Les Pyrénées - La montagne de « premier ordre »Le Pic du tourmalet
Ci-dessus et ci-dessous Henry Russell - Killough l'amant des Pyrénées
L'envie de découvrir, l'audace, le courage, le désir de vaincre ainsi que le plaisir voluptueux de savourer la victoire, bref, tout ce qui caractérise le « pyrénéisme » est contenu dans ces propos de Ramond de Carbonnières, « l'inventeur des Pyrénées ». C'est en 1787 que ce conseiller intime du cardinal de Rohan se rend pour la première fois dans les Pyrénées pour accompagner « son » cardinal aux eaux de Barèges. Il effectue quelques escalades aux alentours de la station thermale et éprouve soudain un véritable coup de foudre pour les cimes pyrénéennes. Le 2 août 1787, il monte à 2 872 m d'altitude au pic du Midi de Bigorre qu'il gravira trente-cinq fois dans sa vie. Après cette première ascension, il se lance à la recherche du plus haut sommet pyrénéen et dirige ses pas tout naturellement vers le massif de la Maladeta. Il explore le cirque de Gavarnie où « dix à douze torrents tombent de cet amphithéâtre dans le cirque » et effectue l'ascension de la brèche de Roland. C'est avec obstination, et après plusieurs tentatives malheureuses, qu'il vaincra enfin, en 1802, le mont Perdu, objet de fascination passionnée : « Les glaciers étincelaient et la cime du mont Perdu, toute resplendissante de célestes clartés, semblait ne plus appartenir à la terre. » C'est ainsi qu'il décrivait sa future conquête, vue de la brèche de Tuquerouye, « dans toute sa majesté ».
Ramond, ce « pape » des Pyrénées, ouvre la voie en ce début du XIXéme siècle à une série d'aventuriers de la montagne qui vont réaliser quelques « premières » remarquables. Vincent de Chausenque, en 1847, vainc le Néouvielle et ses 3 091 m. Puis une Anglaise, Miss Ann Lister, réussit l'ascension de la Pique Longue du Vignemale à 3 298 m devançant de quatre jours Edgar, prince de la Moskowa, fils du maréchal Ney, et son frère qui laissèrent supposer qu'ils avaient été les premiers à atteindre le sommet. Et si le voyageur et naturaliste allemand, Friedrich Parrot atteint avec le guide luchonnais Pierre Barrau le sommet de la Maladeta, il faudra attendre 1842 pour que le « Nethou », autrement dit le pic d'Aneto qui culmine à 3 404 m, s'avoue vaincu par le botaniste français, le comte Albert de Franqueville accompagné d'un jeune officier russe, Platon de Tchihatcheff et des guides Jean Argarot, Pierre Redonnet, surnommé Nate, Bernard Ursule et Sanio.
Vers la fin du XIXème siècle, les adeptes de la montagne se font de plus en plus nombreux et se distinguent par leur intrépidité, accomplissant de véritables exploits. Ce sont « les frères siamois du casse-cou », Henri Brulle et Jean Bazillac, qui franchissent en 1889 avec les guides Célestin Passet et François Salles le couloir de Gaube après avoir taillé 1 300 marches dans la glace, ou le vicomte d'Ussel qui s'illustre au cours de l'année 1904 en escaladant le mont Perdu par la face nord. Jugeant la tentative dangereuse, le guide Salles lui dit au départ :
« Je marcherai tant que l'on ne me commandera pas de faire demi-tour ; mais j'espère que le monsieur tient à sa peau. »
Et d'Ussel gagne la pointe du mont sans perdre la peau.
La Mort D'un Guide
Nous sommes en 1824. Deux jeunes ingénieurs des Mines, Edouard Blavier et Edouard de Billy, partent pour la Maladeta avec un guide très réputé et très expérimenté, Pierre Barrau, appelé familièrement « Pierrine ». Cet ancien menuisier âgé de 68 ans commet l'imprudence, à 75 m du sommet, de s'aventurer sur le glacier sans être encordé. Alors qu'il progresse en sondant la neige avec son bâton ferré, une crevasse s'ouvre sous son poids et Barrau disparaît englouti par le glacier qui ne le rendra qu'un siècle plus tard. C'est en 1931 que son corps réapparaîtra à la rimaye du glacier après avoir parcouru une dénivellation de 1400 m. Cette mort frappa la communauté des guides de Luchon qui, à chaque course, au port de Venasque, devant le panorama du glacier, étendaient les bras en disant :« II est là, Barrau ». La Maladeta au nom déjà terrifiant fut considérée comme inaccessible, fatale, et une teneur plus ou moins superstitieuse s'empara des pyrénéistes, retardant de quelques années la « première » de l'Aneto, personne ne voulant plus affronter la « mangeuse d'hommes. »
Le comte Henry Russell-Killough : l'amant des Pyrénées
Francis jammes, dont il fut l'ami, a brossé de lui ce portrait : « II était mince et long comme ce genre de pique dont on se sert aux Pyrénées ; son regard était plein de distance ; une touffe de cheveux et sa barbiche, neigeuses, rappelaient Henry Roche-fort. Son nez était parfaitement droit comme celui de Mistral, sa lèvre fine, son oreille aux aguets ainsi que celle du chevreuil. Ses épaules tombantes, presque à pic, étaient faites pour s'engager dans les cheminées et les couloirs. Ses bras, très développés, pouvaient, tels des câbles, enlacer les aiguilles rocheuses, l'aider à se hisser avec le concours de ses jambes en équerre et en levier. En lui, siégeait une force élégante, irrésistible, qui dans l'Antiquité en eût fait un modèle. Il portait un melon anglais ; il allait d'un pas égal et large, chaussé de gros souliers carrés, un gourdin horizontal à la main, un petit foulard bleu ou cerise flottant hors de son ample veston boutonné. Il ne conservait l'accent anglais que pour donner au parler le charme de l'hésitation. ».
C'est le portrait, sans aucun doute, d'un grand séducteur. Russell est né le 14 février 1834 à Toulouse. En dépit de ses origines irlandaises, il n'aura de cesse de retourner sur les lieux de sa petite enfance, passée à Pau au pied des Pyrénées. Après trois ans consacrés à parcourir le monde de 1858 à 1861, il éprouve de la nostalgie pour ces montagnes. L'attrait est irrésistible : « Lorsqu'au dernier jour de ce long voyage, dans la diligence de Toulouse à Tarbes, je revis le contour net et pur de ces montagnes, je faillis leur tendre les bras et leur donner quelques larmes. Oui, c'était bien là ma patrie. » Une ascension au Vignemale va le rendre à jamais amoureux éperdu de ces Pyrénées auxquelles il va désormais consacrer les meilleurs moments de sa vie.
Il parcourt la chaîne d'un bout à l'autre à la recherche des cimes les plus élevées. Il les connaît bientôt si bien qu'il publie en 1866 : Les Grandes Ascensions des Pyrénées d'une mer à l'autre. Guide spécial du piéton. Il couchera même, en 1865, au sommet du Nethou, le « roi des Monts Maudits ». Nuit sublime qui ne s'effacera jamais de sa mémoire : « Celui qui n'a jamais passé la nuit sur le haut des montagnes n'a pas la moindre idée de ce que c'est que le silence. La chute du plus petit caillou à un mille de distance, le passage d'un oiseau, le réveil d'un insecte, dans le silence glacial des nuits alpestres, semblent ébranler toute la nature et présager une catastrophe. On se méfie du bruit comme s'il allait porter malheur... » Cet infatigable amoureux des Pyrénées effectuera sa dernière ascension à plus de 70 ans et ne renoncera qu'avec mélancolie à parcourir cette montagne dont il disait, lui le grand voyageur qui en avait tant contemplé : « II y a dans la nature pyrénéenne une poésie extrême, une harmonie de formes et de couleurs, et des contrastes que je n'ai vus nulle part ailleurs. Aussi, je ne me lasse jamais de contempler les Pyrénées, même seul, surtout quand tout un monde de glaces se déroule devant moi, comme au port de Venasque. » En fait, avoue-t-il au terme de sa vie, « aucune des belles choses dans la plaine ne me console de ne plus voir les déserts blancs qui touchent au ciel. » Et le 5 février 1909, tandis que la neige tombe sur le Vignemale, Henry Russell s'éteint à Biarritz à la villa Christine.
Une histoire d'amour : Russell et le Vignemale
La montagne de prédilection de Russell, c'est le Vignemale. Il y monte pour la première fois en 1861, y fait de nombreux séjours, passant parfois la nuit sur le roc, enfoncé dans un sac en peau d'agneau. De 1881 à 1892, il fait creuser sept grottes sur les flancs de cette montagne : la grotte « Russell » en 1882, les « Guides » en 1885, les « Dames »
en 1886. Trois grottes sont aménagées plus bas à 2 400 m. En 1893, la septième et dernière grotte est achevée : c'est le « Paradis » à 3 280 m, soit à 18 m du sommet, où il peut enfin jouir de la vie « dans toute sa plénitude de liberté, loin des miasmes et des bruits de la plaine, loin des journaux et de la politique, dans les déserts dorés et lumineux ».
Et c'est en 1889 qu'il obtient par contrat, du Syndicat de la Vallée de Barèges, la concession du haut massif du Vignemale pour une durée de 99 ans moyennant le versement symbolique de 1 franc par an.
« Épris de ces cimes sauvages et tourmentées qui bondissent vers le ciel et de leurs rochers noirs entourés de blancheurs éternelles ou de lacs solitaires », il profitera, en 1904, de la 33ème et dernière ascension de « son » Vignemale pour lui donner un peu plus de hauteur : il construit à son sommet une tour de 3 m pour qu'il atteigne les 3 301 m.
à suivre
Source autrefois les Pyrénées
Le Pèlerin