Grimpeur de palmier - Métier ancestral menacé de disparition
Au moment où le patrimoine phoenicicole dans notre pays enregistre un développement considérable avec plus de 18 millions de palmiers, dont 10 millions en production, le nombre de grimpeurs de palmiers qui en assurent l’entretien, est sans cesse, lui, en diminution. Autrefois, ce métier ancestral faisait le bonheur des habitants des oasis du Sud (Biskra, Adrar, Ouargla et El-Oued). Ce sont l’avancée en âge des personnes qui l’exercent et l’absence de relève qui menacent ce métier de disparaître. Un métier compliqué aux tâches nombreuses et vitales pour la survie d’une palmeraie. Les dangers qu’il représente, contraignent les jeunes à lui préférer un autre métier ou carrément le chômage. Une situation qui menace tout un symbole de notre Sahara et seule une politique d’intégration des jeunes générations à ce métier est à même d’y mettre fin.
Les étapes de la cueillette
Si pour le commun des Algériens le métier de grimpeur de palmier se résume à la cueillette des dattes, les professionnels font observer que ce dernier inclut plusieurs tâches et nécessite un savoir-faire particulier.
Le grimpeur de palmier «professionnel» commence par creuser tout autour du pied du palmier un fossé d’environ 50 centimètres, à 10 centimètres du tronc pour ne pas blesser les racines de l’arbre. Il dépose ensuite une couche de fumier dans la partie creusée et la recouvre avec un peu de terre avant d’y verser de l’eau. L’irrigation se fait une fois par mois en hiver et tous les 15 jours au printemps, alors qu’en été avec le risque de sécheresse, cette opération est renouvelée tous les 10 jours. En mars, avec l’apparition du pollen, qui est l’élément fécondant mâle du palmier reproducteur qui ne produit pas de dattes, débute la campagne de pollinisation des palmiers dattiers pour permettre la fécondation du maximum de cellules femelles.
Le palmier reproducteur est grimpé jusqu’à 10 fois entre mars et mai tandis que pour la fécondation, les fellahs grimpent trois fois. Après avoir terminé avec la fécondation, arrive l’étape de l’entretien des régimes avec la formation de fruits pour leur permettre un bon développement en limitant le nombre de régimes entre 12 à 15 par palmier, avant de les couper en longueur et à l’intérieur pour assurer une bonne aération et surtout un ensoleillement des régimes gardés.
Cette tâche terminée, l’agriculteur procède à la mise sur branche et à l’attachement des régimes contre les cornefs (palmes) – surtout pour les variétés de Deglet Nour et El-Ghers, dont les fruits sont fragiles –, «pour qu’ils grandissent dans les meilleures conditions en leur évitant les dégâts que peuvent engendrer les vents», explique aâmi Ali, rencontré dans la wilaya de Biskra. Cette campagne se poursuit jusqu’au mois d’août et là une autre tâche intervient : celle de «la toilette» du palmier. L’agriculteur débarrasse alors le palmier de ses palmes sèches qui peuvent renfermer des insectes parasites.
Quand les fruits commencent à prendre la couleur jaune annonçant le début de leur maturité, on procède à la couverture à l’aide de sachets, des régimes pour les protéger des attaques des prédateurs (oiseaux et abeilles) et aussi des pluies du Sud, ainsi que des maladies.
Le mois d’octobre, les dattes mûres commencent à être récoltées, les fellahs grimpent, pour la dernière fois, au palmier durant une campagne qui dure jusqu’au mois de février. Selon aâmi Ali, on grimpe sur le palmier en moyenne 6 fois par an : 3 fois pour la pollinisation, une fois pour l’entretien des régimes, une fois pour leur couverture avec des sachets en plastique et une dernière fois pour la cueillette. Un métier donc qui use et qui n’est pas sans dangers.
Des risques sérieux
Le métier de grimpeur de palmier enregistre un recul et les inquiétudes quant à la prise en charge des palmeraies, s’avèrent sérieuses.
La moyenne d’âge des grimpeurs est de 45 ans et la relève dans ce métier n’est pas assurée. C’est ce que révèlent plusieurs sources parmi les phoeniciculteurs et autres intervenants dans la filière que nous avons rencontrés lors de la 6e édition du Salon de l’agriculture saharienne et steppique, Sud’Agral, organisé par Krizalid communication, du 19 au 22 décembre 2010, dans la wilaya de Biskra.
Une réalité que nous avons vérifiée au sein de la population locale en âge de travailler, que ce soit parmi les participants à ce salon, les visiteurs ou encore les populations rurales. Rares sont ceux qui affichent un intérêt pour ce métier et encore moins ceux qui maîtrisent toutes les tâches que doit assurer un grimpeur professionnel. Le comble est que même les héritiers de palmeraies de référence dans la région, dont les produits ont gagné les étals du salon, avouent n’avoir jamais grimpé sur un palmier.
Mais qu’est-ce qui fait fuir ces jeunes de ce métier ? «C’est un métier plein de risques», répondent la plupart. En effet, pour justifier leur refus de ce métier, synonyme de préservation d’une culture propre aux régions sahariennes : la phoeniciculture, nos interlocuteurs énumèrent une liste de dangers qui guettent un grimpeur de palmier. Les chutes arrivent en tête du classement des risques, compte tenu de l’âge avancé des grimpeurs, mais aussi de celui des palmiers qui dépasse les 80 ans, représentant plus de 30% du patrimoine phoenicicole, selon M. Kehal, ingénieur à l’Institut technique de développement de l’agriculture saharienne (Itdas) de Biskra.
Ce dernier nous apprend que certains de ces palmiers peuvent atteindre jusqu’à 30 mètres de hauteur. De nombreux fellahs ont fait des chutes mortelles, sinon ils sont handicapés à vie, cela sans compter les fêlures et fractures qui sont légion dans ce métier.
Usure du corps, vertige, baisse de vigilance avec l’âge qui avance et la fragilité des palmes qui jouent généralement le rôle de support, sur lequel repose tout le corps du grimpeur une fois au sommet du palmier, sont entre autres les causes de ces chutes. Un autre problème qui menace la santé des grimpeurs est celui des épines qui transpercent les différentes parties de leurs corps. Certains parmi eux affirment en avoir plus de cent dans leurs corps.
Djalal, un jeune grimpeur de 24 ans, originaire de la commune d’El-Haouch, daïra de Sidi-Okba, n’a pas hésité à nous montrer des cicatrices de piqûres d’épines au niveau des bras, du cou, de la tête, du visage et d’autres parties du corps. «Vous voyez ! Mon corps est criblé. Des dizaines d’épines se sont cassées et se trouvent toujours dans mon corps», nous a confié Djalal qui souligne que dans ce métier, la perte de l’usage des membres suite à des accidents est fréquente.
Une assurance sociale qui fait défaut
Malgré les risques que comporte le métier de grimpeur de palmier, ce dernier n’est pas considéré comme tel par les pouvoirs publics. Ce qui pousse les jeunes à choisir d’autres métiers couverts par l’assurance sociale.
Mis à part les grimpeurs propriétaires de grandes palmeraies, nombre de grimpeurs avouent qu’ils abandonneraient totalement ce métier si une place leur était offerte dans une entreprise ou une exploitation, qui leur assure un revenu régulier et une assurance contre les accidents du travail. «Au mépris de tous les risques que cela présente, l’entretien d’un palmier est rémunéré 100 DA seulement.
Et pour seulement trois mois d’exercice. Notre travail ne peut, en aucun cas, représenter un métier à part entière», estime Mohamed Athaimia, 40 ans, grimpeur à Hai-Felyach, une localité distante d’environ 4 km du centre-ville de Biskra. Avec une famille de 5 personnes à sa charge, Mohamed déplore qu’en dehors de la saison de travail dans les palmeraies, la vie pour lui est dure. Seuls des petits travaux dans des chantiers lui permettent de subvenir aux besoins élémentaires de sa famille.
Et même cela n’est pas toujours facile à trouver. «Avant, il y avait les eaux de l’oued dont ont se servait pour l’irrigation de nos cultures maraîchères, mais aujourd’hui, on nous a coupé l’alimentation pour en faire un barrage. Donc, on ne cultive même pas de quoi alimenter nos familles», regrette Mohamed.
Grimpeurs et autres intervenants dans la filière déplorent le fait que les pouvoirs publics n’aient pas introduit ce métier dans la nomenclature des métiers. Les grimpeurs se trouvent amputés du droit à la couverture sociale, très utile en cas d’accidents. C’est là un problème soulevé même par les professionnels qui, eux, n’ont pas de réponse à fournir à leur main-d’œuvre.
Un ingénieur de l’Itdas explique que lorsqu’il y a besoin de recruter un grimpeur de palmier, «l’agence de l’emploi leur offre des agents polyvalents qui généralement ne maîtrisent pas toutes les tâches que doit assurer un vrai grimpeur». Une situation qui fait dire à Abdelhafidh Habba, ingénieur au sein du même institut, que les pouvoirs publics doivent se pencher sur la problématique du défaut d’assurance sociale, en grande partie la cause qui pousse les jeunes à fuir ce métier.
«Il faut trouver une formule pour assurer les grimpeurs en période de travail dans les palmeraies, ne serait-ce qu’en exigeant un prix symbolique pour une assurance-vie en cas de chute mortelle», a estimé Abdelhafidh, qui fait observer que ni la Chambre de l’agriculture, ni les mutualités agricoles, ni les sociétés d’assurances ne veulent prendre en charge les doléances de ces grimpeurs.
A 50 ans, il ne se lasse pas d’entretenir ses 150 palmiers !
Le visage éclairé par un sourire juvénile malgré ses cinquante ans ses cheveux grisonnants, sa corpulence moyenne, Ali Rachid dit aâmi Ali nous accueille avec la bienveillance connue des gens du Sud.
De loin, rien ne paraît des tâches ardues auxquelles il s’adonne pour entretenir au mieux une palmeraie plus ou moins grande. Pour se saluer, nos mains se glissent dans la sienne comme une balle de base-ball dans le gant récepteur.
On dirait celle d’un titan ! Charnue et forte, sa poignée est assez longue et insistante pour exprimer sa joie de nous recevoir.
Aâmi Ali et un fellah qui, même à 50 ans, ne cesse d’être la vedette des grimpeurs à M’Chouneche, une commune de la wilaya de Biskra. Une empreinte incontestée d’un grimpeur d’excellence qui a débuté ce métier à l’âge de 10 ans, et qui, aujourd’hui encore, même un peu usé, continue de prodiguer les meilleurs soins à ses 150 plants géants. «L’amour de manipuler les régimes et les palmes n’est récompensé que par la succulente peau du premier fruit cueilli avant la récolte», reconnaît avec un sourire timide aâmi Ali.
A l’œuvre, son savoir-faire et sa vitesse d’exécution, s’ils sont prouvés pour ce qui est de la manipulation des régimes durant la période de récolte, ne le sont pas moins pour ce qui est des tâches qui la précèdent, à savoir la pollinisation et le toilettage du palmier. D’ailleurs, ses fils Imad et Farid, âgés respectivement de 23 et 25 ans – qui avouent n’avoir jamais essayé de grimper à un palmier – se demandent comment ils feront pour prendre soin de la palmeraie lorsque le vétéran prendra sa retraite.
Un concours pour garder la tradition
Un concours pour distinguer le meilleur grimpeur de palmier a été organisé le 22 décembre dernier pour marquer la clôture de la 6e édition du Salon de l'agriculture saharienne et steppique, Sud’Agral 2010, tenu à Biskra. Organisé en marge du salon, ce concours, qui a mis en lice 8 prétendants représentant les différentes régions de la wilaya, s’est déroulé à l’Institut technique de développement de l’agriculture saharienne (Itdas) de Biskra. Les candidats devaient répondre à trois exigences du jury : la présentation du matériel au complet (ceinture, scie, fil…), répondre au questionnaire préparé par l’administration de l’Itdas pour distinguer un vrai professionnel d’un simple grimpeur de palmier et, pour finir, respecter toutes les étapes. Par son agilité et son savoir-faire, Haichar Youcef, représentant la commune de Doucen, a remporté le premier prix. Un certificat d’encouragement accompagné d’un chèque de 10 000 DA, lui a été remis. De la même commune, Abdelkrim Tafa, est arrivé en deuxième position, remportant la somme de 5 000 DA. Enfin, en troisième position, Mohamed Athaimia de Hai Felyouch a obtenu un certificat d’encouragement et 3 000 DA. Mais avant la remise des prix, les organisateurs ont souligné que le concours «devait s’inscrire dans l’obligation de perpétuer la tradition en suscitant l’intérêt des jeunes pour un métier ancestral qui risque de disparaître».
Source Infosoir Mohamed Mahdjane
Le Pèlerin