Si nous n’introduisons pas de règles saines entre l’homme politique et le citoyen, la mobilisation de ce dernier ne sera plus possible» Ainsi donc tout a été dit ! Si la démagogie est inclinée par cette recherche de l’exaltation collective, éviter la mélancolie démocratique en consommant à peine du rêve est d’autant plus dangereux. L’esprit démocratique moderne ne consiste-t-il pas à ôter aux dirigeants la magie du pouvoir et faire en sorte que l’homme public, fût-il Président, ne soit plus ce faiseur de rêves, de miracles ou ce prophète, mais un serviteur du bien public à contrat de durée déterminée et surtout contrôlée ? Lequel esprit est ignoré par ces mêmes faiseurs de rêves qui, en guise de présence, laissent le peuple se débattre tout seul face à un psychodramatique quotidien auquel il n’est guère préparé. Lui, qui est affaibli par tant de morts, de misère et n’a d’espoir qu’en cette fameuse rupture prônée par tous et dont les ingrédients font défaut ou sont méconnus. Le bourbier de la médiocrité nationale soulève l’indignation que l’on comprend, d’ailleurs, pouvant inspirer une ardeur, celle de défendre le pays, ses lois, et réinstaurer le principe de responsabilité chez les citoyens comme chez les dirigeants et bannir l’état de grâce afin de construire l’Etat fort. Si les préparatifs des législatives vont à pas de loup, les garanties nécessaires le sont beaucoup moins, s’agissant, entre autres, de l’après élections par ces temps incertains. Cependant, cette nouvelle expérience ne doit pas être à l’exemple des précédentes élections législatives ou présidentielles fondées sur des rêves et de fausses promesses. L’incurie et l’apolitisme des représentants du peuple au sein des deux chambres ont montré le bien-fondé des prétendants à la députation. Le nomadisme politique, absentéisme aux différentes sessions de l’APN, ignorance des plus importantes questions débattues au sein de l’hémicycle sont de hauts faits à ajouter au CV de nos élus nationaux dont le nombre vient d’être relevé à 462, après rajout de 73 députés. Pis encore, l’existence de partis sans base qui fera, d’ailleurs, se gausser l’ancien ministre sous Mokdad Sifi, en déclarant sur un ton ironique «quels sont les partis qui ont une base militante ? C’est une grande question. Je constate l’existence de partis qui ont plus de trente ans d’existence et qui cherchent encore des adhésions. Un parti politique ne se mobilise pas autour d’une échéance. Un parti c’est une activité pérenne, un combat qui continue». Cependant, la quête continue d’un model de gestion fait creuser encore plus le fossé entre gouvernant et gouverné. Pas mal d’expériences «entreprises» jusque-là nous ont coûté cher. La première fois que l’Algérie a prétendu sortir de sa nuit par le rêve, celui du socialisme, nous avait valu un immense retard, nous incrustant l’esprit d’assistanat et un farfelu sentiment de prestige et où la déesse «révolution» fut exhibée dans les transes avant de s’engloutir dans les ténèbres de la triste décennie noire. La seconde fois, c’était pour sombrer, en 1988, dans un drame «démocratique» bercé par un fondamentalisme qui, grâce aux bombes et tueries de ses intégristes, a prouvé que le grand rêve collectif génère la catastrophe. Si le socialisme fut le grand rêve des années 1970, l’anarchie fut l’autre versant des années noires (décennie 1980) qui ont débouché sur une aventure démocratique, ne s’aimant pas elle-même d’ailleurs et ayant enfin permis de caresser l’autre rêve, celui d’une théocratie menant le pays à sa ruine. Le rêve de la reconstruction durant les années 2000 a permis l’enrichissement par l’institutionnalisation de la corruption. Trois grands rêves et deux monopoles, le premier monopole est celui du nationalisme, le second celui de toute une religion, ont fait bouger le peuple pour le mener à la catastrophe et au désastre et ouvrir les yeux sur une nouvelle orientation, le libéralisme à outrance permettant aux plus riches de s’enrichir encore plus au détriment de toute une majorité vouée au dénuement total. Alors, tout cynisme mis à part, peut-on encore se permettre de souhaiter que le prochain rêve se réalise pour sortir l’Algérie de cet envasement et éviter le cauchemar qui hante l’esprit des gouvernants, celui du déferlant «Printemps arabe» ? Connaissant les nouvelles données mondiale et régionale et la puissance de «certains» bien lotis au sein du Pouvoir, le rapport de force est de taille, où David dans son combat contre Goliath a troqué son lance-pierres contre une force exceptionnelle, celle de la misère de tout un peuple dont la dignité est mise à rude épreuve.
Azzedine Belferag