Selon Yves Bonnet, ancien patron de la DST française, à l'expression
Un observateur averti
Rencontré hier à l'hôtel Hilton, à l'occasion de l'organisation de la rencontre sur «les révolutions arabes: mythes ou réalité?», l'ancien patron de la DST française, a bien voulu répondre à nos questions. Serein et surtout usant d'un langage franc, notre interlocuteur n'a à aucun moment refusé de répondre à une quelconque question. Il a tenté de faire la lumière sur bon nombre de questions, à commencer par les conséquences des révolutions arabes, l'assassinat des moines de Tibhirine et autres questions liées à la crise au Sahel.
L'Expression: M.Bonnet, des pays du Monde arabe se sont libérés des régimes totalitaires, laissant le champ libre aux partis islamistes. Cette mouvance d'ailleurs, n'a pas manqué de récupérer le désarroi des peuples, tout en recourant aux systèmes de gouvernance décriés. Qu'en est-il de votre lecture à ce sujet?
Yves Bonnet: Quand on remplace un système par un autre, il faut connaître la logique des deux systèmes en question. Ce qu'on appelle les dictatures arabes, en réalité, c'était des régimes populistes, basés sur le nationalisme arabe tout à fait légitime d'ailleurs. Plutôt anti-occidentaux, ces pays étaient fortement soutenus et encouragés par l'Union soviétique et ses alliés. Nous les Français, en particulier, étions pris dans une espèce de piège, dans la mesure où nous étions, des années durant et jusqu'à 1962 et même au-delà, pris par les événements de l'Algérie et que nous avions tendance à subordonner à la lutte contre la rébellion et par conséquent, organiser notre système d'alliance à des intérêts à court terme. Nous étions objectivement des alliés d'Israël. Nous étions d'ailleurs lors de la guerre des Six-Jours, intervenus militairement avec les Israéliens et cette coopération allait évidemment très loin. Alors, ces régimes nous déplaisaient et, particulièrement, nous avions un ennemi public numéro 1 qui était le président Gamal Abdel Nasser qui, sur le long termes s'est avéré être notre meilleur allié. Nous n'avons pas compris tout l'intérêt de cette évolution politique des régimes arabes vers une démocratie et une participation du peuple. Voilà la réalité. A cette logique du régime populiste, mais qui laissait la place à des talents et aux compétences qui n'étaient pas héréditaires ou religieuses, on a substitué la logique du fondamentalisme religieux, qui ne tient absolument pas debout. Donc, le remède a été pire que le mal si j'ose dire.
L'Algérie est aujourd'hui cernée de toute part par des régimes islamistes. N'y a-t-il pas de risque pour le pays et ce, après avoir connu le désastre de la tragédie nationale qui lui a coûté près de 200.000 morts...?
Non, il n'y a pas de danger, du moment que vous avez déjà connu cette décennie noire. J'ai vécu ces événements parce que je venais en Algérie très couramment à cette époque, cette période. L'Algérie à surmonté cette tragédie nationale, parce qu'elle a mûri pendant cette décennie.
L'Algérie s'est émancipée toute seule. Elle n'a eu besoin de quiconque. Vous avez forgé, vous avez formé des cadres qui étaient capables de faire face à la crise. Au départ des pieds-noirs d'Algérie, l'Algérie est parvenue à former ses propres cadres.
Et quand les événements des années 1990 sont arrivés, vous étiez aussi capables d'assumer la situation.
Lors de ma première visite en Algérie en 1993, j'étais président du groupe d'amitié parlementaire France- Algérie, j'ai été reçu par des membres du CNT. (Conseil national de transition), et j'ai été très frappé par la qualité, la compétence et l'engagement de mes interlocuteurs.
De retour en France, je m'étais dit que l'islamisme ne passera pas en Algérie. Tout le monde m'a pris pour un fou furieux... L'Algérie a déjà fabriqué son antidote, en plus de la maturité de l'opinion publique et toutes ces femmes algériennes qui descendaient dans les rues pour dire non à l'islamisme.
L'Algérie est tombée malade pendant dix ans, mais quand on est guéri, c'est fini pour cette maladie.
Le dossier de l'assassinat des moines de Tibhirine, revient souvent au-devant de la scène. Qu'en est-il des développements de ce dossier depuis?
C'est le type de dossier qui est mal traité dans tous les sens du terme entre l'Algérie et la France. Et là, il n'y a pas deux vérités. Et nous voulons exposer clairement ce dossier pour en finir avec et arrêter ce procès d'intention une fois pour toutes contre l'armée algérienne et les services de sécurité.
Pour moi, c'est aussi un devoir de mémoire envers mon défunt ami Smaïn Lamari. Il n'est plus là, mais il est toujours mon ami. Je n'accepte pas et je refuse que l'on maltraite mes amis dans cette affaire. Il a fait tout ce qu'il pouvait pour récupérer ces moines. A l'impossible, nul n'est tenu.
L'instabilité au Sahel inquiète aussi bien les voisins que la communauté internationale, où peut-on situer les responsabilités?
La responsabilité c'est d'abord ceux qui ont déstabilisé la région et ouvert la boîte de Pandore. Il y a des tas de stocks d'armes sophistiqués qui ont atterri dans la région du Sahel.
La disparition du régime libyen a en quelque sorte, ouvert la porte à ce flux d'armes. Ceux qui ont foutu en l'air un régime et un pays qui contrôlaient le subsaharien ont eu tort.
C'est tout à fait clair. Il y a aussi le Mali qui est un pays très difficile à gouverner, parce que c'est un pays hétérogène, une surface énorme avec des populations tout à fait particulières. C'est la coexistence des sédentaires et des nomades. C'est un vrai problème...
Source L’Expression Amar Chekar
Le Pèlerin