D’où vient la Laïcité à la française
Dix mois après son élection, Nicolas Sarkozy a fait l'éloge des religions qui seraient, selon lui, le socle de toute civilisation. Prolongement naturel de la sentence "France fille aînée de l'Eglise" ou remise en cause de la loi de 1905 de séparation de l'Eglise et de l'Etat ? L'Internaute fait le point sur la "laïcité à la française".
La France "fille aînée de l'Eglise" |
la fin des guerres de religion, la France devient un pays majoritairement catholique. Comment s'organise le rapport entre l'Etat, l'Eglise et la société ?
L’Etat catholique
Dans la société d'Ancien Régime, la religion est le fondement du système social. La monarchie française étant dite de "droit divin", le roi tient son pouvoir de Dieu, ce qui lui confère un rôle de pasteur vis-à-vis de ses sujets. A ce titre, le roi de France peut, depuis le Concordat de Bologne signé en 1516, choisir lui-même les prélats supérieurs. La religion catholique étant celle de l'Etat et de la Couronne, tous les rois doivent jurer, le jour de leur sacre, de défendre l'Eglise catholique et s'engagent aussi à lutter contre les hérésies.
La date du 18 octobre 1685 marque une rupture : 87 ans après la fin des guerres de religion, le roi Louis XIV signe, avec le chancelier Michel de Tellier, l'édit de Fontainebleau révoquant l'édit de Nantes en vigueur depuis 1598. Afin de redonner au royaume une unité religieuse, le traité interdit le protestantisme en France, provoquant l'exil de plusieurs milliers de protestants et surtout de violents troubles de Camisards dans les Cévennes. Légalement, les Français non catholiques n'existent plus, et sont alors considérés comme des "asociaux". Il faut attendre 1787 pour qu'un nouvel édit de tolérance rende leurs droits aux protestants.
Les Français sont-ils "soumis" à la religion ?
Le catholicisme a profondément imprégné la société d'Ancien Régime. Depuis plusieurs années, les historiens contestent l'opinion selon laquelle le XVIIIe siècle, celui des Lumières, aurait été celui d'une déchristianisation conséquente du pays. Or, jusqu'à la Révolution, et même tout au long du XIXe, l'Eglise accompagne l'existence des Français de leur naissance (baptême) jusqu'à leur mort (extrême onction). Le prêtre est ainsi l'un des rouages essentiels de la vie sociale : il distribue non seulement les sacrements, mais fait aussi office de conseil dans les affaires privées. Sur le terrain, au niveau des paroisses, l'Eglise est très présente. Elle tient les registres de baptême (l'Etat Civil), instruit les enfants et fournit l'assistance publique aux malades dans les hôpitaux. Pour la société française d'avant 1789, les fêtes religieuses, notamment celles des saint-patrons locaux, représentent aussi un moment fort de la vie communale et collective.
Vers la séparation
La religion "canalisée" par la Révolution
L'un des principaux idéaux des révolutionnaires consiste à déchristianiser la France. Dès août 1789, l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme reconnaît à ce titre la liberté des cultes à toutes les religions. Quelques mois plus tard, l'Assemblée Constituante décide, sur proposition de Talleyrand, de nationaliser les biens du clergé : une première pierre avant l'adoption, en juillet 1790, de la Constitution Civile du clergé. Le Vatican refuse et une période de lutte intense s'ouvre alors entre la Convention et le Saint-Siège. Autre pomme de discorde : la volonté des révolutionnaires de réformer l'organisation très hiérarchisée de l'Eglise et de l'organiser selon une structure plus démocratique (élection des évêques et des curés notamment). 45 % du personnel ecclésiastique, les prêtres "réfractaires" (par opposition aux prêtres "assermentés"), va refuser cette nouvelle donne et subir des violences pendant presque 10 ans. Cette nationalisation de l'Eglise de France va ensuite de pair avec une déchristianisation plus morale de l'Etat et de la société. A ce titre, la dissociation du mariage religieux et du mariage civil est l'une des réformes les plus symboliques de l'évolution des rapports entre les deux sphères du pouvoir politique et spirituel.
Mariage civil sousla révolution
Le clergé, un service public ?
L'arrivée au pouvoir de Napoléon stoppe la laïcisation brutale de l'Etat. En 1801, le Concordat signé avec le pape Pie VII retire au catholicisme le titre de religion d'Etat : elle est désormais celle de la "majorité des Français ". Toutefois, le volet le plus important de l'accord reste le nouveau statut donné aux ecclésiastiques, qui deviennent des fonctionnaires, payés par l'Etat. Napoléon s'accorde de plus le droit de nommer les évêques. Avec le Concordat les cultes sont organisés en service public : la confusion des pouvoirs dure tout au long du XIXe siècle.
La IIIe République : l'école devient laïque
En 1869, la rupture du Concordat, ou la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, figure pour la première fois dans un programme politique, celui de Léon Gambetta. La IIIe République fondée en 1871 va ainsi voir un fort courant modernisateur se développer et les premières lois laïques voir le jour. Revenant sur la loi Falloux de 1850, les lois Jules Ferry de 1882 excluent les religieux de l'enseignement, avant de rendre l'enseignement obligatoire et… totalement laïque. En pratique, l'instruction religieuse est supprimée de tous les programmes scolaires, son apprentissage devant se faire hors des locaux de l'école et en dehors des heures de classe. Elle est également remplacée par des cours de morale civique et républicain
1905 : une explosion de laïcité ? |
Une séparation nécessaire
La loi de séparation des Eglises et de l'Etat est le fruit de 25 ans "d'incubation laïque". La politique du Bloc des Gauches, qui forme un gouvernement en 1901, satisfait au fort courant anticlérical qui souffle depuis la fin des années 1880. La loi du 1er juillet 1901 sur les associations stipule par exemple que la création de nouvelles congrégations est autorisée par une loi mais peut être dissoute par un décret. En 1902, l'arrivée d'Emile Combes en tant que président du Conseil, élu pour mener une "politique énergique de laïcité", aboutit à la fermeture d'établissements scolaires dont l'enseignement est donné par des congrégations non déclarées. Le ton se durcit alors entre l'Etat et certains évêques français qui protestent contre cette mesure. Dans le même temps, la France rompt ses relations diplomatiques avec le Vatican. Cause de la rupture : la visite d'Emile Loubet, président de la République, au roi Victor-Emmanuel II d'Italie, que le Saint-Siège ne reconnaît pas. Les crispations deviennent prégnantes, la séparation inéluctable.
Des débats passionnés
C'est à Aristide Briand qu'est confié le soin d'aménager la loi. La difficulté est de trouver un compromis qui exclut du débat la gauche hyper-laïque et la droite ultra-conservatrice. Le projet de loi associe en fait, des deux côtés de l'échiquier politique, les partisans d'une laïcité modérée qui puisse garantir la liberté de conscience et qui ne soit pas considérée comme une agression contre la religion (Jaurès, Briand). De plus, la séparation de l'Eglise catholique et de l'Etat a pour le gouvernement une conséquence stratégique : mis définitivement en dehors des affaires de l'Eglise, il ne peut plus interférer, par exemple, dans le processus de nomination des clercs.
Aristide Briand
Une loi de compromis qui met le feu aux poudres
La loi du 9 décembre 1905 contient ainsi des dispositions très libérales : respect de la liberté de conscience, libre exercice de l'organisation interne des religions, mise à disposition gratuite des différents lieux de culte… En contrepartie, l'Eglise n'est plus financée par l'Etat, ce qui signifie que la religion devient un service d'ordre privé. Dans ce nouvel ordre des choses, l'Etat souhaite réaliser un inventaire des biens de l'Eglise, qui s'ouvre en 1906. Sur le terrain, certains catholiques le ressentent comme une profanation et organisent plusieurs manifestations de défiance à côté des églises. L'hostilité se transforme en crise quand, le 27 février et le 6 mars, des gendarmes chargés de défendre les fonctionnaires chargés d'ouvrir les tabernacles et des manifestants trouvent la mort, entraînant la chute du cabinet Rouvier.
L'Alsace, toujours sous Concordat
Lorsque la loi sur la Séparation des Eglises et de l'Etat est promulguée par le président de la République le 9 décembre 1905, l'Alsace et la Moselle appartiennent encore à l'Allemagne (depuis 1871). Quand elles deviennent françaises en 1918, elles conservent le statut concordataire, bien que le gouvernement Herriot tente de l'abolir en 1924. Les réactions sont si virulentes dans la région et les peurs d'attiser l'autonomisme si fortes que le successeur d'Herriot, Paul Painlevé, enterre le projet de réforme. Le régime concordataire sera supprimé une fois, en 1940, quand l'Alsace se trouve rattachée au Reich. Il sera rétabli en septembre 1944, alors même que la Constitution proclame de nouveau la laïcité de la République. Tout au long du XXe siècle, les volontés d'appliquer la loi de 1905 en Alsace et en Moselle se seront heurtées à l'attachement de la population locale au Concordat.
Des prêtres payés par l'Etat
De ce fait, en 2008, la région Alsace-Moselle n'a toujours pas appliqué le principe de laïcité : les communes sont ainsi contraintes de subventionner la construction et l'entretien des lieux de culte. Près de 1500 agents de culte, qu'ils soient catholiques, protestants, ou israélites sont aujourd'hui rémunérés par l'Etat (à hauteur de 36 millions d'euros en 2003), même s'ils ne disposent pas du statut de fonctionnaire. A l'école primaire publique, ces agents sont autorisés à donner des cours de religion à l'école primaire publique, en théorie une à deux heures par semaine. Cette instruction n'est plus obligatoire depuis 2001, mais les parents doivent cependant préciser la religion de leurs enfants à leur entrée à l'école.
Quel pouvoir pour la religion en 2008 ? |
L'Etat peut-il décider à la place de l'Eglise ?
Bien que la Séparation entre les Eglises et l'Etat soit vieille de plus d'un siècle, les ponts ne sont pas tout à fait coupés. L'Etat garde par exemple un rôle décisionnaire dans la constitution de l'épiscopat français. En 2008, le Saint-Siège nomme lui-même les évêques, mais doit en informer au préalable le gouvernement. Un avantage exclusif, puique la France est aujourd'hui le seul pays au monde à bénéficier de ce "droit d'objection". Par ailleurs, du fait du statut concordataire de l'Alsace, le président de la République peut encore nommer les évêques de Strasbourg et de Metz. Il ne signe cependant le décret de nomination qu'après accord du Vatican.
Quel dialogue entre les autorités religieuses et l'Etat ?
Dans le but de rendre plus transparents les rapports entre l'Eglise catholique et l'Etat français, une instance de consultation a été créée le 12 février 2002. Diverses commissions composées d'assistants ministériels et de personnalités ecclésiastiques ont été créées. La plupart des échanges concernent plus particulièrement l'Education Nationale et la Justice, mais des questions d'ordre moral sont aussi abordées. Depuis 2002, le clergé français a donc officiellement "voix au chapitre". Ainsi, si une partie de la loi sur la bioéthique autorisant la recherche sur embryon et les cellules embryonnaires a été durement critiqué par l'épiscopat français, un rapport ministériel d'août 2004 hostile à la non-dépénalisation de l'euthanasie a par contre été vivement approuvé par l'Eglise. A l'été 2004, Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques de France, déclarait ainsi que l'Eglise "ne pouvait que dire son accord" avec la proposition de loi formulée.
Nicolas Sarkozy, président " très chrétien" ?
Enfin, même si le centenaire de la loi de Séparation entre les Eglises et l'Etat a été fêté en 2005, cela n'a pas empêché le président de la République d'avoir été ordonné chanoine honoraire de Saint-Jean de Latran en décembre 2007. Cette tradition, qui remonte au roi Henri IV, permet au chef de l'Etat de prétendre à une stalle (un siège en bois qui se trouve dans le chœur d'une église) dans la basilique. Cette distinction n'est pourtant pas l'apanage de Nicolas Sarkozy, car avant lui, seuls deux autres présidents, Georges Pompidou et François Mitterrand ne s'étaient pas rendus à Rome pour recevoir le titre. Ce "cumul des fonctions" est aujourd'hui partagé par d'autres personnalités moins éminentes de l'Etat. Christine Boutin, ministre de la Ville, occupe depuis 1995 à titre personnel le poste de consulteur du Conseil pontifical pour la famille au Vatican, un organisme chargé d'orienter les familles catholiques dans le domaine de l'éducation, qu'il s'agisse de l'avortement, de l'éducation sexuelle ou de la préparation au mariage.
Source l’Internaute
Le Pèlerin