193 000 hectares en feu: La Russie sous les cendres
La fumée des incendies naturels qui font rage en Russie européenne depuis plusieurs semaines, s’étend sur 3000 km, de l’Oural aux frontières occidentales du pays, et a atteint la stratosphère (12 km d’altitude). Selon des données fournies au début de la semaine par les satellites américains Terra et Aqua, la fumée peut en effet se déplacer, à cette altitude, à une grande vitesse et détériorer la qualité de l’air loin des foyers d’incendie. « Les pyrocumulus et la fumée dans la stratosphère témoignent de la grande intensité des feux. Seuls les volcans sont habituellement capables de cracher la fumée à cette altitude », lit-on dans un communiqué de la NASA.
Durant la journée d’hier, 193 500 ha étaient encore en feu. Les autorités russes font par ailleurs état de 52 personnes tuées dans les incendies qui ont dévasté des villages entiers. L’on dénombre aussi 4000 sans-abri. Les feux de forêt et de tourbière ont ravagé 22 des 83 régions russes. Le président russe, Dmitri Medvedev, a décrété l’état d’urgence dans 7 régions, dont celle de Moscou. Avec près de 50 incendies autour de Moscou, dont 14 feux de tourbière, la capitale russe est plongée depuis plusieurs jours dans un épais brouillard cendré. La fumée persistante fait d’ailleurs planer de fortes inquiétudes sur la santé publique à Moscou. Les bâtiments de la capitale russe restaient totalement invisibles à quelque distance et l’air pollué irrespirable de ces derniers jours ne se dissipait aucunement.
Des automobilistes circulaient tous phares allumés en plein jour. De nombreux Moscovites se couvrent le visage avec des masques pour ne pas inhaler du monoxyde de carbone, qui a atteint un niveau 6,6 fois supérieur à la normale. Pour permettre aux habitants les plus sensibles de « reprendre leur souffle », les autorités moscovites ont aménagé 123 centres anti-fumée : des salles climatisées, le plus souvent dans des hôpitaux et des bâtiments publics. Certains Moscovites cherchent même à fuir la Russie. L’AFP rapporte que de nombreuses agences de voyage ont ainsi très vite affiché complet pour des séjours organisés ce week-end en Egypte, au Monténégro et en Turquie. « Au cours de la semaine écoulée, la demande pour des billets au départ de Moscou vendus en ligne a augmenté de 20% », a indiqué à la radio Echo de Moscou Irina Tourina, porte-parole de l’Union russe des tour-opérateurs. Selon les services météorologiques russes, la fumée ne se dissipera pas avant mercredi. Des responsables de la santé publique continuent de conseiller aux personnes fragiles de rester chez elles. Le ministère des Situations d’urgence a indiqué que les incendies continuaient à se propager dans le centre du pays, les météorologues n’ayant prévu aucun répit dans les prochains jours pour la canicule sans précédent qui frappe la Russie depuis plus d’un mois.
La catastrophe a provoqué aussi le retard de dizaines de vols. L’agence ITAR-TASS indique, à ce propos, que de sérieuses perturbations ont particulièrement affecté l’aéroport international Domodedovo, où quelque 2000 passagers sont actuellement bloqués. « Les passagers doivent être prévenus que des retards sont inévitables », a déclaré à la télévision Sergueï Izvolski de la commission nationale de l’aviation Rosaviatsia, précisant que ces retards peuvent varier de 30 minutes à plusieurs heures. Un autre aéroport international, celui de Vnoukovo à l’est de Moscou, était lui aussi confronté à des retards, bien que l’impact du smog y semblait moins important. A signaler qu’hier encore, les secouristes étaient engagés sur plus de 550 foyers d’incendie. Au total, 162 000 personnes sont déjà mobilisées pour combattre les feux qui embrasent le pays. La Russie est, rappelle-t-on, ravagée actuellement par les pires incendies depuis près de quarante ans.
Le site nucléaire de Snejinsk menacé
En plus du désastre causé par les flammes, la Russie risque également de vivre une catastrophe nucléaire. Des incendies se sont déclarés, en effet, autour d’un centre nucléaire à Snejinsk, dans l’Oural russe, situé à 1500 km à l’est de la capitale Moscou.
Lors d’une réunion avec les régions touchées par les feux de forêt, le ministre russe des Situations d’urgence, Sergueï Choïgou, a indiqué avoir demandé à ses services de travailler 24 heures sur 24 pour éteindre ces incendies qui touchent sept hectares autour du centre nucléaire à Snejinsk. « Quant à Snejinsk, je vous demanderai de travailler aussi la nuit », a-t-il déclaré, en s’adressant aux services du site. « Il vous reste sept hectares, ce n’est pas une surface énorme, j’espère que vous arriverez à éteindre ce foyer », a-t-il encore ajouté. Des inquiétudes persistent aussi quant à la possibilité de voir les flammes atteindre le principal site de recherche nucléaire à Sarov, une ville fermée aux étrangers et enclavée dans la forêt dans la région de Nijni Novgorod (350 km à l’est de Moscou). Néanmoins, des responsables russes affirment que la situation est sous contrôle et que des soldats déployés là-bas allaient être dépêchés ailleurs. La radio Echo Moskvy rapporte que l’armée a creusé un canal pour empêcher les flammes de progresser en direction des installations d’armement nucléaire. Selon le ministère des Situations d’urgence, la situation à Sarov est « stabilisée ».
Sarov est la ville la plus proche du site nucléaire qui a produit la première bombe atomique soviétique, en 1949, et qui reste le principal centre de conception et de fabrication d’armes nucléaires de Russie. Le président Dmitri Medvedev a néanmoins ordonné de renforcer la protection des sites stratégiques après l’incendie d’une base logistique militaire près de la capitale. Sur l’ensemble du pays, « on a constaté, au cours des dernières 24 heures, une baisse du nombre d’incendies, pas assez importante toutefois pour que l’on puisse se réjouir », a déclaré le ministre des Situations d’urgence, Sergueï Choïgou. La situation s’est en revanche aggravée dans le Sud-Ouest, a observé M. Choïgou. Le ministre a dit craindre que les incendies ne se propagent à une région dont le sol et les végétaux avaient été irradiés lors de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986. « Nous surveillons attentivement la situation dans la région de Briansk », à la frontière avec l’Ukraine et la Biélorussie, car « si un incendie s’y déclarait, des substances radioactives pourraient s’envoler avec la fumée et une nouvelle zone polluée apparaîtrait », a-t-il averti. Par ailleurs, en raison de la sécheresse, le Premier ministre, Vladimir Poutine, a interdit les exportations de céréales jusqu’à la fin de l’année, une décision qui pourrait être révisée en fonction des récoltes. La Russie est le troisième exportateur mondial de céréales, et les difficultés de son agriculture ont déjà contribué à une flambée des cours du blé sur les marchés mondiaux.
Catastrophes
Moscou est asphyxiée. Elle est plongée dans un nuage de cendres rendant l’air irrespirable. Les Moscovites portent des masques, se réfugient dans des centres antifumée ou fuient la ville où la concentration de CO2 a triplé. La fumée des tourbières, combustible végétal naturel, a envahi la cité autour de laquelle on dénombrait, hier, 200 000 hectares en feu. Le reste de l’Europe redoute les retombées de particules radioactives provenant des sols pollués en feu près de Tchernobyl. La catastrophe a fait 50 morts, 300 blessés et détruit 2000 maisons. Elle a pour origine une canicule exceptionnelle dont on ne connaît pas de précédent depuis 130 ans. Le Premier ministre pakistanais a lancé, samedi, un appel à l’aide internationale. La mousson la plus dévastatrice depuis 80 ans a fait au moins 1600 morts et 1,5 million de sinistrés. Des villages ont été emportés avec leurs cultures et les stocks de nourriture. 500 000 personnes ont été déplacées. Le Premier ministre chinois s’est rendu hier dans la province de Gansu, où des fortes pluies ont provoqué des glissements de terrain et des torrents de boue. Au moins 127 personnes ont trouvé la mort alors qu’on dénombre plus de 2000 disparus. Plus près de nous, au Niger voisin, après une sécheresse comparable à celle des années soixante-dix, le fleuve Niger connaît sa plus forte crue depuis 1929. Les inondations ont fait plus de 5000 sinistrés dans la capitale, Niamey, envahie par les eaux.
Dérèglements climatiques ou phénomènes naturels amplifiés par l’homme et mis en évidence par la mondialisation, comme le pensent les climato-sceptiques ? Les arguments ne manquent pas pour chaque camp. En attendant de faire la lumière sur la relation entre les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique, les catastrophes observées sont exceptionnelles par leur fréquence, leur intensité et les effets sur les populations sont les plus dramatiques. Même si les pays pollueurs s’entêtent à faire partager la responsabilité à toute la planète, il y a urgence car ce sont la paix et la sécurité mondiale qui sont menacées. Et comme le rappelait à Copenhague le ministre de l’Environnement du Bengladesh, lors du naufrage du Titanic, les première et seconde classes ont aussi coulé avec la troisième. A Berlin, vendredi, prenait fin une réunion où des négociateurs de l’ONU tentaient d’arracher un ultime accord pour des taux d’émission qui assureraient un maximum de 2°C de hausse en 2050. Les experts, qui préparent une suite au Protocole de Kyoto, n’ont pas caché leur amertume. Il y a même une reculade par rapport aux engagements de Copenhague. La semaine dernière, à Kampala, les chefs d’Etat africains, sans réelle portée internationale pour cause de mauvaise gouvernance, sans crainte du ridicule, continuaient d’exiger le respect des engagements des conventions-cadres et des protocoles.
Source El Watan Aniss Z./ Slim Sadki
Le Pèlerin